Pleurer dans la cave, dans la cour, dans la cuisine, dans les rayons du magasin, dans la réserve.
Etre à fleur de peau, la moindre remarque me faisant fondre en larmes, le moindre mot de travers me faisant hausser le ton.
Avoir envie de hurler quand on m’approche, se reculer pour ne pas être envahie par les autres. Etre transparente.
Aller travailler en marchant avec le monde qui me rentre dedans.
Sourire et regarder les autres vivre sans faire partie de leur monde.
Parler comme un robot, à côté de mon corps.
Etre dépersonnalisée, tanguer, se réfugier dans la cour.
Agiter le pied sans cesse parce que le bruit m’agresse, le marteau piqueur dans la rue, l’imprimante, toutes les voix des gens qui percutent mon cerveau comme des pierres coupantes, trop de bruit, trop fort.
« Mais comment tu fais pour travailler avec des symptômes pareils? » m’a-t-on un jour demandé. Comment tu fais pour travailler en étant ailleurs, en étant qu’angoisses, en ayant peur des gens dans un endroit où il y en a partout? En le payant en crises de larmes et de mutilations des heures durant? En délirant sur tes pensées volées?
Je travaillais, c’était comme ça, ma vie était comme ça, à porter mes angoisses, mes pensées transparentes, mon corps poreux, mes deux pieds dans l’autre monde.
Je travaille dans un endroit qui n’est pas sans défaut mais qui est globalement bienveillant. J’y ai appris à être calme, à sourire, à faire partie du monde. J’ai même appris à prendre des congés maladie. J’ai appris à n’avoir qu’un petit peu d’angoisse, un petit peu de dépression, autant dire rien quand on a décompensé plusieurs fois une schizophrénie.
J’ai de la chance, malheureusement. Malheureusement, parce que la bienveillance devrait être la norme, et aiderait bien plus de gens à trouver ou à garder un travail.
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