En hommage aux victimes des attentats du 13 novembre, il a été demandé à tous les Français d’accrocher un drapeau tricolore à leurs fenêtres. Ce geste patriotique, jadis très répandu, était progressivement tombé en désuétude, voire ringardisé, avec pour effet pervers de laisser aux seuls nationalistes ce privilège pourtant réservé à tous... et pour conséquence non moins perverse de laisser soupçonner peu ou prou tout patriote qui se revendiquait de ces couleurs de flirter avec l’Extrême-droite.
L’hymne national n’échappait pas davantage à ce préjugé, comme le révèle l’anecdote suivante : il y a quelques mois, alors que je donnais un cours de relations interculturelles dans une université, lors d’une pause, je reçus un appel téléphonique ; or, il se trouve qu’à l’instar de mon ami Bertrand Cadart (le célèbre « Maire français de Tasmanie »), j’ai choisi comme sonnerie de mon portable La Marseillaise. Plusieurs étudiants sourirent, d’autres furent médusés et l’un d’eux me demanda comment je pouvais à la fois enseigner la manière de faire des affaires avec des partenaires de cultures étrangères - ce qui suppose une réelle ouverture sur le monde - et choisir une telle mélodie, comme s’il voyait là une incompatibilité majeure, comme si l'hymne national n'avait pas cette vocation symbolique universelle que j'avais pourtant si souvent rencontrée hors de nos frontières chez les étrangers épris de Liberté... Je lui répondis par une phrase de Romain Gary inscrite dans son premier roman, Education européenne (1945) : « Le patriotisme, c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres. » Toute la différence réside dans cette nuance capitale.
On ne peut guère accrocher matériellement un drapeau (signe, dans le contexte présent, d'hommage et de Résistance) à la page d’un blog, mais on peut en proposer une représentation artistique. En voici deux. La première, fort connue, La Rue Saint-Denis de Claude Monet, montre les façades d’un quartier parisien, à cette époque très populaire, entièrement pavoisées à l’occasion du 14 juillet 1878.
La seconde est due à l’artiste contemporain Jacques Darras et s’intitule Drapeau français ou martyrs pour la France (2009). Ce créateur, qui se situe, selon ses propres mots, entre l’expressionnisme et l’art brut, voit dans ce tableau, comme il s’en explique sur une page de son blog, « des hommes qui ont fait don de leur vie ou de leur intégrité, pour la France symbolisée par son drapeau. » Il émane en effet une réelle force de cette œuvre ; il s’en dégage une atmosphère qui me semble parfaitement convenir à cet hommage aux victimes du 13 novembre - des hommes et des femmes innocents qui, par les actes criminels d’une poignée de barbares obscurantistes appartenant pourtant à la même génération, sont devenus, sans le vouloir ni le savoir, des « martyrs pour la France » puisque ce sont ses valeurs qui furent attaquées. C'est d'ailleurs ce que la cérémonie républicaine d'aujourd'hui, tenue aux Invalides, lieu où d'habitude on rend les honneurs militaires, semble implicitement suggérer.
Illustrations : Claude Monet, La Rue Saint-Denis, 1878, Musée des Beaux-Arts de Rouen - Jacques Darras, Drapeau français ou martyrs pour la France, 2009, 180 x 120 cm, technique mixte, acrylique.