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Hier, le prochain Premier ministre, Marcos Peña, l'ex-directeur de campagne de Mauricio Macri, a annoncé la composition du nouveau gouvernement : une surprise de taille attendait les Argentins, le maintien dans ses fonctions actuels du ministre des Sciences et Technologies, le biochimiste Lino Barañao, qui a créé ce ministère après y avoir été nommé par Cristina Kirchner en 2007, dès son accession à la magistrature suprême. Avant cette date, il n'existait qu'un secrétariat d'Etat pour la recherche scientifique.
Geste d'ouverture authentique ? C'est possible car la configuration est très différente de celle qui a marqué en France l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, en 2007 là aussi, quand avec un culot qui a laissé tout le monde pantois il a débauché quelques figures de gauche hautes en couleur qu'il a ensuite pris soin de réduire à l'impuissance, voire de tourner en ridicule (comme Bernard Kouchner), de sorte qu'elles n'ont jamais eu d'ouverture que le nom. Ici, on est dans une vraie alternance, bien clivante, et le ministre "d'ouverture" est en poste depuis huit ans avec des résultats incontestables.
Geste d'apaisement à l'égard du monde universitaire et scientifique qui s'était tant ému ces deux dernières semaines à la perspective d'une victoire néolibérale ? Possible encore, même si le président du CONICET a annoncé immédiatement sa démission (peut-être un mouvement d'humeur, car les responsables en place aujourd'hui sont en général des militants péronistes). Le vice-président, quant à lui, ménage davantage l'avenir et ne se prononce pas encore. Ce ministre est connu et son action à la tête de son ministère est appréciée et respectée jusque dans l'organisation des manifestations des dernières semaines pour réclamer la poursuite de l'actuelle politique scientifique, manifestations auxquelles il s'est lui-même joint publiquement. Son maintien en poste a officiellement le soutien de Cristina Kirchner elle-même, qui semble jouer le jeu au moins sur ce plan (1). Le ministre se tenait d'ailleurs à ses côtés hier lors d'une cérémonie officielle dans un hôpital prestigieux et emblématique. Si le ministère de la Recherche scientifique conserve un niveau budgétaire décent dans les quatre années qui viennent, on aura bien affaire à une authentique ouverture. Quelles que soient par ailleurs les arrière-pensées tacticiennes des uns et des autres. Car il y en a. Lino Barañao est en effet le seul ministre du gouvernement sortant qui ait fait savoir très vite après le premier tour son souhait de rester en poste en cas de victoire de Mauricio Macri pour continuer l'œuvre entamée (l'avenir à long terme du pays en dépend en partie). Une offre de service peut-être motivée par son remplacement trop vite proclamé par Daniel Scioli qui avait désigné Daniel Filmus, brillant homme d'Etat kirchneriste mais il n'a pas un profil scientifique. Enorme gaffe de Scioli que de publier ainsi la composition de son gouvernement avant la tenue du scrutin et tout aussi gros impair de sa part que d'écarter avec si peu d'égards un ministre apprécié et dont le parcours spécialisé lui vaut sans aucun doute des contacts scientifiques de très haut niveau à l'extérieur des frontières (il a fait un post-doctorat au très prestigieux Max Planck Gesellschaft en Allemagne, l'équivalent du CNRS français ou du CONICET argentin). Au sein de la Academia Nacional del Tango qui depuis quelques années l'a pour ministre de tutelle, je sais de première main que ses services fonctionnent bien, d'une manière intelligente et efficace (c'est rare parce que la bureaucratie argentine, ça pèse un âne mort !) (2)
En soi, ce maintien en poste semble constituer une première révolution symbolique (3). A ma plus grande surprise, peut-être assiste-t-on à une étape marquante que je n'attendais pas de la part d'un politicien qui n'avait jusqu'à présent montré qu'un cynisme très offensif (et il aura du mal à gagner la confiance d'un important secteur de la gauche intellectuelle). Il est encore trop tôt pour savoir s'il avait eu raison en dépit des apparences, voire au prix d'une conduite très contestable (4).
On a connu des unes de Página/12 plus fair-play et plus drôles
Les dessinateurs ont du mal à digérer la défaite depuis lundi.
Patricia Bullrich : comme ministre de la sécurité, je vais lutter contre les délinquants
Macri : pour cela, il faut des ressources. D'où vas-tu les sortir ?
Bullrich : je ne sais pas. On pourrait prendre 13% sur les retraites*
(Traduction © Denise Anne Clavilier)
* Allusion à une baisse de 13% des salaires des fonctionnaires
de la Ville de Buenos Aires
Autre surprise, le ministre du Travail n'a pas été désigné. Il est vrai que l'annonce dès lundi du retrait définitif de la vie politique d'un des alliés de Cambiemos, le radical Sanz, dont on pensait qu'il accéderait à un ministère, chamboule la composition du personnel politique susceptible de prendre part à l'aventure.
Et nominations qui ne sont pas des surprises et qui au contraire pourraient apparaître comme de véritables provocations vis-à-vis de la majorité sortante : la nomination des deux Bullrich, Patricia à la Sécurité et Esteban à l'Education. Ces deux éléphants du PRO ne sont pas connus pour leur sens du consensus, c'est le moins qu'on puisse dire, et la gauche péroniste qui n'a eu de cesse de combattre leurs idées et leur action les détestent cordialement. Quant au Secrétariat aux Droits de l'Homme, il fusionne avec le ministère de la Justice, dont l'intitulé devient de la Justice et des Droits de l'Homme. Décision cohérente avec les mises au point de lundi.
Une du rapport quotidien de Télam ce matin
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Côté culture, Hernán Lombardi apparaît comme prévu comme ministre, un ministre qui ne devrait pas faire partie du Gouvernement puisque sa feuille de route est, dit-il, de détacher les médias publics de l'esprir partisan qui les caractérise encore à ce jour et d'y faire régner le pluralisme, comme à la BBC, à Radio France et France Télévision et à la RTVE. Aucune de ces institutions n'est dirigée par un ministre, cela se saurait. Peut-être est-il toutefois nécessaire qu'un ministre se charge de ce changement de mode institutionnel. Attendons pour juger. Quant au ministère de la Culture à proprement parler, le maroquin va sans surprise au journaliste Pablo Avelluto, qui s'occupait à Buenos Aires des médias publics. C'est sous son autorité que la 2 x 4, la radio tout tango de la Ville, a perdu de sa richesse programmatique pour devenir la majeure partie du temps un robinet à musique sans grande cohérence culturelle. Aujourd'hui, le jeune ministre parle comme de réussites un bon nombre de réalisations du gouvernement national sortant (tant mieux, car le travail qui a été fait dans le domaine de la culture mérite d'être perpétué), en critique l'esprit partisan et exclusif (il n'a pas tort, tout cela manquait de pluralisme, les antennes publiques portègnes aussi au demeurant, 1 point partout) et promet que dorénavant c'est le talent plus que les opinions politiques des artistes qui sera le critère du Ministère dans ses choix et ses interventions. Avelluto veut en finir avec la vision monolithique de la réalité. Que Dieu l'entende !
Et à propos de Dieu, voici l'info la plus pittoresque de toutes celles qui concernent ce nouveau gouvernement : la nomination du rabbin Sergio Bergman à l'Environnement et au Développement durable. A lui la biodiversité, la réintroduction des espèces en voie d'extinction dans leur écosystème naturel, les nombreux parcs, sanctuaires maritimes et autres monuments naturels nationaux. Sans oublier la lutte contre le réchauffement climatique or ça chauffe rudement sur les glaciers de cercle polaire austral ! Il a promis qu'il suivrait les pistes proposées par l'encyclique Laudato Si' du Pape François. En voilà du dialogue inter-religieux bien compris ! Sergio Bergman est ministre du culte en exercice dans une synagogue de Buenos Aires, c'était aussi depuis 2013 un député PRO qui représente la capitale fédérale au Congrès, après deux ans comme député PRO à la Legislatura, la Chambre locale de Buenos Aires. A cinquante-trois ans, l'âge où en général on s'assagit et où on acquiert un peu de tempérance, c'est une sorte de Zébulon flamboyant, très médiatique, passablement m'as-tu-vu. Il semble monté sur ressorts et son image ultra-colorée colle aussi peu que possible à celle d'un homme imprégné de foi et de spiritualité (qu'il est peut-être au-delà des apparences). Il a fait des études de pharmacie et de biochimie à l'Université de Buenos Aires (UBA) – dans cette fournée il est donc l'un des rares ministres issus du système universitaire public et gratuit - puis des études rabbiniques dans l'une des écoles de Buenos Aires jumelée avec un institut de formation de Jérusalem.
Pour aller plus loin : J'ai sélectionné ici un petit nombre d'articles. Chaque quotidien est rempli d'analyses et de portraits des nouveaux ministres. Vous ferez votre propre choix en allant cliquer sur les liens des journaux qui se trouvent en permanence dans la rubrique Actu, de la partie basse de la Colonne de droite. Lire l'article de présentation du nouveau gouvernement par Página/12 (médiocrement emballé, on s'en doute) lire l'article de Clarín au ton nettement plus réjoui lire l'article de La Nación lire l'entrefilet de La Prensa lire le portrait du toujours ministre des Sciences et Technologies dans La Nación lire l'analyse de ce maintien en poste dans Página/12 lire le portrait de l'homme par La Prensa lire le portrait de Sergio Bergman dans La Prensa lire le portrait de Pablo Avelluto dans La Prensa. Lire aussi la critique très dure de Clarín envers les récents propos d'un pédiatre vedette, le Dr. Abel Albino, sur l'homosexualité. Ce médecin a apporté tout son soutien intellectuel et politique à Mauricio Macri. Peut-être peut-on écarter maintenant l'idée que l'éditorial de La Nación de lundi était un coup monté publié à seule fin de permettre à Macri de jouer les esprits généreux ou de rassurer à bon compte les militants des droits de l'homme. Il semblerait plutôt que certains de ses ultras tâchent de le déborder par la droite. Et visiblement, ça lui complique plutôt la vie !
(1) Par ailleurs, la majorité kirchneriste au Congrès continue à voter les textes qui sont dans les tuyaux (en particulier les nominations et les promotions, au bénéfice des militants de la majorité sortante) alors même que Macri, légitimement élu, a demandé que tout soit suspendu. Si jamais il doit faire voter l'inverse après le 10 décembre, c'est lui qui apparaîtra comme le méchant de l'histoire. Le gouvernement sortant de Mendoza, kirchneriste, aussi a agi de même avec le budget de la Province, face à l'alternance avec le nouveau gouverneur radical. Quel manque de classe ! (2) En France, on se plaint beaucoup des lourdeurs administratives mais si les mêmes personnes vivaient en Argentine ! Mamma mia ! (3) Il me semble qu'on ne pourra parler de révolution concrète qu'une fois que ce gouvernement aura mis en œuvre ses premières mesures effectives. (4) Il n'a pas déféré aux convocations de la justice portègne qui lui ont été adressées à titre personnel, il a laissé sans effet plusieurs décisions des tribunaux comme c'est le cas pour la réintégration de Claudio Espector à la tête des Orquestas Infantiles de la Ciudad de Buenos Aires, il n'a pas assuré la sécurité à La Boca sauf dans quelques rues que le portail de la ville conseille d'emprunter et dans lesquelles se trouvent divers commerces gérés par ses connaissances, il a fait ou laisser chasser de la capitale fédérale des sans-abris à coup de matraque par des milices encagoulées et opérant la nuit, il a ordonné par décret la fermeture de nombreux centres culturels autogérés dans les quartiers populaires abandonnés, il a laissé se dégrader la voie publique de tous les quartiers hormis Palermo, Recoleta, le nord de San Nicolás, Belgrano, Retiro et Puerto Madero. J'en passe et des meilleures (il faut voir l'état des rues même autour de Plaza de Mayo et de la Casa Rosada et le comparer au quartier des ambassades à Palermo ou au vieux port à Puerto Madero). Là encore, mon expérience me renvoie à des souvenirs européens comme l'avant et l'après-élection d'un Nicolas Sarkozy, dont l'agressivité ne s'est pas tempérée à l'épreuve du pouvoir même s'il affirme le contraire. Mais je peux aussi penser, en Belgique, à l'avant et l'après-élection d'un Charles Michel, qui avait à gauche la réputation d'un cost-killer néolibéral qui allait détruire le système de protection sociale du pays, une machine à la solde du grand capital, et qui, dans l'épreuve que Bruxelles traverse depuis ce week-end, vient de prouver qu'un an après sa prestation de serment comme Chef du Gouvernement fédéral, il avait acquis une légitimité consensuelle que personne ne lui conteste. Et après tout, la politique, c'est ça. Ce n'est pas de choisir entre une bonne et une mauvaise solution, ce serait trop simple, comme en témoigne Michel Rocard. C'est de choisir entre plusieurs mauvaises solutions.