Docteur Frankenstein, de l’éthique comme rempart à l’obscurantisme et aux savants fous

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Docteur Frankenstein, le dernier film de Paul McGuiguan, apparaît comme une œuvre virtuose à côté des derniers méfaits du monstre tel I, Frankenstein de Stuart Beattie, véritable horreur cinématographique toute de CGI dégoulinante. Docteur Frankenstein reprend les traditionnels sous-textes de l’œuvre, à savoir la dichotomie entre foi et science, l’éthique et la responsabilité scientifique, le remord et la vengeance. Loin, très loin du déroulement narratif du livre de Mary Shelley, source inextinguible d’adaptations, le film est écrit comme une séquelle, non exempte de défaut mais tout à fait convenable dans laquelle James McAvoy et Daniel Radcliffe tirent leur épingle (ou devrait-on dire leur boulon) du jeu.

Victor Frankenstein (James McAvoy que l’on a vu dans X-Men : Days of the future past) libère Igor (Daniel Radcliffe que l’on a vu dans Horns), un clown bossu, du cirque où il est réduit en esclavage, après l’avoir vu sauvé Lorelei (Jessica Brown Findlay que l’on a vu dans The Riot Club), une trapéziste, d’une mort imminente. Il y voit un allié de taille dans l’entreprise qui hante toutes ses pensées : réussir à créer un être vivant. Victor Frankenstein (James McAvoy) et Igor (Daniel Radcliffe)

Lors de la longue séquence d’introduction où est mise en scène la rencontre d’Igor et de Victor Frankenstein, nous avons eu le souffle coupé, non pas pour une réalisation incroyable mais par la peur d’avoir affaire avec un énième film de série Z gonflé aux effets spéciaux de mauvaises qualités. En effet, l’escarmouche dans les dédales du cirque, filmé avec la tremblotte, exagérant sur les ralentis douteux, nous laissait présager le pire. Cette désagréable impression a ressurgit à chaque mise en mouvement d’un monstre, la bête devenant floue pour finalement apparaître, rendue hideuse par les manquements de la post-production davantage que par un choix esthétique conscient. En somme, elle n’est ni impressionnante ni horrifiante, juste moche. Le seul petit effet agréable étant la vision « planche anatomique » des corps que manipule Igor. A côté de cela, ce qui pourrait passer pour un manque de sérieux dans le traitement des dialogues et du jeu d’acteur, à savoir une certaine tendance pour le cabotinage de Victor Frankenstein permet à Docteur Frankenstein d’assumer sa nature de divertissement sans pour autant abandonner toutes visées philosophiques. Igor (Daniel Radcliffe) et Lorelei (Jessica Brown Findlay)

Sous son aspect asocial et ses comportements de beauf, Victor Frankenstein porte quelques valeurs que son nemesis, l’agent de Scotland Yard, Roderick Turpin (Andrew Scott que l’on a vu dans Pride, Jimmy’s Hall et Spectre), interroge. La première est non des moindres est l’arriération que représente une pensée créationniste. Roderick est un croyant fervent, bercé par la superstition, considérant toute avancée scientifique comme une éventuelle œuvre du diable. Frankenstein est un libertaire, un homme rationel, persuadé que la science pourra vaincre la mort. Avec ce qu’il faut d’ambiguïté, le discours est parfois renversé. D’une certaine manière, Frankenstein qui cherche à s’absoudre de la culpabilité qu’il ressent pour la mort de son frère verse dans la superstition tandis que, si on le débarrasse de son aspect cul-béni, le raisonnement de Roderick nous oriente sur le côté contre nature des expériences du docteur. Les affaires tels celle de la vache folle nous ont appris qu’il peut s’avérer dangereux de jouer avec l’ordre naturel des choses. C’est finalement Igor et Lorelei qui représentent une position éthique, ouverte aux expérimentations mais soucieuse du bon usage de celles-ci. Roderick Turpin (Andrew Scott)

Difficile question que de savoir si l’homme a dompté la nature ou si la nature s’est elle-même dotée d’une espèce capable de le faire (voire de la détruire). Finalement, l’œuvre créatrice de Frankenstein n’est qu’une œuvre de destruction mais n’en est-il pas de même pour la perpétuation de la vie elle-même ? A l’heure ou il devient crucial d’établir la responsabilité de l’espèce humaine dans la dégradation des conditions de vies sur Terre, les questions éthiques deviennent indispensables, on ne peut guère plus fermer les yeux. Quand Monsanto entend nourrir l’humanité en semant des graines stériles, c’est le pompier pyromane qui s’exprime. A l’image de Frankenstein. Auquel nous devrions penser à chaque fois que nous sommes sur le point de créer un monstre potentiel.

Boeringer Rémy

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