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[On refait le flash] Le Convoyeur – Braquage à la française

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Le genre, c’est pas ton cinéma.

De ton point de vue, la Nouvelle Vague reste intouchable, ce que le cinéma français a fait de mieux.

Sans être en désaccord, faudrait quand même pas nous prendre pour des truffes, oh !

François, Jean-Luc Godard, Éric Rohmer et consorts ont effectivement révolutionné leur média en leur temps, théorisant à longueur de cahiers un cinéma français qui avait grandement besoin d’être modernisé. Il faut néanmoins bien avouer que la corde, après une quarantaine d’années, commence passablement à être usée, pour ne pas dire À Bout de Souffle.

Pire, à l’ombre des icônes adulées de l’intelligentsia, une armée de personas non grata, au mieux passée sous silence, réhabilitée seulement quand vient le temps de flatter la France.

Jean-Pierre Melville, samouraï de son époque, compte à ce titre parmi les très grands cinéastes que l’Hexagone ait comptés, mais dont l’héritage n’est souvent porté aux nues que par d’illustres réalisateurs étrangers.

Le genre, c’est pas ton cinéma.

Pas assez subtil, le verbe pas assez ciselé, la tournure de phrase pas assez rimée. Trop violent, c’est évident. Ça te choque. Tu n’es pourtant pas toujours bien-pensant, mais manifestement, ça dépasse parfois ton entendement.

Au risque de heurter, la détresse sociale requiert autre chose que des larmes et du bon sentiment. La réalité, celle qui fait mal, celle qui interpelle, est bien plus difficile à panser.

Elle peut même se passer de dialogues, faire jouer le silence, délaissant l’amour des mots pour celui des maux.

Tu seras, on le sait, bien difficile à convaincre, embringué dans tes certitudes et tes idéaux.

Le genre, c’est pas ton cinéma.

Tu devrais pourtant lui accorder plus d’attention, et y jeter un coup d’œil plus attentif, même si tu as peur qu’il te griffe. De sa hargne, de son culot, de son jusqu’au-boutisme comme profession de foi.

(Con)fondu et fusionné au cinéma d’exploitation, dans un fourre-tout bien commode pour les chantres du bon goût, le cinéma de genre est un peu, aux yeux du milieu, le cousin bâtard, celui qu’on tolère mais qu’on ne saurait voir.

Du corps et de l’esprit, il penche davantage pour le premier. Tu le penses superficiel ? Qu’à cela ne tienne : les émotions y sont à fleur de peau.

Même si, le genre, c’est pas ton cinéma.

Starfix en conséquence ne te dira sûrement rien. Ceci étant, au milieu des années 80’ et de noms bien plus ronflants – n’était pas Studio qui veut : Première arrivée, Première servie -, on ne parlait pas du titre le plus clinquant.

Et pourtant.

Une revue t’étant peut-être inconnue, mais à l’impact décisif quant à la reconnaissance de réalisateurs sur lesquels beaucoup levaient le nez, de James Cameron à Brian de Palma en passant par John Carpenter, désormais – et à raison – encensés.

À la barre, deux noms principaux, dont une figure de proue désormais bien connue : Christophe Gans, et son acolyte de toujours, Nicolas Boukhrief.

Le genre, c’est pas ton cinéma.

Mais tu as probablement vu Le Pacte des Loups. Une anomalie, au succès public aussi fort que complètement inattendu. Que l’on n’a depuis d’ailleurs – malheureusement – pas revu.

Reste que le film a échoué dans sa volonté de fédérer : disons-le tout net, il a même profondément divisé. Avec à la clé un héritage forcément avorté.

Tu ne le sais que trop bien, troquer la critique pour la mise en scène filmique ne présume en rien de la qualité du résultat. C’est le risque de passer derrière la caméra.

Christophe Gans n’a d’ailleurs toujours pas réussi, depuis, à confirmer les espoirs placés en lui ; même si l’on conserve une affection toute particulière pour son Silent Hill plutôt abouti.

Le plus doué des deux n’était ainsi pas celui que l’on attendait.

Nicolas Boukhrief, dans l’ombre de son ami, moins flamboyant, mais plus précis, peaufinait un véritable film « coup de poing ». Populaire et brillant.

Car au même titre que le cinéma intello peut être con, le cinéma populo peut être (très) bon.

Un exemple frappant pour t’appâter ? Le Convoyeur devrait pouvoir te rassasier.

Le genre, c’est pas ton cinéma.

Mais avec Le Convoyeur, on a tout de même bon espoir que ton avis changera.

Il faudra néanmoins que tu aies le coeur bien accroché. Car ce que Le Convoyeur a à te proposer, c’est un drame social, oui, mais surtout, une descente aux enfers d’une rare intensité.

Le genre, c’est pas ton cinéma.

Tu verras, cependant, qu’il peut être bien plus que ça.

Au départ, une accroche simple mais redoutable d’efficacité : « 1 000 € par mois, 1 000 000 € dans chaque sac… ». Le cadre ainsi posé, nul besoin d’en rajouter.

Au même titre que pour les origines ou le passif des personnages d’ailleurs : passées de brèves scènes d’introduction, les caractères sont brossés, leurs caractéristiques pleinement exposées. Par la suite, charge à toi d’interpréter, d’analyser.

Car Nicolas Boukhrief se fait fort d’éviter toute surenchère. Visuelle, verbale, narrative : l’ancien rédacteur joue la carte de la sobriété, servant à merveille son sujet.

Les convoyeurs de fonds, univers méconnu, fantasmé par bien des côtés, à la dangerosité pourtant négligée. Ou vite balayée.

Avoue, toi aussi tu t’es déjà laissé aller à imaginer plonger la main dans un de ces nombreux sacs transitant dans des fourgons blindés : une fortune si proche, juste une liasse et ce serait réglé.

Le genre, c’est pas ton cinéma.

Mais tu le constateras, il n’a pas son pareil pour soulever et rendre si tangibles de telles ambiguïtés, de telles problématiques finalement symboliques de notre société.

En suivant le parcours vengeur d’Alexandre Demarre, à la recherche des assassins de son fils en bas âge, tu seras envahi par la colère, le dégoût, la souffrance, mais aussi l’empathie.

Le Convoyeur, tout à sa main, touche au plus profond de nos émotions, frappe le coeur, surtout par le corps.

Nanti par ailleurs d’une esthétique bleu-nuit, froide sans se montrer clinique, un hématome visuel qui imprime durablement la rétine. Les maux bleus, sans mot dire.

Et c’est sans aucun doute la première de ses qualités qui, quoi que tu puisses en penser, sera bien difficile à contester : exprimer, évoquer, éprouver de manière sensitive, et non réflexive.

Comme le journaliste Rafik Djoumi l’a très justement évoqué concernant Crimson Peak, Le Convoyeur, lui aussi, peut se voir comme « une œuvre se racontant avant tout par sa structure, et par sa texture ».

Dans cette optique, les séquences de fusillades (dont un climax renversant et étouffant) suffiront à te faire comprendre à quel point le travail de mise en scène, plus que tout autre versant, reste le plus important.

Avec en particulier, le soin apporté aux bruitages et à l’ambiance sonore, sans conteste un modèle du genre. Le bruit des balles tirées fait mal, les échanges de coup de feu s’éprouvent et se ressentent physiquement : il est possible que ça te surprenne, toi, le cérébral.

N’en vient pourtant pas à penser que cette mise en exergue de la violence s’avère sans desseins.

Le genre, c’est pas ton cinéma.

Son sens et sa cohérence n’en restent pas moins bel et bien là.

Sa logique reste d’une simplicité confondante. L’univers des convoyeurs de fonds est âpre, potentiellement violent, cadencé au rythme de braquages à main armée le couteau entre les dents ? Le film le sera en conséquence tout autant.

Le Convoyeur dit ce qu’il va livrer, et livre ce qu’il dit.

À ceci près que du polar attendu vendu comme tel, Nicolas Boukhrief en fait un film-somme, à la croisée des genres, magnifiquement porté par Albert Dupontel.

D’homme nanti anéanti, reconverti dans le convoyage de fonds afin de retrouver les bandits lui ayant tout pris, son personnage cristallise à lui-seul les enjeux-mêmes du film : prendre pour terreau la détresse et la soif de vengeance d’un individu, pour mieux mettre en exergue les contradictions d’une société aux idéaux au demeurant nobles (liberté, égalité, fraternité : devise dévissée), mais à la matérialisation notoirement défaillante.

Le genre, c’est pas ton cinéma.

Il place pourtant souvent – et Le Convoyeur n’y échappe pas – l’individu au coeur de ses enjeux, comme l’endroit du miroir, le reflet sociétal à l’envers. Partir de petit pour viser large. La ficelle n’est pas neuve – je te vois venir d’ici -, mais lorsqu’elle est mise en œuvre avec brio, pour notre part on s’incline, on persiste et signe : on ne peut que dire « bravo ».

Tout à tour polar urbain, western limite naturaliste, drame social on l’a dit, mais aussi vrai thriller au suspense bien senti, Le Convoyeur sert une histoire intimiste, de personnages, tout en se montrant ambitieux dans ses thématiques – immigration, exclusion, capitalisme, (in)justice, ordre, et morale – comme dans ses partis-pris visuels et scéniques fort à propos.

Ah ça, c’est sûr, on est loin de Navarro ou de Julie Lescault.

Ici, pas d’indolence ni de fadeur. On ne sort pas indemne du visionnage du Convoyeur.

Jean Dujardin te faisait rire ? Il te fera frémir. François Berléand, second rôle éternel ? Attends un peu de le voir hurler « Charles Martel ».

Parler de claque n’est pas galvaudé. On aurait même tendance à dire que c’est encore loin de la réalité. Cet instant où l’on se dit que l’on vient d’assister à quelque chose d’important : une prise de conscience par la souffrance, aussi traumatique que cathartique.

Le genre, c’est pas ton cinéma. Mais pour cette fois, donne-lui une chance : tu ne le regretteras pas.



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