Ah, que j’aime ces romans américains qui traînent en longueur sous le soleil brûlant de l’été alors que derrière les portes des maisons se trament silencieusement le drame d’une vie. Vous voyez ce dont je veux parler ? Il n’y a pas à dire, dans le genre, les Américains, ils maîtrisent. C’est le cas notamment de Steve Tesich – que l’on connaît déjà pour son Karoo – qui nous offre avec son Price un roman langoureux et lancinant qui fait son petit effet.
Dans la ville d’East Chicago, Daniel Price, dix-huit ans, finit le lycée. Commence alors le dernier été avant le reste de sa vie, une période vient de se terminer. Il traîne encore avec Larry – impulsif et taiseux – et Billy – gentil et casanier –, ses amis du lycée, ses meilleurs amis. Mais cet été 1960 n’est pas comme les autres. Dans une ville industrielle qui vit de la raffinerie, il n’y a pas grand chose à faire, toutefois le destin va donner à Daniel de quoi réfléchir, de quoi être perdu aussi. Il fait la rencontre de Rachel, qui l’hypnotise avant même qu’il ne la voie. C’est immédiat, c’est intense. Mais la jeune fille est mystérieuse, elle passe du coq à l’âne, ne répond jamais aux questions, change d’attitude à chaque minute. Si bien que Daniel ne sait absolument plus quoi penser de leur relation. Comment doit-il agir ? Que doit-il lui dire pour qu’elle se laisse aller complètement et devienne sienne ? Il est comme obsédé par cette jeune fille, même dans les pires moments. Car pendant ce même été, son père va tomber très malade, le genre de maladie qui rend irritable et nous oblige à revivre son passé. Entre lui et sa mère superstitieuse, entre ses amis qui s’éloignent et la découverte de lui-même, l’été de Daniel Price va filer en un éclair.
537 pages de remise en question, de scènes imaginées, de dialogues muets, de tourments amoureux. Mais 537 pages de pur bonheur. Il faut se laisser aller avec ce genre de livre, rien ne sert de vouloir tourner les pages à toute vitesse. C’est un roman avec lequel il faut prendre le temps et ne pas se presser, c’est seulement ainsi qu’on peut vraiment le savourer. Et alors que le froid s’abat sur nous, la chaleur de cet été américain fait vraiment du bien, la langueur dans cette lecture nous fait presque croire que nous sommes en vacances. Ce livre nous détend et nous plonge complètement dans un autre univers.
Ce qui est bien (paradoxalement) dans ce roman, c’est qu’on n’est pas obligé d’aimer le personnage principal. Cependant, sa vie nous intéresse et ça, c’est tout le génie de l’écriture de Steve Tesich. On apprend à connaître Daniel en même temps que ce dernier car cet été va être l’occasion pour lui de découvrir des facettes inédites de lui-même. On est happé par le destin de ce garçon et on veut savoir comment cela va évoluer et surtout comment lui va réagir. L’écriture est parfois très surprenante car d’un style assez commun, elle peut devenir d’un coup virulente, violente, charnelle, malsaine, enfantine. Les dialogues sont assez énigmatiques, je dois l’avouer, je les vois mal exister dans la réalité, mais dans la réalité de ce roman, ils ont tout à fait leur place et permettent de renforcer cette aura de mystère et de non-dit qui plane sur tout le livre.
Price, c’est tout une ambiance, et c’est difficilement descriptible car c’est avant tout une expérience à vivre, plus qu’une simple histoire à lire. Tout rentre en synergie pour faire de cette lecture un moment complètement à part du temps commun. Je ne peux donc que vous le conseiller !
Steve Tesich, Price, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jeanine Hérisson, dans une très très belle édition réalisée par Monsieur Toussaint Louverture qui a eu une sacrée bonne idée d’éditer ce roman de 1982.