" En prolongement du concert dirigé par Daniel Kawka et de la table ronde sur la musique " dégénérée ", explorez d'autres rares et belles musiques des compositeurs persécutés. On connaît mieux la musique de Ullmann et Schulhoff, morts tous deux en déportation, que celle de Smit et Weinberg. L'ampleur de la production musicale de ce dernier en fait l'égal de Chostakovitch ou Prokofiev. " (texte OONM)
Il est encore difficile, aujourd'hui, de faire cohabiter dans un même espace-temps des événements terribles et un moment de sérénité. Celui que procure l'écoute d'un concert.
Avec " Musiques interdites ", le propos est encore plus sensible. " Musiques interdites, musiques dégénérées " c'est la réhabilitation de compositeurs annihilés par un régime totalitaire pour qui, seuls, étaient acceptables les artistes s'inscrivant dans la plus pure des orthodoxies. Un des principaux critères étant, bien sûr, l'appartenance à la race élue et la haine pour les ethnies " inférieures " ! Quelle victoire que cette programmation. Certes aucun de ces compositeurs n'étaient réellement inconnus, mais étaient-ils connus du grand public ?
Cette programmation intelligente, sensible et combien courageuse devenait carrément héroïque au lendemain d'événements nés dans la tête d'humains (et oui !) pour qui musiques (quelles qu'elles soient) = insultes à Dieu ! Merci Valérie Chevalier pour avoir programmé, soutenu et maintenu ces concerts. Malheureusement, les faits graves dont nous faisions état, m'ont privé du bonheur d'entendre le premier de ces concerts, annulé ! Mais il restait ce " petit " moment d'exception, dimanche matin dans la salle Pasteur.
Salle bien remplie par un public de tous âges, matinal, pour un dimanche matin, courageux et sincère. Six musiciens jouant, selon les morceaux, en formations à géométrie variable, allant du solo de piano au quintette, en passant par le quatuor et le duo, nous on offert des moments de grande sensibilité. Le quatuor à cordes d'Ulmann, " modèle d'économie et d'expressivité ", déborde de concision et de sensibilité. Admirable ! Les œuvres suivantes, celles de Schulhoff et de Smit, plus surprenantes et d'approche apparemment plus difficiles, furent magistralement servies par l'imperturbable Christophe Sirodeau, au piano, et Michel Raynié, à la flûte.
Après l'entracte l'excellente surprise que nous réserve le quintette de Weinberg nous permet de (re..) découvrir un Grand musicien. Le moderato con moto initial, aux surprenants accents de quatuors beethoveniens, dresse un tableau baignant dans une mélancolie diffuse. Avec le deuxième mouvement, un allegretto, lancé par le violon et le violoncelle, suivis par le piano et l'ensemble de la formation, on retrouve le motif dramatisé de la quatrième symphonie de Tchaïkovski.
Ambiance lourde garantie ! Ce ne sont pas les danses d'inspiration populaire du troisième mouvement qui viennent y changer grand chose, se mêlant à des accents de valse désarticulée. Et c'est le quatrième mouvement, le largo, qui transcende l'émotion de cette œuvre attachante, malgré son ambiance cauchemardesque et sombre s'achevant sur un allegretto martelé, un ralenti " s'effilochant "... et une lueur d'espoir. Œuvre d'une exceptionnelle qualité, à l'intensité quasi insoutenable et qui, pourtant, justifie à elle seule la nécessaire démarche de " Musiques interdites ".
Merci et bravo aux musiciens, présents malgré la tristesse du moment, et à la clairvoyance de Valérie Chevalier.
Un lunch, très convivial, bienvenu après les émotions intenses de la matinée, m'a permis des rencontres et des échanges, toujours passionnants avec les interprètes. Sympathique Olivier Jung, violoniste, et charmante Florentza Nicola, alto. Des sourires et quelques phrases avec Valérie Chevalier et une rencontre, inattendue, avec le troisième contrebassiste solo de l'Opéra de Montpellier, musicien atypique, venu en " voisin ", Benoît Levesque, dont nous reparlerons plus loin.
Après avoir évoqué, à bâtons rompus, la qualité des interprétations et des œuvres choisies avec Hélène Arcidet, chargée de relations avec la presse, en route pour la Table ronde. Sous la houlette de Benjamin François, producteur à France Musique et modérateur des débats, avec la participation de Ph. Olivier-Achard, Y. Nommick, D. Kawka et W. Kamar, ces échanges qui s'annonçaient passionnants prirent, malheureusement, vite fin pour moi car un autre concert, très différent mais aussi captivant, m'attendait à l'Opéra Comédie. Néanmoins il est possible de retrouver l'intégralité des discussions sur Radio Aviva, sous forme de podcast.
Les musiciens
Michel Raynié, flûte, Alexandre Kapchiev et Olivier Jung, violons, Florentza Nicola, alto, Pia Segerstam, violoncelle, Christophe Sirodeau, piano.
Les compositeurs et les œuvres interprétées
Viktor Ullmann (1898-1944)
Quatuor à cordes n°3, opus 46.
Erwin Schlhoff (1894-1942)
Cinq pièces de jazz pour piano solo.
Leo Smit (1900-1943)
Sonate pour flute et piano.
Mieczyslaw Weinberg (1919-1996)
Quintette en fa mineur pour pianos et cordes, opus 18.
Liens
Viktor Ullmann, quatuor à cordes n°3, opus 46.Interprété par : Movses Pogossian and Radu Paponiu, violins ; Ningning Jin, viola ; James Kang, cello Mieczyslaw Weinberg, quintette en fa mineur, opus 18.
Interprété ici par ARC ensemble