Ces rencontres qui nous marquent
Un jour, par hasard, je suis rentrée dans une boutique située sur la Cuesta San Blas à Cusco, attirée par une tunique aux motifs amazoniens. Accrochée à l'entrée, elle contrastait avec les couleurs andines vives des locaux adjacents. C'est là que j'ai connu Mercedes, assise derrière une table.
En discutant un peu, j'ai fini par m'assoir sur une chaise que je n'ai quittée que 2h30 plus tard, le cœur plein d'émotion et la tête remplie d'images. Mercedes m'avait raconté son histoire, un lien unique avec l'Amazonie.
L'histoire de Mercedes est une de ces histoires empreintes de mysticisme qu'on a de la difficulté à croire tant elles semblent tout droit sorties d'un film.
En me voyant prendre des notes, elle était un peu réticente au début, expliquant que c'était une histoire très personnelle. Elle avait tout à fait raison. Innocemment, je n'y voyais qu'une histoire fascinante. Par respect et avec son accord, je préfère donc partager ici une version allégée de son récit.
Voici son histoire, à écouter avec l'esprit ouvert
" J'ai étudié en économie à l'université et j'ai travaillé dans un projet de la Banque mondiale (ONU). Plus tard, j'ai créé un cabinet-conseil et je voyageais régulièrement à Buenos Aires et au Brésil.
Un jour, à Sao Paulo, j'ai décidé d'aller voir une exposition sur l'Amazonie.
En sortant, j'étais complètement bouleversée et incapable de reprendre le travail. Quand je suis revenue à Lima, ma mère s'est forcément rendu compte du changement. Elle m'a dit : "tu dois faire ce que ton cœur te dicte ".
J'ai donc tout lâché et commencé à étudier le design ethnique en découvrant le grand éventail des vêtements de partout à travers le Pérou. J'ai ouvert un magasin à Lima avec une amie, où nous vendions nos œuvres, mais la " selva ", la jungle, continuait de m'appeler.
Un jour j'étais dans un taxi à Lima et j'ai aperçu à travers la fenêtre des femmes -de toute évidence d'Amazonie- en train de se faire expulser d'un magasin. J'ai dit au chauffeur de s'arrêter immédiatement pour aller voir ce qui se passait : le propriétaire ne voulait pas les payer pour leur travail. Après avoir pris leur défense, elles ont réussi à se faire payer une partie du montant prévu. Pas tout, mais une partie. Sans réfléchir, je leur ai dit de monter dans le taxi et on s'est toutes dirigées chez ma mère. Elles étaient Shipibas.
[Le peuple Shipibo-Conibo est un groupe ethnique d'Amazonie qui englobe 12 ethnies à travers quelques 150 petites communautés.]
Leur odeur, peut-être celle de la terre humide, me bouleversait, m'émouvait inexplicablement...
Le temps a passé, mais chaque jour la jungle m'attirait davantage. Quand j'ai commencé à travailler avec les tissus d'Amazonie, il m'arrivait d'être tellement émue que je devais arrêter ce que je faisais. Je restais là, à admirer les tissus que j'avais entre les mains.
Des signes de plus en plus forts
Un jour, un ami m'a proposé de faire une session d'Ayahuasca. Comme c'était un peu " dernière minute " (normalement il faut suivre une diète légère de plusieurs jours), je n'étais pas sûre d'y aller. C'est en voyant une kushma -une tunique typique d'Amazonie- sur le mur que je me suis décidée. Je me suis donc rendue à la session.
Durant la céréominie, j'ai vu une femme s'assoir à côté de moi et commencer à chanter. J'ai senti un profond amour pour elle, comme un amour enver une mère. En me réveillant, toute ébranlée, j'ai demandé à mon ami qui était cette femme...il m'a répondu que personne n'était venu. "
À ce stade du récit, j'ai senti des frissons m'envahir malgré moi. Elle poursuit:"Je ne comprenais pas ce qui m'était arrivé, mais je n'arrivais pas à oublier cet épisode.
Quelques temps après, j'ai vécu un autre moment révélateur. En arrivant chez moi, je me suis rendu compte que j'avais oublié mes clefs. Je suis donc retournée à ma boutique pour dormir. Par chance, j'avais un matelas car j'avais été faire du camping, Je me suis donc installée, en enfilant encore une fois la kushma, car c'est un vêtement très confortable qui est parfait pour dormir. Puis, la même dame que j'avais vue avec l'Ayahuasca est venue s'asseoir près de moi, alors que je n'avais absolument rien pris.
Son odeur m'a émue, encore une fois.
J'ai tout de suite appelé ma mère et je lui ai dit : " il FAUT qu'on parle. Tu dois me dire ce qui arrive, il y a quelque chose que tu ne m'as pas dit à propos de cette femme. "
Je suis arrivée chez mes parents. J'avais essayé d'aborder le sujet quelques fois auparavant, mais sans succès. La seule chose que je savais, c'est que lorsque j'étais toute petite, nous vivions en Amazonie car mes parents y travaillaient. Ils avaient engagé une jeune femme, envoyée par les Pères Dominicains, pour s'occuper de moi et de la maison.
Ce que je ne savais pas , c'est que cette jeune fille s'était occupée de moi durant les deux premières années de ma vie, en créant un lien affectif si fort, qu'elle se considérait elle-même comme ma mère. Pour elle, j'étais sa fille, ce qui a commencé à inquiéter mes parents.
Ils décidèrent éventuellement de partir à Lima et n'eurent plus de nouvelles d'elle.
Plus tard, ils apprirent qu'elle m'avait cherchée partout, allant même jusqu'à Lima. Elle avait sans doute avec cette terrible impression d'avoir perdu un enfant..."
Mercedes a terminé son histoire.Moi, je me sens toute petite sur ma chaise et je ne sais pas comment réagir. C'est que je ne sais pas ce que je ressens. Peut-être car au bien de-là des expériences mystiques qu'elle vient de partager, c'est une histoire sans gentil, ni méchant, mais remplie d'émotions profondes.
Bien sûr, tous les gens ont tous une histoire, mais celle-ci est sans doute la plus bouleversante qui m'a été racontée. Une vie avec un lien affectif si fort qui, même en tentant de le cacher, a réussi à traverser le temps.
Si vous passez par Cusco, n'hésitez pas à aller saluer Mercedes à sa boutique de la Cuesta San Blas. Elle saura vous parler avec amour de l'Amazonie et les peuples qui l'habitent.
Water and Earth
Adresse: Cuesta San Blas, 595 (San Blas) Cusco
L'histoire de Mercedes a été traduite de l'espagnol au français.
Photos: Monica Reyes