Le droit du travail pourrait prochainement offrir la possibilité aux salariés de « débrancher » le soir et le week-end. En attendant, des cures de sevrage aident les cyberaddicts à consommer les nouvelles technologies avec modération.
C’est une reconnaissance officielle du techno-stress. Depuis maintenant trente ans, les entreprises mettent à disposition de leurs employés toujours plus d’outils numériques sans véritablement s’inquiéter des risques induits. Une exposition à un flux ininterrompu de messages peut pourtant altérer la santé et l’équilibre de sujets sensibles.
Prenant enfin le sujet à bras le corps, patronat et syndicats de la conférence sociale étudient, depuis mi-octobre, le rapport de Bruno Mettling sur les impacts du numérique sur l’organisation du travail. La principale préconisation du DRH d’Orange porte sur l’instauration d’un droit et même d’un devoir à la déconnexion, rendant co-responsables employeur et employé.
Bruno Mettling : "La déconnexion est un droit" par FranceInfo
Le soir et le week-end, un salarié devrait pouvoir « débrancher » et ne pas répondre aux sollicitations de sa hiérarchie sans être sanctionné. Les salariés relevant de la convention collective Syntec-Cinov disposent de ce garde-fou depuis avril 2014.
Ce droit à la déconnexion vient compléter l’article L4121-1 du code du travail qui précise déjà que l'employeur doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »
Légiférer ne suffit pas
Mais pour nombre de professionnels RH, légiférer ne suffit pas. Nouveau DRH d’Akka Technologies, Didier Baichère prêche pour un dialogue de terrain pour faire émerger des solutions de bons sens. Il rappelle que le numérique peut aider les salariés à gagner en qualité de vie en articulant mieux la sphère personnelle et la sphère professionnelle.
Pour aider les DRH à trouver les meilleures solutions, l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse) a mis à jour, en janvier dernier, son guide sur le bon usage des outils numériques au travail. Avec différents exemples de chartes et d’accords collectifs.
Sur le terrain de la santé, Carole Blancot, directrice de l’agence SpotPink, préconise des cures de « detox digitale » aux salariés addicts à leur smartphone, en s’inspirant des méthodes en cours dans les pays anglo-saxons.
Aux yeux de cette psychosociologue clinicienne et psychothérapeute, le discours des entreprises est implicite. « Nous vous donnons les outils pour remplir les fiches de temps ou les notes de frais mais vous êtes libres de faire cela quand vous voulez. Des cadres vont effectuer ces tâches administratives chez eux pour être pleinement productifs de retour au bureau. »
De 3 à 5 % de la population victime de la cyberaddiction
L’adoption passe par plusieurs étapes. Durant la phase de découverte, l’utilisateur se rend compte que le numérique facilite les contacts, les interactions. Puis, il s’approprie ces outils. S’en suit une phase de pleine maturité.
« De là, la population se sépare en deux, observe Carole Blancot. Des employés ont un usage rationnel, modéré du numérique. Cela n’entraîne pas de nuisance personnelle ou psychologique. Et puis, il y a des salariés qui en font un usage inadapté ou intensif. »
3 à 5 % de la population, avec souvent des prédispositions, seraient concernés si on se réfère aux ratios statistiques en termes d’addictions. Ils culpabilisent de ne pouvoir répondre à tous les mails, perdent confiance en eux, éprouvent une grande lassitude. Une souffrance au travail qui la fait rentrer dans le périmètre des risques psycho-sociaux.
Tachycardie, tremblements, nervosité, troubles du sommeil… Aux symptômes physiques s’ajoutent les signes propres à la cyberdépendance comme le « Fomo » (Fear of missing out, la crainte de rater une information) ou le « Fobo » (Fear of Being Offline, la crainte d’être déconnecté).
Du sevrage à la déconnexion totale
Sans aller jusqu’à la déconnexion totale comme l’a expérimenté et raconté, dans un livre, Thierry Crouzet, suite à un burn-out numérique, des techniques de sevrage existent. Carole Blancot utilise la thérapie comportementale et cognitive avec des exercices adaptés à chaque cas afin de « limiter l’usage, de le rendre moins invasif. »
Après une phase d’audit en entreprise, la psychothérapeute établit un protocole préventif et curatif sur la base du volontariat et avec le consentement éclairé des intéressés « sans dramatiser ni stigmatiser les personnes en difficultés. » Une cure de detox digitale peut se tenir sur une semaine ou être étalée dans le temps sans être arrêté professionnellement.
Exemple de camp de detox digitale aux Etats-Unis : Camp Grounded via Forbes
Elle intervient aussi en séminaire interne comme chez Europe Assistance où les membres d’un service de contrôle de gestion devaient s’exprimer sur l’usage du mail et réfléchir à des solutions alternatives.
Alors que les entreprises anglo-saxonnes sont plus matures sur le sujet, Carole Blancot regrette que la prise de conscience des directions, en France, ne survienne qu’à la suite d’un événement inattendu comme la chute de productivité d’un service, un burn-out voire un suicide. « Plutôt que de parler de bonheur au travail – qui est un message certes plus vendeur – il faudrait mieux chercher l’épanouissement, le sentiment de réalisation. »