10 jours qu'ont eu lieu les terribles attentats du 13 novembre, 10 jours que l'on demeure hagardes...
Il nous a fallu du temps pour revenir ici, sur ce blog, témoin de nos passions frivoles et nous ne voulions pas revenir, comme ça, comme si de rien n'était...Certains sont peut-être passés à autre chose et nous vous prions de nous excuser si on vient encore ressasser l'indicible.
Ce blog on l'a après tout intitulé The Sisters' Diary, c'est donc notre journal alors, certainement parce qu'on en a grandement besoin, on va tout raconter à ce journal avec ce post qui risque d'être l'un de nos plus personnels. C'est moi Hayley, l'ainée qui emploie le "je" ici mais je parle pour toutes les trois, réunissant nos trois ressentis finalement assez universels.Le vendredi 13 novembre s'est déroulé comme n'importe quel autre jour de la semaine. La seule chose qui le rendait un peu spécial était sa date synonyme de superstitions et cette fébrilité à s'imaginer tout ce qu'on s'offrirait si on gagnait la super cagnotte...
Ce soir-là, Charley et moi dinions ensemble chez un couple d'amis communs. Une grande tablée avec des visages familiers et d'autres pas, on avait déjà commencé à refaire le monde, à se complimenter sur nos jolies chaussures, à commenter des histoires de coeur et puis, le compagnon de Charley, Franck, est entré dans le salon, lui qui faisait une contre-soirée avec les garçons dans la cuisine (un schéma somme toute classique!), et il nous a demandé d'allumer la télévision. C'est drôle mais à partir de là, je me souviens de chaque instant, chaque expression de visage et chaque parole et moi, connaissant son amour pour le foot, je lui ai dit que ça allait, qu'il n'allait pas nous embêter avec son match de foot...Et je me souviens encore de sa réponse un peu fébrile, décousue: "Non, il se passe des trucs là dans Paris...". La seule chose dont je ne me rappelle pas c'est l'heure qu'il était lorsque nous avons pris connaissance des événements, il devait être aux alentours de 22h, voire 22h30...C'est drôle parce qu'aujourd'hui je me dis que nous étions tous sacrément polis parce qu'aucun de nous n'avait son telephone à portée de main comme c'est aujourd'hui souvent le cas, personne n'avait encore vu d'alertes ou autres...Après, j'ai su que c'était notre père qui nous avait alertés, qui, n'arrivant à nous joindre ni Charley, ni moi, avait appelé mon mari en panique, soucieux de savoir ses enfants tous à l'abri. A partir de là, l'ambiance a radicalement changé, on ne savait pas encore trop ce qu'il se passait, les journalistes parlaient de fusillades, d'explosions mais pas encore d'attentats, mais on sentait bien qu'il se passait quelque chose de grave et je nous revois tous, les yeux rivés sur les chaines infos, un peu hébétés. Très vite, j'ai contacté nos trois plus jeunes frère et soeurs: Christy en pleurs parce qu'elle venait de quitter République et qu'elle se rendait compte de ce à quoi elle avait échappé et les deux plus jeunes au domicile parental...Avec du recul, je me rends compte que tous autant que nous sommes nous ne réalisions pas vraiment et pourtant, tous les curseurs étaient en alerte: nos visages soudainement très pales, mon corps tremblant comme jamais, ces (trop nombreux) verres de vin que nous buvions comme du petit lait pour se donner une certaine constance. Peu à peu, l'incompréhension à fait place à l'inquiétude: on a envoyé des messages aux amis pour s'assurer qu'ils allaient bien, une des invités était médecin et a reçu une alerte Plan Blanc (avant ça, je ne savais pas ce que cela signifiait), ce Safety Check de Facebook permettant de rassurer notre entourage mais tellement flippant quand on y est confronté et puis ces messages officiels nous invitant à rester cloitrer en lieu sur...C'était donc ça un vendredi soir à Paris?Et puis, je me souviens de Charley m'indiquant que nous avions des copains au Bataclan...Depuis quand devions-nous nous inquiéter de savoir que des amis étaient en train de s'éclater à un concert tout en sifflant des bières?
Nous sommes restés tard chez nos amis parce que nous étions dans un climat de peur, en "état d'urgence" comme le Président l'a dit. On ne savait pas trop ce que ça voulait dire mais ça foutait sacrément la trouille et on ne voulait pas s'aventurer dehors et se retrouver nez à nez avec un tireur: si, si c'est exactement ce que nous pensions. Je suis rentrée chez moi vers 3h-4h du matin et je n'ai pas dormi: la plus longue et terrifiante nuit blanche de ma vie. Je regardais obsessionnellement mon fil d'actualité Facebook pour enfin voir apparaitre un message rassurant au sujet de nos deux amis dont nous demeurions sans nouvelle. A ce moment-là, à aucun instant je n'ai pu imaginer le pire car naïvement, je ne pouvais, je ne voulais pas le croire et nous sommes restés accrochés de toute notre force à notre espoir, à faire diffuser leurs photos pour qu'enfin quelqu'un nous dise "ah mais oui, ils vont bien, je les ai vus".
Ca n'est jamais arrivé...
Depuis, on fait des cauchemars, on pleure, parfois sans raison, en promenant le chien, en riant quand nos gloussements se transforment en sanglots, on boit aussi, oui un peu trop, je sais, c'est pas bien...On reste là de longues minutes les yeux dans le vide. Certains parlent déjà des attentats comme d'un événement du passé, vous comprenez c'était il y a déjà 10 jours. Pour nous, c'était hier...Bien sur qu'on s'en remettra, heureusement d'ailleurs parce qu'il le faut bien mais, pas tout de suite, pas maintenant, on a encore besoin de temps, on se donne le droit de ne pas aller bien ces jours-ci, parce que à quoi bon faire semblant? (Par ailleurs, je vous conseille de lire le très juste article de Titiou Lecoq). Et puis même quand on ira mieux, on sait malgré tout que rien ne sera plus pareil, que ce vendredi 13 novembre nous aura changé à jamais, qu'on y aura laissé quelque-chose, certains parlent de notre insouciance et c'est peut-être ça en effet, je ne sais pas trop mais il est certain qu'alors que nous sentons un poids très lourd, parfois oppressant sur nos épaules et notre poitrine, nous nous sentons aussi étrangement vides, comme séparées d'une partie de nous-mêmes.
Alors oui il y a de la lumière, un beau ciel bleu en ce lundi, des fleurs plus fortes que les armes, des terrasses avec des cafés fumants, des jolies filles et des beaux mecs, une Tour Eiffel magnifique en bleu, blanc, rouge, Paris est une Fête d'Hemingway, des témoignages d'affection, des rires, de l'amour, des macarons de chez Ladurée, un bouledogue qui ronfle, de la musique,...et grace, et pour tout cela, on va relever la tête mais on n'oubliera jamais ce vendredi 13 novembre et comme on se raccroche souvent aux détails dans ces cas-là, je n'oublierai jamais non plus l'audacieux décolleté que portait la jolie Coco ce soir-là!
A Pierre et Stéphane...