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INFIRMIÈRE de pratique avancée, une évolution de métier nécessaire – Lettre ouverte

Publié le 23 novembre 2015 par Santelog @santelog

INFIRMIÈRE de pratique avancée, une évolution de métier nécessaire – Lettre ouverteL’exercice infirmier en pratique avancée a été adopté le 15 avril dernier par l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi relatif à la santé (Art. L. 4301-1 du Code de la santé publique) [1]. Ce vote fait suite à l’annonce en 2013 de la mise en place d’Infirmières cliniciennes dans le cadre du Plan Cancer III [2], par le Président de la République. Ces évolutions sont globalement positives.

Elles traduisent un dynamisme et sans doute également une recherche de fidélisation dans un métier où la durée de vie professionnelle à l’hôpital n’excède pas 7 à 8 ans. Mais ces changements ont également généré une grande confusion et des interrogations sur les rôles et places de chacun, une disparité des formations et grades universitaires, des diplômes d’exercice, déconnectée d’une reconnaissance salariale ou statutaire. À contre sens de ces changements fondamentaux, l’image de l’infirmière vis-à-vis du grand public a peu changé, et reste très favorable.

La mise en place d’infirmiers en pratique avancée (IPA) est une opportunité de structurer, d’optimiser et de faire connaître le métier d’infirmier qui regroupe près de 640.000 professionnels en France [3], au service de la population. Mais, sans objectif ni réorganisation clairs, cette initiative ne risque-t-elle pas d’être coûteuse, inutile et éphémère ?

Qu’est-ce qu’un infirmier en pratique avancée ?

   Deux rapports ont initié ce processus de changement en France. Le rapport d’Yvon Berland (2003) met en avant la nécessité du “transfert de tâches” et de compétences [4]. Celui de 2011 (Laurent Hénart, Yvon Berland et Danielle Cadet) porte l’accent sur la notion de métier [5]. Dès 2009, l’université d’Aix-Marseille, en partenariat avec l’École des hautes études en santé publique (EHESP), ont formé des infirmiers en sciences cliniques infirmières (SCI) à un niveau master, avec trois spécialités : IPA en cancérologie ; IPA en gérontologie et infirmière coordinatrice de parcours complexe de soins. L’Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, en partenariat avec le Centre hospitalier Sainte-Anne, propose également depuis plusieurs années un master de SCI sur Paris.

   Comprendre l’intérêt des pratiques avancées nécessite de prendre en compte la considérable évolution des soins infirmiers cette dernière décennie. Le travail du cadre de santé est à présent priorisé sur des missions de gestion-management devenues indispensables dans l’organisation hospitalière. Cette évolution du métier a eu pour effet d’éloigner le cadre de santé de sa fonction clinique auprès des patients et de leurs familles et des missions de formation des personnels, en coopération avec les médecins. De nouvelles activités ont émergé, tant en ville qu’à l’hôpital, telles que les infirmières coordinatrices ou les infirmières de recherche clinique. Depuis 2007, la profession infirmière s’est partiellement  » universitarisée « .

Une infirmière de pratique avancée a acquis les connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de son métier ; pratique avancée dont les caractéristiques sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière est autorisée à exercer. Un master est recommandé comme diplôme d’entrée (CII, 2008) [6]. La pratique avancée est clinique. Elle est centrée sur le patient et/ou les aidants en tant que partenaires de soins. Six compétences clefs définies par Ann Hamric (2014) [7] font consensus au niveau international : le coaching, la consultation, la recherche, le leadership professionnel et clinique, la collaboration et la prise de décision éthique.

Quelles activités ?

   Les domaines où pourraient intervenir les IPA sont nombreux (oncologie, gériatrie, accès aux soins, plaies et cicatrisation, soins palliatifs, néphrologie, psychiatrie) et pourraient renforcer l’efficacité des mesures de santé publique jugées comme prioritaires, en grande proximité avec le terrain, les malades et leurs accompagnants.

   Ces infirmières pourraient avoir une plus grande autonomie pour exercer des activités de prévention et d’éducation, de surveillance et réalisation d’actes techniques, voireun droit de prescription élargie. Elles pourraient donc prendre le relais du médecin, avec son accord, pour des patients atteints de pathologies chroniques et nécessitant un suivi rapproché, ou pour lesquels une prise une charge spécifique serait bénéfique (ex : éducation thérapeutique, traitement des plaies, suivi des chimiothérapies orales…).

   Cette évolution du métier d’infirmier vers les pratiques avancées doit donc être conduite en concertation avec tous les professionnels de santé concernés, mais également avec détermination, afin d’offrir un service coordonné, de proximité et de qualité par une interface entre le patient et les médecins, priorisée vers les populations les plus vulnérables (isolement géographique ou social, maladie grave ou chronique, âge extrême, dépendance). 

Quelle utilité sociale ?

De nombreux travaux montrent l’intérêt de l’IPA, qu’il soit en termes de satisfaction des patients, parents et aidants, médecins, de réduction des coûts voire de rentabilité. Parmi les nombreux articles à ce sujet peut être cité celui de Kelley Kilpatrick (2014) qui montre même la perception de l’efficacité dans une équipe comprenant des IPA [8]. Une étude très récente (2015) de Deborah A. Marshall (et les études ancillaires de ce travail) présente des données robustes pour la satisfaction des patients/parents, l’amélioration d’examens sanguins, la détection d’adénomes pour les colonoscopies de dépistage. Elle met en évidence une tendance de la rentabilité, même s’il manque encore de preuves solides pour tirer des conclusions claires sur le coût-efficacité des IPA [9]. Un exemple pratique moins récent de David R. Thompson (2005) a prouvé l’intérêt de l’IPA dans l’insuffisance cardiaque avec un impact important sur la diminution de la ré-hospitalisation et le rallongement du temps entre deux hospitalisations [10]. Christine E. Eibner montre même que la sous-utilisation des IPA a un coût de 4 à 8 milliards par an aux États-Unis dans un seul état [11]. Les exemples dans la littérature scientifique peuvent être multipliés et ils vont tous dans le même sens.

Quelle formation ?

   Les formations des professions médicales et paramédicales ont la particularité de dépendre des deux ministères, celui de la Santé, qui définit le diplôme d’exercice et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, qui délivre les diplômes d’exercice, titres et grades universitaires. Ce système, riche de sa complémentarité, impose qu’il y ait concertation et coopération les deux ministères, notamment lors de la mise en place de nouvelles qualifications, avec un risque plus élevé d’immobilisme, du fait des corporatismes naturels.

   L’université s’est ouverte aux infirmières avec une reconnaissance du diplôme d’État au grade licence. Les offres de masters se sont multipliées et le nombre d’infirmiers docteurs en sciences (PhD) est en constante progression, même si leur incidence reste très faible en France comparativement aux États-Unis, à la Suisse ou encore au Canada. Pour autant, de nombreux diplômes universitaires existent (diplôme universitaire – DU – ou interuniversitaire – DIU –, M1, M2), mais ne sont pas reconnus dans l’exercice des fonctions des métiers paramédicaux en particulier. Une infirmière titulaire d’un master ou d’un doctorat en lien avec sa pratique professionnelle peut être sur un échelon inférieur à un cadre de santé. En résultent des incompréhensions, des iniquités et unedévalorisation de compétences potentiellement utiles aux patients. La discussion au sujet des IPA peut être une bonne opportunité de le faire. En outre, il est nécessaire de revoir la situation des cadres de santé, leur formation professionnelle et universitaire au grade de master.

Cette évolution va dans le sens du progrès et des attentes de la société. Seuls sont décrits les contours d’une évolution de métiers à fort potentiel qui doit se positionner dans l’organisation, et de l’offre de soins dans un contexte socio-économique contraint où chacun tend à protéger ses acquis. Dans cette situation, il est à craindre que cette évolution soit mal comprise, mal adaptée et/ou se surajoute à d’autres services (ex : réseaux), entraînant un surcoût inutile pour la société.

En conclusion, la création des métiers d’IPA va bouleverser, d’une part, l’organisation de la prise en charge des malades, et d’autre part les interfaces entre les activités des médecins, des infirmières, des IPA, voire d’autres professionnels de santé. Les propositions à venir devront passer par un accord sémantique, une cohérence juridique au sein du Code de la santé publique, une reconnaissance sociale et financière des activités mises en œuvre par tous ces professionnels de santé, et l’application des prérequis universitaires pour la délivrance des diplômes.

L’émergence des infirmières cliniciennes de pratiques avancées (ICPA) doit s’articuler avec les infirmières spécialisées, dont la présence dans le Code de la santé publique n’a plus de justification, sauf à ce qu’elles ne soient considérées que comme des exceptions. Il pourrait donc être proposé que les infirmières spécialisées (ex : puéricultrices, infirmière de bloc opératoire – IBODE) deviennent infirmières cliniciennes (M1 ou M2) et puissent évoluer secondairement, si elles le souhaitent, vers les pratiques avancées.

Les domaines cliniques qui justifieraient la présence des infirmières cliniciennes spécialisées (ICS) ou IPA, et donc la création de ces filières de formation, doivent être rapidement identifiés.

Tout cela va nécessiter un travail complet, visant à expliciter les activités, le contenu des métiers, les compétences à acquérir et les formations à mettre en œuvre. Il s’agit de de responsabilité professionnelle. L’État, les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur, mais aussi les syndicats et les caisses d’Assurance maladie devront assumer leurs responsabilités dans le cadrage juridique et financier, tout en y associant les autres professions de santé, notamment les médecins. De belles perspectives à venir !

Auteurs :

   Isabelle Fromantin, Infirmière PhD, Unité Plaies et Cicatrisation, Institut Curie Paris

Chercheur associé, Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, Chaire Recherche Sciences infirmières, Laboratoire Éducations et Pratiques de Santé (LEPS), EA 3412, UFR SMBH, F-93017, Bobigny, France

   Chantal Eymard, enseignant chercheur (MCF HDR), Aix-Marseille-Université, chercheur EA 4671 Apprentissage Didactique, Evaluation, Formation (ADEF)

   Monique Rothan Tondeur, titulaire de la Chaire Recherche Sciences infirmières

Université Paris 13, Sorbonne Paris-Cité, Laboratoire Éducations et Pratiques de Santé (LEPS), EA 3412, UFR SMBH, F-93017, Bobigny, France – AP-HP, Chaire recherche Sciences infirmières, Paris, France

   Pr Claude Huriet

Références

[1] http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2014-2015/20150208.asp

[2] http://www.gouvernement.fr/action/le-plan-cancer

[3]http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/autres_professions_de_sante._synthese_des_effectifs_au_1er_janvier_2015.pdf

[4] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/034000619/

[5] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/114000061.pdf

[6] http://www.icn.ch/fr/abouticn/about-icn/

[7] Hamric, A. B., Hanson, C. M., Tracy, M. F., & O’Grady, E. T. Advanced practice nursing An integrative approach (5th ed.), 2014, St Louis, MI: Elsevier Saunders

[8] Kilpatrick K, Lavoie-Tremblay M, Ritchie JA, et al. Advanced practice nursing, health care teams, and perceptions of team effectiveness. Journal of Trauma Nursing. 2014 ; 21(6) :291-9.

[9] Marshall DA, Donald F, Lacny S, et al. Assessing the quality of economic evaluations of clinical nurse specialists and nurse practitioners: A systematic review of cost-effectiveness. NursingPlus Open. 2015; 1: 11-7.

[10] Thompson DR, Roebuck A, Stewart S. Effects of a nurseled, clinic and homebased intervention on recurrent hospital use in chronic heart failure. European journal of heart failure. 2005; 7(3) : 377-84.

[11] Eibner, C, Hussey, P., Ridgely, M. S., & McGlynn, E. A. (2009). Controlling health care spending in Massachusetts. RAND Corporation.


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