Voilà un petit livre rare, précieux, non seulement pour tous ceux qui admirent l’œuvre de Follain, grand poète de l’instant et de la mémoire, mais aussi pour tous les amoureux de la langue dans ses recoins, ses niches, ses bizarreries et ses surprises. Follain avait bien conscience de la singularité et de l’originalité de son entreprise. Il le souligne d’entrée dans sa préface (« l’argot ecclésiastique (…) n’a jamais été relevé »), tout en affichant une modestie qui convient à la taille de l’ouvrage : « ce petit glossaire que nous tentons demeure certainement incomplet » (p.7).
À la fin de sa postface, savante et joyeuse à la fois, Elodie Bouygues fera facétieusement faire un pas de plus à la recherche lexicologique dans ce domaine assez particulier (pp.77 à 81). Auparavant, elle éclaire un paradoxe de l’auteur de Canisy : alors qu’il s’affirme agnostique, pourquoi cette recherche de Follain sur l’argot des religieux ? Pour Elodie Bouygues, cela répond à une double passion du poète « pour les rites et pour la langue » (p.58). Cela rejoindrait sans doute une autre pente follainienne, celle pour la cuisine : noms de plats, curiosités régionales, recettes, rituels de table… Il faut relire des ouvrages comme son magnifique Paris, ou À table, ou sa très curieuse Célébration de la pomme de terre…
En ce qui concerne la religion, la curiosité du poète est aussi attirée par la mise en scène, l’apparat, les règles et usages d’un monde clos sur lui-même et comme atemporel. Un peu comme le monde bas-normand de l’enfance, avant le cataclysme de 14-18 : voir L’épicerie d’enfance, ou Canisy… Il y a sans doute chez Follain le désir de conserver trace de ce monde religieux (langue, vêtements, cérémonies…) dont le décorum immémorial est en train d’être bousculé par l’histoire. L’édition originale du glossaire date de 1966 ; le livre a été édité chez Jean-Jacques Pauvert, qui a publié la même année les Carnets de Sade ( !). Et on sent bien que Follain, sans être croyant, voit d’un mauvais œil la tenue de « clergyman » venir concurrencer la soutane avec « sous-ventrière » (p51). On retrouve ce souci de noter le passage du vent de l’histoire dans des commentaires assez drôles dans leur attention au détail : « Ceinturon. Ceinture ecclésiastique se fermant par des boutons-pression. Pendant longtemps, la ceinture ecclésiastique, qu’elle soit à frange ou non, se noua toujours sur le côté gauche. Beaucoup de prêtres ont fini par adopter par commodité la ceinture se fermant par boutons-pression. Ils l’ont appelé ceinturon. Il n’empêche que certains ecclésiastiques, prélats ou non, continuent à porter la ceinture classique et celle même à franges de soie. »(p.22)
En définitive, c’est bien l’humour qui fait le sel de ce livre : humour de Follain, à travers même le ton sérieux, docte et objectif de ses commentaires, mais en premier lieu, humour des ecclésiastiques eux-mêmes. Elodie Bouygues note avec raison que « l’argot inventorié ici se rapproche en réalité d’un jargon » (p.66) : ce n’est pas une langue qui couvre tous les aspects de la vie humaine, ou une technique de déformation multi-usages (verlan, loucherbem…), mais seulement des expressions qui renvoient à un milieu, à un travail, à une population spécifique. Et cette routine ecclésiastique, en vase clos depuis le séminaire, fait naître un lexique à usage interne, comme dans n’importe quel corps de métier. Pour les ecclésiastiques, rien d’étonnant à ce que leur glossaire vise essentiellement le vêtement, la liturgie, la hiérarchie ou le quotidien du prêtre : le lecteur apprendra ainsi (et souvent pourquoi) « l’Ami du clergé » désigne la bouteille de Calvados (p.11), ou « ma femme », le bréviaire (p.29). On apprendra de même, et tout aussi drôlement, ce qu’est « un chanoine Ogino » (p.43), ou un « chou tardif » (p.23), un « homard »(p.33), « une messe à trois chevaux » (p.42)… Dans la plupart de ces expressions on retrouvera un mélange d’observation et de dérision douce. Mais on notera aussi que cet argot n’investit pas l’espace du sacré proprement dit (texte, sacrements…) ; il reste cantonné à la vie des ecclésiastiques qui souvent doivent « biner » (p.18), et parfois se font « crosser »(p.24), voire « couaquer » (p.23)…
Les dessins de Frédérique Loutz accompagnent ce glossaire, un peu à la manière d’un abécédaire souriant.
En des temps difficiles, cet ouvrage de Follain est le bienvenu ; son auteur n’est ni blasphématoire ni antireligieux, mais il est très sain de « désacraliser avec bonhomie tous les aspects de la vie liturgique » (p.72), surtout lorsque ce travail est fait par les ecclésiastiques eux-mêmes. Sous l’appareil imposant, la pompe, le décorum et les grandes orgues, leur argot dit simplement la routine du rituel et des préoccupations quotidiennes, la frustration et la vanité parfois, l’envie de rire, aussi.
Antoine Emaz
Jean Follain, Petit glossaire de l’argot ecclésiastique, Dessins de Frédérique Loutz, Editions L’Atelier Contemporain, 90 pages – 15 €.