Je fais le tri, ô combien vain, de papelards, photos, bazar, dont je me débazarde en ce moment, le dimanche est propice à ça. Je tombe sur les photos de Simon. Cette aprèm vingt deux novembre 2015 je retrouve les photos de Simon... Salut le piaf, salut le rouge-gorge, salut Simon ! Je me souviens très bien de lui. Sa brève présence dans ma vie.
Fêtes d'Amou dans les années soixante, début. C'est l'été, la fête bat son plein. Auto-tampons fabuleuses de mon enfance. Inquiétantes aussi. On s'y décanille, on s'y vise et on s'y frappe. Tous les coups sont permis. Le premier rêve réalisé matériel d'une enfance de môme. C'est électrique, ça gronde, ça grésille, des fils bleus d'acier électrique à la voûte du treillage qui donne le jus aux bolides te suivent à perdre haleine, traînées de feu jouissif. La piste est rude, le parcours semé d'embûches. Un pote que t'as pas vu te dézingue par le travers. Tu lui rends coup pour coup. Y'a un bruit d'enfer, la musique, l'odeur des churros et de la barbe à papa, des flons-flons de la course landaise. La fête quoi. C'est génial !
Le mardi, les forains replient leurs barnums. Leurs camions vomisseurs de lourde fumée noire s'ébranlent. Passent le pont. À l'année prochaine !
Pour Simon c'est plus la fête. Le mercredi il est assis sur un banc du fronton. Souriant. Il fume sa clope. Je m'approche de cet homme étrange, je discute, il discute...
- Qui t'es toi ?
- Je m'appelle Simon
Il dort derrière le fronton, par terre, à la belle étoile, il n'a rien, pas même une brosse à dent, pas la moindre chemise de rechange. Ses boss ont embarqué par mégarde (?) son baluchon. Il n'a que ce qu'il a sur lui et un billet de dix francs dans la poche. Je raconte l'histoire à ma mère. Elle a toujours nourri les gosses de misère, les clodos et les chats & chiens errants. Ma mère et son coeur. Elle organise son plan ORSEC. Je lui ramène des sandwiches, des fruits, de l'eau. Je vais lui acheter des clopes en tremblant car c'est un achat de "grand". Il va rester quatre jours à Amou. Sur son banc, à faire de superbes ricochets dans l'eau stagnante et paresseuse du Leuy, à écouter les enfants, nombreux autour de lui, à rire et à les faire rire, à répondre aux questions des flics qui ne tardent pas à repérer le zigoto et à lui demander le pourquoi du comment, à le laisser enfin tranquille.
J'observe Simon, souvent. Il m'intrigue. Il n'a rien et il est heureux. C'est étrange pour moi. Quand je retourne dans ma maison après avoir fait une visite à Simon, je prends conscience pour la première fois de ma vie que je suis heureux.
Un soir Simon me dit que le lendemain il serait parti, il me fait cadeau de son beau briquet à gaz en me disant que ça ne lui sert plus car il n'a pas d'argent pour la recharge. Je repars avec le trésor dans la poche. Ma mother qui sait tout, qui voit tout, qui entend tout, me tire les vers du nez rapport au briquet, au beau briquet gainé de cuir noir. Elle m'envoie avec une pièce au bureau de tabac pour faire la recharge et m'enjoint d'aller directo lui rendre. Il fait presque nuit, Simon est sur son banc du fronton. Je lui rends l'objet. Il est ému, il me dit de remercier ma mère pour tout. Et il fait ensuite un truc que personne n'avait fait avec moi, aucun adulte. Il me tend sa main pour une poignée de main, une vraie poignée de main. J'hésite, je sais pas faire, je le pogne maladroitement et on se serre la main. Il me dit juste deux mots du style qu'il avait été content d'avoir été viré pour passer ces quatre jours à Amou, "de rencontrer la gentillesse de toi et de ta mère". Le lendemain matin, je me suis rendu avec ma bécane-turbo à la Técouère, il n'était plus là. Je m'en doutais, mais les mômes ça espère toujours...