Le modèle perdant / perdant du streaming

Publié le 21 novembre 2015 par Philippe Delaide

Deezer reporte son introduction en Bourse et Qobuz est placé en redressement judiciaire.

Le modèle du streaming, qui maintenant dépasse largement celui du téléchargement (les revenus du streaming représenteraient au moins la moitié des ventes numériques de musique), s'avère également désastreux pour les artistes (la rémunération est de l'ordre de 0,002 € par écoute pour un artiste). L'excellent article de France Musique (musique classique et streaming : que touchent les artistes ?) décrit très clairement, avec un graphique, que sur le montant mensuel moyen payé par un abonné sur une plate-forme de streaming (9,99 €), 0,46 € reviennent... à l'ensemble des artistes qui ont été écoutés par ledit abonné sur le mois.

Ce modèle ne rémunère donc pratiquement pas les artistes et guère plus les labels.

En outre, des nombreux observateurs, et visiblement des investisseurs, restent sceptiques sur le modèle économique des acteurs eux-mêmes du streaming. L'abonnement à 9,99 € / mois peut s'avérer insuffisant, compte tenu des coûts d'exploitation de ces plates-formes qui doivent garantir un niveau de service élevé, tout en gérant de nombreux titres et une base de plusieurs millions d'auditeurs (le catalogue en ligne de ces plates-formes entre, par exemple Deezer et Spotify, peut être estimé à environ 30 millions de titres pour Environ 6 à 15 millions d'abonnés (d'ailleurs Spotify compte 60 millions d'utilisateurs pour 15 millions qui payent pour un abonnement) (6 millions d'abonnés payants pour Deezer).

Le cas Qobuz montre à quel point la recherche de qualité peut être confrontée à cette "commoditisation" de l'écoute désespérante chez nombre d'auditeurs, à un manque cruel de soutien des pouvoirs publics (à quoi sert le Ministère de la Culture ?) pour soutenir un acteur qui cherche à servir les mélomanes avec des écoutes HD, sur le répertoire classique, le jazz, la chanson française. Le modèle n'est visiblement pas viable et les repreneurs ne semblent pas se bousculer... C'est d'autant plus rageant que les offres haut débit des FAI, notamment avec la fibre, permettent désormais de servir confortablement ce type de service. L'obstacle n'est donc plus technique mais bien économique. On est arrivé à une absurdité consistant à considérer que la consommation de musique doit être quasiment gratuite, alors que les coûts de production / promotion / diffusion des enregistrements sont incompressibles et que les artistes ne travaillent pas seulement pour la gloire. Le tendance semble être la même pour le cinéma avec des enjeux encore plus importants, vus les budgets de production.

Je ne pense pas que l'accord dit "historique" sur la juste rémunération des artistes pour la filière musique, signé par la Ministre de la Culture, après la médiation opérée par Marc Schwartz, conseiller maître à la Cour des comptes, suffise à mettre en place des modèles qui permettent à chacun d'y retrouver son compte.

Pour l'instant, les modèle est visiblement perdant au moins au carré (artistes, plates-formes), voire puissance 4 (artistes, plates-formes, labels et... auditeurs, sur la qualité de l'écoute).