Après des audiences encourageantes avec la série P’tit Quinquin (2014), ARTE Creative investit pleinement dans la naissance de séries télévisées françaises originales. Au Service de la France lançait son opération séduction en 12 épisodes réalisés par Alexandre Courtès (A l’origine de nombreux clips vidéos musicaux de groupes comme Air, Noir Désir, U2, Alice in Chains …), ficelé et scénarisé par Claire LeMaréchal, Jean-François Halin (Scénariste des films OSS 117 avec Jean Dujardin.) ainsi que Jean-André Yerlès. (A l’origine de l’écriture des dialogues des Guignols dans les années 1990.) Sans se soucier d’un pointillisme historique, Au Service de la France y a préféré la voie de l’humour, de la dérision, et la désacralisation de l’idée très en vogue du « C’était tellement mieux avant … ». Jusqu’alors, peu de créations cinématographiques prirent le risque de critiquer la France de l’ère de Gaulle à travers cet angle. En retranscrivant une exagération administrative et comportementale, la série télévisée se donne pour mission de déconstruire l’angélisme des années 1960 de la France. La vie d’après-guerre, le nationalisme aveuglé, un pays qui cabotine en matière de liberté ou d’ouverture d’esprit : le spectre thématique ne loupe presque rien.
En imaginant le pire, le rire prend la forme de grosses ficelles digne des films OSS 117. En misant sur de nouveaux visages et des talents neufs, Au Service de la France réalise un risque payant. Le jeu d’acteurs se déploie sans aucune retenue tout en démontrant une cohérence plaisante. Malgré une saison 1 habile, la saison 2 devra corriger les problèmes de rythme, les soucis d’imprécision et le manque de profondeur.
Le rire, général.
L’administration à son plus haut degré. « Tamponné ! Double Tamponné ! »
La nouvelle recrue des services secrets français s’appellera André Merleaux (Interprété par Hugo Becker). Comme le prévoit le protocole, ce n’est qu’en gravissant les échelons et en remplissant des missions pour la France que l’agent Merleaux pourra espérer être officiellement titularisé. Pour ce faire, un seul moyen : il faut apprendre d’aînés considérés comme la crème de la crème des agents secrets afin de devenir un agent impliqué et le double quasi parfait de ses collègues. Rapidement, le spectateur saisit qu’être inspiré par ses pairs signifie suivre des procédures, remplir des papiers normalisés : en un mot, être proche de la bêtise plutôt que dans la réflexion, la concentration ou l’intelligence. S’y ajoute une gangrène administrative aiguë et des services peuplés d’agents secrets sots, imbus de leur personne et fiers de leur pays. Malgré une mentalité influencée par une société machiste, nationaliste et colonialiste, Merleaux partage une incompréhension vis-à-vis des procédures abondantes et ignore tout de ce qu’est « un bon agent ».
Les 12 épisodes gagnent à être découverts grâce à des acteurs méconnus. A gauche, Hugo Becker. A droite, Mathilde Warnier.
Sous les faux airs d’un Alain Delon, la jeunesse, la modestie et le talent en supplément, l’acteur Hugo Becker accomplit sans erreur un rôle où la crédulité et le sérieux administratif devaient être se mêler dans une attitude de jeune premier. Nombre de moments où la rigueur était de mise, le rire éclate : Merleaux se voit sermonner pour avoir pris le risque de décrocher volontairement un téléphone, la jeune recrue échoue à l’une de ses missions à cause d’un formulaire rendu en retard … La comédie, singulière, réussit là où la sottise s’exerce et s’érige en norme de bon fonctionnement. Avant d’atteindre un épisode 12 plus dramatique, l’ironie inspirée de nos lourdeurs actuelles, le regard se veut culturellement décalé (« L’Algérie est française » pour l’agent Jacquard.), tout concourt à maintenir une France qui n’est pas si glorieuse.
L’agent Merleaux découvre la vie administrative et non rêvée d’un Agent 007 sur le terrain et toujours en action.
Conformément à une écriture qui joue la carte de la désillusion, le scénario progresse en parfait inverse du quotidien mouvement d’un agent 007. Dans Au Service de la France, le charme et l’action se substituent à des frais de comptabilité, (Episode 1), des agents en grève, l’élimination aimable de collègues pour grimper plus facilement dans la hiérarchie … En fond, l’historicité superficielle aborde des blessures nationales qui pèsent encore sur la France : quid des collaborateurs au sein d’une administration ? Des membres de qui affichaient ouvertement leur loyauté au régime de Vichy ? Le rire à gros sabots aborde des thèmes généraux pertinents qui, en raison de leur latence, annoncent une saison 2. La faible précision historique nécessitera de renouveler ses ressources sous peine de perdre toute originalité.
« Donnez-moi du mou ! »
Les agents Calot, Jacquard et Moulinier oeuvrent pour la France … En grève.
Au Service de la France donne un aperçu drolatique du fleuron de l’espionnage français et, parallèlement, dégage assez peu de suspens : les modestes bureaux parisiens du renseignement vivent de doux jours qui chantent où le temps s’écoule lentement … Les épisodes successifs s’enchaînent par leur courte durée (Environ 20 minutes par épisode.) bien plus que pour leur capacité à maintenir notre curiosité éveillée. La Saison 2 aura un défi majeur à corriger sous peine de perdre sa bonne volonté et son aisance à l’exagération. Un nouvel espoir pourra se faire valoir grâce aux éléments non traités dans la Saison 1. Ce que l’on reprochera volontiers à ces 12 épisodes tient à un manque de profondeur : la guerre d’Algérie méritait plus développée par exemple. (Le but n’est pas de créer un point de vue sur l’Algérie mais de l’insérer avec exagération, humour … à l’image du reste de la série.)
Au Service de la France pointe du doigt ce qui est souvent oublié et omis. Entre le cliché et la réalité d’une mentalité, il n’y a qu’un minuscule pas …
Quoiqu’on l’on en dise, sa longueur peu rythmée autorise une direction de la photographie réussie tout en mettant au devant de la scène des acteurs méconnus et capables de démontrer des talents respectifs convaincants. (Mathilde Warnier, Joséphine de la Baume, Hugo Becker …) Ne manque peut-être à ces personnalités que des pincées de précisions, celles qui permettront de s’attacher durablement à ces êtres fictifs. Le travail de dégrossissement des personnages apparaît à la toute fin de la série : la famille du protagoniste central présente un intérêt spécifique, l’un des agents (Calot) vit une scène surnaturelle après avoir porté un bonnet d’âne dans l’ensemble des services secrets français …
Malgré quelques défauts, Au Service de la France sort avec les honneurs. Et une certaine élégance bienvenue.
En l’état actuel, la qualification de série télévisée se montre valable pour son séquençage, moins pour l’envie intenable à connaitre la suite et fin de la saison 1. Dommage que le constat final prenne plus l’apparence d’un focus sur une ou deux personnalités du service plutôt qu’une tension scénaristique constante. La Saison 2 permettrait de combler ici et là les imperfections du tableau pour se résumer, globalement, à un affinage scénaristique et à une progression dynamique dans la comédie. S’il existe une identité française de la série télévisée, Au Service de la France manie doucement mais sûrement la grande partie de ses qualités : des talents issus, parfois, du monde théâtral, une certaine élégance, sa facilité à grossir le trait pour mieux en rire. (Sans verser dans le grivois ou un langage caricatural.)
Au Service de la France séduit par sa simplicité, sa manière à introduire le pire pour en rire. Le résultat se critique davantage une fois les 12 épisodes visionnés : dans son ensemble, il ne se passe pas d’énormes bouleversements scénaristiques qui inciteraient à (re)voir l’intégralité des séquences. Le scénario, peut-être linéaire, se tisse grâce à des gros plans rapides sur la vie de la nouvelle recrue sans approfondir outre mesure l’esquisse de quelques bonnes idées. Se dégage un divertissement agréable, malin, interprété par des actrices et acteurs habituellement bien discrets. Une découverte d’intérêt à voir et à suivre pour sa Saison 2.