446ème semaine politique: Vivre avec le terrorisme... et notre classe politique.

Publié le 21 novembre 2015 par Juan

C'est comme un mauvais cauchemar, mais pourtant si prévisible. Notre classe politique s'emballe malgré la douleur, les affres d'une vague d'attentats inédites dans notre République.

Il faut vivre avec.  Comme cette menace permanente.


Les regrets
La semaine d'après les attentats, on regrettait presque les polémiques d'avant. Celles des joutes outrancières dans un microcosme politique rétréci. On regrettait presque de débattre du plan secret de Manuel Valls et, accessoirement, François Hollande, pour le soir du premier tour des élections régionales du 6 décembre prochain: la fusion des listes PS avec celle de la droite qu'ils devinent en tête, ou le désistement du PS en faveur de l'ex-UMP, dans deux régions au moins qui s'annoncent perdues.
Qui se fiche encore des élections régionales ?
On regretterait ce temps si proche où nos journaux, aidés et involontairement soutenus par une classe de commentateurs professionnels ou amateurs sur-active, s'attachaient à entretenir coûte que coûte ces feuilletons politiciens, ces rebondissement fabriqués.
On regrettait le temps où l'on pouvait commenter combien Manuel Valls était coupable d'imaginer un rassemblement de centre-droit. Combien il semblait fatigué, épuisé, et cramé face au jeune Emmanuel Macron qui l'avait doublé dans les sondages.
Que tout ceci semble loin, très loin.
Futile, très futile.
La dure semaine
Samedi, puis dimanche, Jean-Luc Mélenchon eut des mots justes: oui, nous étions tristes et nous avions la haine; oui, l'Etat devait être fort. Mais non, il ne fallait pas oublier que la République devait rester républicaine et ne pas sombrer dans l'état d'exception. Nicolas Sarkozy, à l'inverse, sombra dans la critique de François Hollande sans attendre que les cadavres aient refroidi. Il continua sur sa lancée le weekend durant, tout préoccupé qu'il était par le risque de se faire doubler par Marine Le Pen. Sarkozy, qui réclamait l'union nationale quand lui-même président fut confronté à des attentats comme les attaques de Mohammed Merah, n'a plus décence ni retenue.
Dès dimanche, les Parisiens n'ont cure des interdictions de regroupement. On se rassemble, partout dans Paris. On allume des bougies devant les lieux du drame. On trinque, on sort, on travaille. Paris s'allume de bleu/blanc/rouge sur ses tours Eiffel et Montparnasse. Dans les rues, la tristesse et l'émotion encore. Et des soldats.
Lundi, François Hollande a livré un beau discours devant le parlement réuni en Congrès à Versailles. Un beau discours ponctué de quelques déclarations sidérantes. Car Hollande réclame la déchéance de nationalité contre les terroristes à double nationalité. Hollande sombre dans les pires bêtises du sarkozysme. Effrayé par son Grand Scrutin de 2017, il ne cherche plus qu'à trianguler ses adversaires pressentis Le Pen et Sarkozy.Et il annonce une réforme de la Constitution sous prétexte qu'elle ne serait plus adaptée ? Qui a vu que les attentats du 13 novembre avaient été facilités par des "failles" constitutionnelles ?
Hollande "intensifie" aussi les bombardements sur Daech en Syrie, et même en Irak. Le porte-avion Charles-de-Gaulle file sur la zone méditerranéenne proche pour multiplier par trois les frappes aériennes. Ce n'est pas Hollande est qui est parti en guerre, c'est la guerre qui l'a pris.
Mercredi, les forces de l'ordre ont attaqué et capturé des terroristes, ce qui semble être le reste du commando qui avait frappé la France vendredi 13 novembre. Le même mardi, l'Assemblée nationale livrait un piteux spectacle de disputes entre députés de l'opposition et membres du gouvernement. Plus précisément, c'étaient les députés sarkozystes à droite qui braillaient dans l'indécence la plus totale. Désespérés ou cyniques, ils sont nombreux ceux qui sombrent dans la caricature. Eric Zemmour et Marine Le Pen sont de la seconde catégorie, quand ils accusent, à tour de rôle et avec les mêmes mots, le ministre de l'intérieur d'avoir expliqué que prôner le djihad n'est pas répréhensible.
Mercredi, les Anonymous commençaient à attaquer les identités numériques et sites internet de Daech. Selon le magazine Dazed and Confused, quelques 5000 comptes Twitter ou Facebook affiliés aux barbares auraient été ainsi désactivés la semaine dernière.
Jeudi, on en savait encore bien davantage sur les terroristes du 13 novembre. Et parmi eux, un cas qui autorisait tous les amalgames: l'un des kamikazes du Stade de France disposait d'un faux passeport syrien avec lequel il s'est fait passer pour un demandeur d'asile en octobre dernier, relate Mediapart. Cela suffit à exciter ce que la fachosphère compte de Ligards et de xénophobes.
En fin de semaine, un second cas de faux-réfugié parmi ces vrais barbares est identifié.
Vendredi, une trentaine de personnes sont tués à Bamako dans un hôtel luxueux. C'est le rival Al Qaïda qui revendique. La surenchère entre organisations barbares devient lunaire.
Mais vendredi, on trinque et sourit, debout et verre aux lèvres, à 21H20, heure de déclenchement de la première attaque la semaine précédente. Et les prêches de nombreuses mosquées étaient des appels à la paix.
Nos libertés rétrécies
Après le drame, les pleurs, et les souffrances des 6 attentats simultanés du vendredi 13 novembre, préalablement proclamé journée de la gentillesse, le pays eut quand même quelques satisfactions. Mercredi à l'aube, vers 4h45 du matin à Saint-Denis près de Paris, les forces de l'ordre ont neutralisé 6 terroristes: un kamikaze qui s'est fait sauter avec une ceinture d'explosifs; un autre homme tué également qu'on identifiera quelques heures plus tard comme le cerveau présumé des attentats de vendredi - Abdelhamid Abaaoud, un jeune djihadiste belgo-marocain qui faisait des selfies en Syrie devant des cadavres de civils; sa jeune cousine "obsédée du jihad", et 3 autres "suspects" interpelés vivants dans une cache insalubre et bourrée d'armes contrôlée par un malfrat du quartier. Nos terreurs islamistes, pour la plupart issue de la petite délinquance, continuaient de fréquenter des racailles.
En moins de 5 jours après les attentats, les forces de l'ordre ont donc fait un travail formidable. Et ce résultat a été obtenu grâce des réquisitions bancaires et de la surveillance électronique. On peut, on doit applaudir ces résultats même si l'on s'inquiète des restrictions portées aux libertés publiques.
Il y avait des grincheux, des jaloux, ou des politicards pour fustiger le gouvernement de la France qui n'aurait pas empêché Abdelhamid Abaaoud d'entrer sur notre sol alors que dernier était recherché par Interpol. Les partisans d'une France forteresse, qui n'ont jamais rien compris aux bénéfices de la circulation des biens et des hommes dans une Europe réconciliée, se régalent aujourd'hui que la France est meurtrie de voir que le réflexe sécuritaire a pris le dessus. A l'inverse, les réfractaires naïfs au moindre contrôle des frontières hurlent à la dictature, au "recul historique de la gauche", et à la fin des libertés individuelles.
Quand les autorités interdisent toute manifestation pendant la COP21, ils s'indignent. Qu'ont-ils compris de la menace ?
La veille des attentats de Paris, Daech revendiquait un attentat suicide à Beyrouth, au Liban, dans un fief du Hezbollah. Pour les cerveaux rétrécis aux Valeurs Actuelles et autres torchons xénophobes, cette lutte à mort entre deux établissements du terrorisme radical islamiste doit sembler curieuse et frappée.
Quand la France est en guerre - car on peut être en guerre contre autre chose que des Etats -, le pays doit se défendre et riposter. Imaginer que cette guerre contre Daech s'arrête après quelques jours de deuil est indécent, ou naïf.
En fin de semaine, le Parlement quasi-unanime vote la prolongation de l'état d'urgence, sans débattre. Il accepte l'application d'un texte de 1955 dont Manuel Valls confie qu'il n'est pas très constitutionnel. A gauche, quelques rares voix s'élèvent pour protester.  Des plus fortes facilités à l'action des enquêteurs ou à l'intervention des forces de l'ordre sont pourtant nécessaires. La Quadrature du Net s'inquiète ainsi que le gouvernement puisse censurer tout site ou média "faisant l'apologie du terrorisme ou provoquant à des actes de terrorisme." Pourquoi s'inquiéter que le magazine officiel de Daech puisse être censuré ? De plus, députés et sénateurs ont finalement interdit toute entrave à la liberté de presse et des avocats.
Il faudra débattre des conditions de cet état d'urgence et de la riposte contre le terrorisme de Daech. Mais en sommes-nous collectivement capables ?
On ne choisit pas de vivre avec le terrorisme. Mais on choisit son débat politique.