La vertu est une vieille dame à la toilette défraichie, dignement remisée dans les oubliettes d'une époque révolue. C'est aussi le nom d'une recette de la région des Abruzzes qui a sacrément titillé ma curiosité. Il s'agit d'un plat typique du 1er mai que j'ose publier seulement aujourd'hui: pardonnez-moi le décalage habituel qui prévaut dans ces "murs", ma dolce vita se joue aisément à contre-temps! Alors, pourquoi le premier mai? Probablement à cause des fêtes païennes qui se déroulaient à cette période (Beltane chez les Celtes) et qui célébraient le retour de la fertilité, l'annonce de l'été. Vertus de la ménagère? Ce plat "vertueux" et hautement symbolique était censé utiliser les "grains" restés au fond des sacs, les dernières provisions de l'hiver soit 7 légumes secs (haricots borlotti, pois chiches, lentilles, fèves etc. ). Le changement de saison était représenté par l'utilisation de 7 légumes verts "nouveaux" (courgette, chicorée, fenouil, carotte etc.). Ajoutez à la liste des ingrédients 7 sortes de viandes (essentiellement de porc), 7 sortes de pâtes (oui, oui), et pour finir 7 grains de riz! Le tout devant cuire, devinez? oui, 7 heures! C'est bien le genre de recette qui incite à la vertu, je n'en doute pas, à ce stade, cela tient du sacerdoce... culinaire! La version que je vous propose est bien sûr une adaptation, respectant presque (mais pas tout à fait) la règle des 7. Dans les épiceries fines, vous trouverez au rayon produits italiens des mélanges de légumes secs, les soupes rustiques aux légumineuses sont des classiques en Italie, j'en avais d'ailleurs proposé une ici. Essayez avec des cicerchie si vous en trouvez en France ou si une bonne âme vous en rapporte d'un voyage transalpin: c'est un légume sec très ancien de l'Italie centro-méridionale, vraisemblablement d'origine égyptienne, qui revient à la mode dans les assiettes (sous l'impulsion du mouvement du Slow Food) après avoir été boudé pendant longtemps car il était considéré comme un légume du pauvre. Une minestra de légumes secs en juin? Oui, mais cette histoire de soupe a enfin "fait venir" l'été à Paris, ça valait la peine, non?
Minestra di Virtù
Pour 6 personnes:
400g de légumes secs cuits à l'eau (haricots blancs et rouges, pois chiche, lentilles, fèves etc.)
100g de petits pois cuits
700g de légumes frais de votre choix: carottes, épinards, fenouil, courgettes, blettes, chou vert, chicorée, céleri, laitue etc.
200g de pâtes sèches et/ou fraiches (essayez d'arriver à 7 variétés! sinon, utilisez plutôt des pâtes courtes, mais surtout pas des vermicelles ou des pâtes à potage)
7 grains de riz pour respecter la tradition! (complètement facultatif ou alors sacrément indispensable)
300g de viande de porc (plat de côte par exemple; à noter qu'en Italie on utilise beaucoup la couenne)
80g de lard fumé
100g de jambon cru
2 gousses d'ail
1 oignon
1 bouquet garni
1 petit bouquet de persil
1/2 cuillère à café de noix de muscade moulue
7 clous de girofle
huile d'olive
sel, poivre
1 litre de bouillon
Couper en petits morceaux la viande de porc et le lard fumé, hacher le jambon. Eplucher et émincer les gousses d'ail et l'oignon. Dans un faitout, faire revenir les viandes l'ail et l'oignon avec 4 cuillères à soupe d'huile d'olive. Laver et tailler les légumes en petits dés. Les mettre dans le faitout ainsi que les petits pois et les légumes secs cuits au préalable (le temps de trempage et le temps de cuisson dépend des légumes secs que vous aurez choisi, j'ai donc décidé de zapper cette étape!). Remuer avec précaution. Ajouter le bouquet garni, les épices et le persil préalablement haché grossièrement. Couvrir avec la moitié du bouillon. Laisser cuire environ une heure à petit feu en ajoutant régulièrement le reste du bouillon. Une quinzaine de minutes avant la fin de la cuisson, retirer le bouquet garni et ajouter les pâtes et les grains de riz. Prolonger la cuisson jusqu'à l'obtention d'un minestrone dense et crémeux. Servir avec un filet d'huile d'olive et du poivre du moulin. Pour les inconditionnels, vous pouvez toujours râper un peu de parmesan frais dans votre assiette, mais serait-ce bien vertueux?
Photos et texte de Peggy Picot, Tous droits réservés ©