Je pense à vous, Madame.

Publié le 15 octobre 2010 par Xlr2603

J’étais assis un peu derrière vous, dans les travées opposées.
J’ai pu à loisir vous observer pendant ces quelques heures.
D’abord, il est clair que le stoïcisme de votre petit-fils pendant que l’on parle de lui comme d’un être absent tranche radicalement avec le sourire qu’il vous lance accompagné d’un petit geste de la main que vous lui rendez immédiatement.
A son arrivée.
A l’interruption d’audience.
A son retour.
A chaque fois.

Je pense à vous Madame, parce que vous êtes assise au premier rang de ce procès où s’égrènent l’une derrière l’autre les pires horreurs.
Vous avez entendu comme moi, comme nous tous, ces 8 psychiatres qualifier votre petit-fils de noms tous plus biscornus les uns que les autres, et il est heureux que vos connaissances en pathologie psychologique ou psychiatrique soient inexistantes, car vous ne saisissez ainsi point les portraits dépeints et les tourments monstrueux qui habiteraient sa tête.
Mais néanmoins, on ne vous épargne ni les reconstitutions, ni les photos, ni l’étalage de sa vie sexuelle dépravée, ni sa consommation de stupéfiants et de drogues, ni ses échecs, ni ses mensonges, ses contradictions, ni les détails des médecins légistes sur cette centaine de coups de couteau, on ne vous épargne rien.
Voilà déjà 23 mois que vous le visitez en prison, sans doute jamais de votre vie n’aviez vous un jour imaginé devoir faire cela.
Mais sans doute, encore moins, n’auriez vous imaginer entendre et voir ce que vous vivez aujourd’hui.
Votre visage est dirigé vers le sol, et vous écoutez, les mains croisées comme sur un chapelet imaginaire.
J’imagine votre souffrance à devoir écouter et endurer tout cela.
Pouvez vous concevoir qu’une partie de vos gènes habitent ce petit-fils dont on soupçonne qu’il aie tué trois personnes, dont votre enfant?
Pouvez vous concevoir que ce puisse être lui le fou furieux qui a poignardé avec un acharnement démesuré cette famille que vous aimiez?
Je ne peux m’empêcher de revoir en vous ma Bobonne, elle qui m’aurait donné le bon dieu sans confession, si pareille chose m’arrivait.
Je suis sûr qu’elle aurait indéfectiblement cru en moi, sans prêter attention à ces experts de tous vents venus détailler les uns derrière les autres les éléments de suspicion, de doute, de preuve ou d’intime conviction qui accableraient son petit garçon.
Car, pour vous, sans nul doute, Léopold est toujours votre petit garçon.

Rien que pour vous, et votre foi en lui, je souhaiterai qu’il soit innocent et reconnu comme tel.
Mais.

Je ne sais pas comment je réagirai si dans 30 ou 40 ans, mon petit-fils se trouvait dans ce box et moi à votre place.
Je ne sais pas, Madame.
Mais je pense à vous.

Xavier, aux assises