Je suis allé papoter.
Papoter avec une dame âgée, un peu, pas trop, mais quand même.
Assez pour s’inquiéter vraiment pour son compagnon, pas en bonne forme, au sortir d’une salle d’opération.
Assez pour se souvenir d’une descente d’avion, il y a 50 ans, au retour de l’Afrique et de son Congo Belge, parce qu’il fallait bien revenir, avec celui qui n’est plus son mari, ah tiens, il a eu une petite fille il y a quelques mois.
Assez pour se demander que faire de ces bijoux, ces bijoux qu’elle a depuis ses 20 ans, ces bijoux qu’on lui a offerts, ces bijoux dont ses deux petites filles à elle ne voudront sans doute pas, vous savez, ça ne les intéresse pas ou plus les jeunes, que voulez-vous qu’elles fassent de ça…
Assez pour m’expliquer que dans le caveau il y a son père, tout au fond, puis sa mère au-dessus, et sur le 3eme étage sa soeur. Sa soeur qu’elle ira donc rejoindre avec ses parents, l’heure venue. Après ce sera fini, plus personne.
Assez pour m’expliquer que donc, une bénédiction ce sera suffisant, pas une messe, non non, pas une messe, juste une bénédiction. Avec une jolie musique si possible. Et puis brûler, ne pas pourrir en terre, non, brûler. Comme sa soeur, tiens, elle se souvient, ça lui a fait bizarre cette urne encore tiède.
Assez pour trouver la vie compliquée, l’administration, l’abonnement des TECs, le prix de l’eau à l’hôpital…
Assez pour avoir mal à cette main, cette foutue maladie de Dupuytren qui fait si mal, là, juste là.
Assez pour regretter de ne plus savoir dessiner Le Petit Prince ou l’élève Bucobu, parce qu’elle tremble trop et que ça n’est plus possible.
Assez pour s’inquiéter de sa tantine qui n’a pas répondu à ses voeux de bonne année, alors que d’habitude il fallait moins de quatre jours pour les recevoir en retour. Mais pas de téléphone, comment faire?
Puis Paulette aussi, qu’elle voudrait bien revoir, mais elle a déménagé, et elle ne connaît pas ce quartier, là-bas. Paulette qui n’a plus de nouvelles de son fils, depuis trois ans, comme c’est triste.
Assez pour s’inquiéter de Christian, qui ne va pas trop bien. Et le voisin non plus.
Assez pour s’émerveiller de Carmen, enterrée à 104 ans, et qui grimpait encore à l’échelle il y a 3 ans.
Assez pour avoir répertorier chez le notaire les meubles, les factures, la vaisselle, pour un partage équitable et sans discussion.
Et puis il est bon, ce vin, tiens, il vient de Sicile?
Et puis me confier que ça a été dur ces derniers mois, mais jamais elle ne l’abandonnera.
Et ça m’a fait du bien, dit-elle.
Et puis oh regarde ces photos…
C’est vrai que j’ai changé ou pas, un peu, pas trop mais quand même, à 16, 20 ou 25 ans.
Je t’embrasse fort, prend soin de toi et donne-moi des nouvelles, m’a-t-elle dit.
J’ai papoté avec maman.
Xavier, le temps avance.