C???est d???abord une canne que l???on vit d??passer dans l'encoignure de la porte, du moins, le bout de la canne qui t??tait le sol timidement, comme pour s???assurer que le carrelage ne se d??roberait point.
Puis, peu ?? peu, le reste suivit ?? petits pas, toujours en t??tonnant. C?????tait une petite vieille toute tremblante et courb??e qui entra dans la salle d???attente du m??decin. Frip??e jusqu'au bout des cils, cheveux fris??s et blancs comme neige, un peu rares sur le sommet du cr??ne. Sa main parchemin??e qui tenait la canne de bois sombre, vibrait en la tenant bien droite, sans qu???elle ne touche le sol. Sans doute elle ne lui servait qu????? appr??hender le terrain, plut??t qu????? se maintenir en ??quilibre, et pourtant c'e??t ??t?? une aide bien pr??cieuse. La dame jeta un regard circulaire sur les patients qui d??j?? attendaient, au gr??s de l???oscilement permanent de sa t??te, puis, prit place ?? c??t?? d???une chaise libre, pr??s de moi. En s'asseyant, elle se recroquevilla comme un fruit trop m??r et, tint la main pos??e sur le pommeau de sa canne, qui elle resta bien droite, comme fich??e sur le sol.
??? C???est pour mon mari, dit-elle, il m???accompagne partout???
La chaise rest??e libre, ou la canne me demandais-je l'espace d'un instant, avec une certaine envie de rire. L???ensemble de la salle lui adressa un sourire poli, puis replongea dans sa lecture, ou sa r??verie.
??? Il y a beaucoup de monde, savez-vous apr??s qui je suis, clama-t-elle ?? la cantonade ?
??? Apr??s moi, madame, lui murmurais-je.
??? C'est-??-dire la derni??re, je suppose???
??? Je crains que ce soit cela, en effet, glissais-je avec un petit sourire qui se voulait aimable.
??? ?? mon ??ge, c???est long d???attendre, le temps nous est compt?? !
Un homme d???un ??ge plus que certain entra sur la pointe des pieds et, prit place au c??t?? de ma voisine. Il paraissait tout aussi us?? que sa femme, si sec et rabougri, qu???il se repliait sur lui-m??me, comme s???il e??t aim?? dispara??tre. Le teint p??le, le cheveux rare et la paupi??re lourde sur un regard clair et vif, qui t??moignait de sa vigueur intellectuelle. Le reste mena??ait de rendre les armes. Un couple de petits vieux comme il y en a tant, de vrais grands-parents d autrefois.
??? Tu as ??t?? bien long, lui reprocha la dame. Ce n???est pourtant pas difficile de garer une automobile. Mais tu n???as jamais su prendre des d??cisions, contrairement ?? moi. Heureusement que je suis l??, o?? en serais-tu sinon ?
??? Tu fatigues ces gens, prends donc une revue, marmonna le monsieur.
??? Pas du tout, tu ne comprends rien mon pauvre Gilbert, mon voisin me faisait la conversation. Il me proposait de passer devant lui, n???est-il pas parfaitement courtois ce jeune homme ?
Ce n???est pas ainsi que je sentais la suite des ??v??nements, m??me aux prix du qualificatif de ?? jeune homme ??. La mamie me sembla rapidement moins attendrissante.
Le docteur venait de raccompagner sa patiente et entrait dans la salle d???attente pour chercher le malade suivant, selon l???ordre d???arriv??e, comme c'est l'usage. Il avait encore un sourire poli sur les l??vres, et avant qu???il n???e??t prononc?? un seul mot ; la dame se leva et d??clara que c?????tait son tour. La salle m??dus??e par cette audace, mais ravie de voir dispara??tre ce singulier personnage, se retint de la moindre protestation. Le mari suivit en grommelant sa tremblante et impudente ??pouse, qui d??j?? entrait dans la cabinet de consultation.
??? Encore une castratrice de plus, l??cha d'un ton las un monsieur, sans lever les yeux de son recueil de mots crois??s, le papy ne doit pas rigoler tous les jours avec elle.
Nous en f??mes quittes pour perdre notre tour, mais nous y avons gagn?? en tranquillit??. Je gage fort que le petit mari de la dame aurait volontiers ??changer sa place avec la n??tre ! C'??tait ce matin, chez mon m??decin de famille.