"On n'est jamais aussi heureux que lorsqu'on n'avait pas prévu de l'être." p. 146
Florence et Zéno dirigent une agence chargée de promouvoir des artistes en leur offrant un site Web "percutant". Si Florence semble blasée par ce projet, plus emportée par l'enthousiasme de Zéno et par son amour pour lui que par sa propre volonté, Zéno est quant à lui survolté, se démenant corps et âme pour ses artistes, un peu trop au goût de Florence. Aussi quand par hasard, Florence se retrouve sur les traces du romancier mythique Pierre Laliberté qui cache son identité, Zéno l'encourage-t-il à poursuivre l'enquête pour découvrir qui se cache derrière lui.
"On ne connaît personne. On a beau tâter chaque centimètre de peau, mémoriser la couleur de la voix et les soubresauts de l'humeur, étudier, comparer, analyser et croire enfin que ça y est, un être humain qui tient dans une éprouvette à nous étiquetée et familière, on ne connaît personne." p. 49
A travers le personnage de Pierre Laliberté, inspiré de l'écrivain québecois Réjean Ducharme qui lui aussi a choisi de vivre dans l'anonymat, Monique Proulx offre une belle réflexion sur les feux de la rampe qui exposent les artistes, sur l'art et finalement sur ce qui constitue le sel de la vie. La jeune Florence quant à elle est une jeune femme perdue, souvent révoltée dans un monde qu'elle ne comprend pas toujours :
"Et de l'autre côté, à l'Ouest et au Nord, à Montréal et ailleurs, des hommes, des femmes, et bientôt des enfants, gaspillent en ce moment leur énergie vitale dans des boulots qui les rapetissent, courent après les heures extra et les contrats lucratifs, se morfondent d'impuissance dans leurs bureaux aseptisés, leurs usines débilitantes, se font pincer les nichons par des patrons crétins, s'agitent trop et vieillissent vite, bazardent leurs idéaux et leur intégrité d'antan pour parvenir à acheter ces tissus exotiques, ces meubles, ces parfums ruineux, ces bijoux en or, ces automobiles polluantes, ces voyages et ces fuites qui se révèlent insuffisants dés le départ et réclament des remplaçants.
Florence évolue au fil des pages et des rencontres, elle s'apaise pour plus d'harmonie, pour un passage en douceur vers l'âge adulte.
"Les transitions sont des moments dangereux qui nous perchent au milieu de rien, désintégrés par la perte de l'instant fort auquel on s'était habitué et l'inexistence de celui qui suivra (manger ? travailler ? pleurer ?). C'est sûrement dans les transitions que les dépressifs sombrent dans la dépression, les criminels dans le crime, et les artistes dignes de ce nom dans des illuminations qui bousculeront leur vie et celle des autres."
Mes réserves : La voix à la première personne de la narratrice m'a gênée : mièvre, faible face à ses sentiments, elle ressemble à une adolescente à qui on aimerait donner des claques pour qu'elle se bouge...
Le coeur est un muscle involontaire, Monique Proulx, Les éditions du Boréal, 2004, 398 p., 12.95 euros