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Journée libérale romande 2015: l'éducation et la formation: entre tradition et défis

Publié le 18 novembre 2015 par Francisrichard @francisrichard
Journée libérale romande 2015: l'éducation et la formation: entre tradition et défis

Le samedi 14 novembre dernier, s'est tenue à l'Hôtel Alpha-Palmiers, à Lausanne, la Journée libérale romande 2015, organisée conjointement par le Cercle libéral Lausanne et l'Institut libéral, sur le thème de la formation et de l'éducation.

Dans son mot de bienvenue, Pierre Bessard rappelle que, dans l'esprit des populations, le système de formation ne peut être que du ressort des autorités publiques, sans doute parce qu'elles n'en ont pas connu d'autres.

Ici, en Suisse, cet a priori et cette autosatisfaction sont confortés par le fait que le monopole public de l'éducation et de la formation y est tempéré par l'héritage libéral et moral du pays et par une forte décentralisation des institutions.

Faut-il pour autant se satisfaire de ce statu quo?

La nécessité du pluralisme éducatif et scientifique

Damien Theillier, philosophe, enseignant, président de l'Institut Coppet (Paris), souligne l'importance du pluralisme en matière d'éducation et de formation. Le clivage droite-gauche n'est pas pertinent. L'opposition se fait entre liberté et servitude.

Dans le débat pédagogique, à droite on défend la culture générale et à gauche la culture de masse. Dans le débat sociologique, à droite on met en cause la crise de la famille, le fait qu'elle soit déstructurée, que les pères soient absents; à gauche on répète que la famille est source d'inégalités.

Tout le monde s'entend cependant pour dire que les familles ne peuvent pas faire les bons choix et que c'est à l'Etat de les faire. Le problème de l'éducation et de la formation est trop important pour le confier au marché, à son arbitraire pour les uns, à la dictature de l'argent pour les autres.

Ce n'est pas le point de vue des libéraux, pour lesquels le problème n'est ni pédagogique, ni sociologique, mais structurel: il faut séparer l'école et l'Etat, privatiser l'éducation et la formation. L'Etat, par sa nature même, est en effet incapable de s'en occuper et, de plus, c'est illégitime qu'il le fasse.

Des arguments conséquentialistes

"Le monopole est ainsi fait qu'il frappe d'immobilisme tout ce qu'il touche", dit Frédéric Bastiat dans Baccalauréat et socialime. Le monopole conduit à l'immobilisme de la pensée et s'oppose à la diversité. Si l'on impose la vérité, on peut tout aussi bien imposer l'erreur. La vérité ne peut surgir que du pluralisme.

Frédéric Bastiat dit encore, dans ses Harmonies économiques: "Il est évident que la Concurrence, c'est la liberté. Détruire la liberté d'agir, c'est détruire la possibilité et par suite la faculté de choisir, de juger, de comparer; c'est tuer l'intelligence, c'est tuer la pensée, c'est tuer l'homme."

En fait le monopole a pour conséquence l'émergence d'une caste de privilégiés et de groupes de pression. L'intérêt général n'est rien d'autre que le paravent derrière lequel se dissimulent des intérêts particuliers, les leurs en l'occurrence.

Dans Socialisme (1920), Ludwig von Mises montre que, faute de pouvoir faire un calcul économique, du fait que les prix véritables ne peuvent pas être établis par la confrontation de l'offre et de la demande, le monopole est planificateur et que cela conduit inévitablement à la pénurie ou à la surproduction.

En matière d'éducation et de formation, le monopole conduit ainsi à un manque de personnel qualifié et à une pléthore d'enseignements inutiles.

Des arguments déontologiques

Est-ce juste que l'Etat exerce un monopole sur l'éducation et la formation? Ne dit-on pas que l'éducation est un droit et qu'il est légitime que l'Etat garantisse ce droit?

Qu'est-ce qu'un droit? Il convient de distinguer les droits individuels, tels que les droits de propriété, la liberté d'expression, la liberté d'association etc., et les droits collectifs, tels que les droits au travail, au logement, à la santé, à l'éducation etc.

Les vrais droits sont les droits individuels. Ils se traduisent par le fait que les individus ne sont pas empêchés de faire telle ou telle chose, qu'ils peuvent choisir et sont responsables de leur choix. Benjamin Constant, dans son Commentaire sur l'ouvrage de Filangieri, pour exprimer que l'Etat doit les garantir, dit:

"Les fonctions du gouvernement sont purement négatives. Il doit réprimer les désordres, écarter les obstacles, empêcher en un mot que le mal n’ait lieu. On peut ensuite s’en fier aux individus pour trouver le bien."

Les droits collectifs correspondent à des spoliations opérées par l'Etat, qui devrait au contraire les empêcher. Pour les satisfaire, l'Etat devient en effet spoliateur lui-même. Sans consentement et sans compensation il prend aux uns pour donner aux autres.

Frédéric Bastiat pouvait dire que la spoliation légale, c'est le socialisme, et que le refus de la spoliation, c'est le libéralisme.

Si l'éducation et la formation sont privatisées, comment les pauvres pourront-ils y accéder? Les gens seraient moins pauvres s'il n'y avait pas de spoliation; les inégalités se réduiraient; et du libre marché surgiraient des solutions qui leur seraient accessibles, tels que l'e-learning.

Damien Theillier termine ses propos par cette citation de Benjamin Constant, qui, dans Principes de politique, dit:

"En éducation comme en tout, que le gouvernement veille et préserve; mais qu'il reste neutre. Qu'il écarte les obstacles, qu'il aplanisse les chemins. L'on peut s'en remettre aux individus pour qu'ils y marchent avec succès."

Journée libérale romande 2015: l'éducation et la formation: entre tradition et défis

L'école actuelle prépare-t-elle à affronter la liberté?

Jacques-André Haury, ancien député au Grand Conseil vaudois, évoque le Plan Langevin-Wallon de 1946-1947, qui, en France, projette la constitution d'un collège unique, d'un tronc commun de l'enseignement jusqu'à 15 ans et d'une formation universitaire unique.

Il cite Célestin Freinet: "Au lieu d’attendre une improbable révolution, il faut que la révolution entre dans la classe des enfants pauvres pour transformer la société à venir."

Il rappelle que Jean Piaget considère le cerveau comme un organe autonome et qu'il le traite comme un tube digestif. 

Ces propos sont une introduction au socioconstructivisme, selon lequel il faut favoriser le développement naturel de l'enfant, l'enseignant n'étant qu'un guide, et s'appuyer sur les acquis individuels et collectifs.

D'un côté on dit que l'enfant n'a pas besoin de certaines connaissances pour apprendre naturellement, de l'autre on dit qu'il faut le construire sur ses bases propres, ce qui revient à reprendre les inégalités de départ, à moins, dès le berceau, de retirer l'enfant à sa famille...

On dit qu'il faut placer l'enfant en situation de déséquilibre. Or il ressort d'une étude américaine effectuée dans les milieux défavorisés, sur 10 ans et 325'000 élèves, que l'enseignement direct, qui part du plus simple pour aller au plus compliqué, obtient de meilleurs résultats que cette pédagogie, en termes de connaissances, de compétences et d'estime de soi.

Dans cette lignée du socioconstructivisme, EVM 1996, l'école vaudoise en mutation, adoptée en décembre 1996 par le peuple, supprimait les notes, donc la moyenne, et les manuels de référence, prônait la pédagogie de la découverte et la mise en situation de l'enfant.

Il s'agissait en fait de supprimer l'échec, de valoriser et de ne pas sanctionner, de remplacer la note normative par une évaluation formative. Tout autant de choses qui n'existent pas dans la vraie vie et qui n'y préparent donc pas.

L'idée était qu'il fallait empêcher l'enfant de se comparer aux autres, qu'il devait découvrir les règles par lui-même, qu'il n'avait pas besoin de bases, ni de références, ni de hiérarchie des valeurs, ce qui conduit pourtant au relativisme.

Dans la vraie vie, c'est tout le contraire: l'enfant a besoin de se situer par rapport aux autres, d'identifier les règles, de s'appuyer sur des bases solides, de hiérarchiser les choses et de distinguer l'essentiel de l'accessoire (avec PECARO, le plan d'études cadre romand, les disciplines étaient classées par ordre alphabétique!).

Aujourd'hui, dans le canton de Vaud, la LEO, la loi sur l'enseignement obligatoire, donne quelques espoirs: les notes et les moyennes réapparaissent, les branches principales et secondaires sont distinguées, le redoublement est redevenu possible, dans les ouvrages, dont le choix est laissé aux enseignants, il est à nouveau question de règles.

N'est-il pas nécessaire en effet de connaître les règles, puis de choisir de les respecter ou de les transgresser? Car ignorer les règles ne rend pas libre mais désorienté.

Jacques-André Haury critique donc la pédagogie main stream, mais comment choisir la bonne? Faut-il l'imposer par en haut? Ce sont des questions qu'un libéral doit poser, même si le consensus pour l'école publique est fort en Suisse. Car seule la remise en cause du monopole permet d'en éviter les inévitables conséquences néfastes.

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Les liens entre le système de formation et l'économie

Le Pr Michel Rochat est depuis cinq ans le directeur général de l'Ecole hôtelière de Lausanne. Les mots-clés de cette école prestigieuse, fondée par la Société suisse des hôteliers à la fin du XIXe, sont internationalité et professionnalité, au service de la personne.

Internationale l'EHL? Aujourd'hui les étudiants sont de 90 nationalités différentes. L'objectif est de parvenir à 100 nationalités. Professionnelle l'EHL? Cela résulte d'une forte sélection à l'entrée: sur 1'200 candidats, 300 seulement sont admis. Et Michel Rochat aimerait même qu'il y ait davantage encore de candidats pour le même nombre d'élus ...

Qu'est-ce qu'un étudiant éduqué? Un étudiant responsable, qui combine le sens des affaires et l'éthique. Dès la première semaine de son admission, un étudiant doit travailler en groupe, mais un groupe mixé, c'est-à-dire où sont représentées toutes les sensibilités.

Les objectifs sont l'auto-organisation et l'auto-évaluation. Dans les métiers d'accueil il s'agit en effet de faire preuve à la fois d'une grande ouverture d'esprit et d'avoir l'esprit d'entreprise. Aujourd'hui 120 millions de personnes travaillent dans ces métiers dans le monde.

Internationale l'EHL? 9 écoles sont certifiées par elle dans le monde: au Brésil, en Chine, en Corée du Sud, en Inde, au Liban, au Mexique, en Thaïlande, aux Emirats Arabes Unis, en Arabie Saoudite.

Professionnelle l'EHL? Y sont enseignées la liberté d'esprit, la liberté d'agir, la responsabilité (respect d'autrui et des délais), qui sont autant de valeurs qui permettent à la fois d'être efficace et d'avoir une vie bien remplie.

Fathi Derder est président du Réseau et conseiller national PLR. Son association a pour mission d'exercer une influence politique pour l'innovation avec pour objectif premier de développer les conditions-cadres favorables à l'entrepreneuriat.

La première fois que Fathi Derder s'est rendu à la Silicon Valley, c'était en 1999. Facebook n'existait pas, Amazon perdait de l'argent, la part d'Apple sur son marché n'était que de 3%, Google n'avait pas de business model... On sait ce qu'il est advenu de ces Big Four.

Quand Fathi Derder parle de mesures à prendre, compte-tenu du contexte toujours plus réglementé, il faut comprendre ce qu'il entend par là:

- 1ère mesure: ne pas pourrir la vie des entrepreneurs: ils doivent pouvoir innover et embaucher qui ils veulent, d'où le problème posé par le vote du 9 février 2014 de l'initiative Contre l'immigration de masse...

- 2e mesure: encourager le capital-risque en tissant des liens entre formation et recherche d'une part et entreprises de l'autre.

L'Etat ne doit pas avoir d'autres rôles que de garantir la transparence, la liberté de recherche, la liberté d'entreprise. Les autres conditions-cadres favorables à l'entrepreneuriat? Ce sont les conditions-cadres helvétiques, à savoir une monnaie stable, un environnement stable, un niveau éducatif stable...

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Le pluralisme privé face aux monopoles publics

Pierre-Antoine Hildbrand est secrétaire général de l'Association vaudoise des écoles privées. Cette association fondée en 1940 regroupe une cinquantaine d'établissements. Ses buts? Comme au moment de sa fondation, défendre les intérêts de ses membres, faciliter l'entrée d'étudiants étrangers, établir une meilleure collaboration entre écoles publiques et écoles privées.

Aujourd'hui il y a prédominance de l'Etat de Vaud, qui autorise, surveille les écoles privées etc. (voir la loi sur l'école privée, LEpr). Pour que le pluralisme puisse exister, il faudrait que plus de pouvoir soit donné aux institutions privées.

L'Etat exerce le monopole de décerner les diplômes. A ce sujet, Pierre-Antoine Hildbrand a appris un néologisme. Ce pouvoir monopolistique de décerner les diplômes s'appellerait la nostrification... En anglais, le mot signifie la reconnaissance d'un diplôme décerné par une université étrangère... Un moyen de contourner le monopole étatique est justement d'obtenir la reconnaissance par d'autres systèmes. 

La cinquantaine d'écoles privées vaudoises représente 15'000 éléves, de 50 nationalités, et 1 à 2 % du PIB. Ces écoles sont:

- des écoles catholiques

- des internats pour étrangers

- des écoles à la pédagogie différenciée (Steiner, Montessori etc.)

Aucune école privée ne bénéficie de financement public, qui n'est d'ailleurs prévu dans aucun des 15 articles de la LEpr. Toutefois, les écolages de l'ensemble des écoles privées ne pèsent pas autant sur le budget des parents que celui de la prestigieuse école Le Rosay (100'000 francs par an, repas inclus il est vrai...). Comme les initiatives pour des chèques scolaires ont toutes été rejetées à chaque fois par 70 à 80% des voix, il faut trouver d'autres voies de financement. Un moyen serait de limiter les ressources étatiques pour en laisser davantage aux parents...

A la suite du vote du 9 février 2014 de l'initiative Contre l'immigration de masse, les écoles internationales sont menacées, parce que qui dit écoles internationales dit personnel enseignant étranger et obtentions de permis... L'offre d'enseignement international est pourtant une façon de revivifier les écoles privées, à la faveur de l'implantation d'entreprises multinationales (qui pourrait être remise en cause par la réforme fiscale des entreprises...).

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Victoria Curzon-Price , professeur honoraire d'économie politique à l'Université de Genève, préside le comité de l'Institut libéral. Elle remarque que rien de tel pour faire disparaître un monopole public que l'innovation. C'est ainsi que le téléphone mobile a brisé celui de la téléphonie.

Victoria Curzon-Price a bon espoir qu'il en sera de même du monopole public de l'enseignement. En effet l'enseignement en ligne se développe et il y a raréfaction du financement public. De plus il existe une concurrence mondiale de la matière grise. Ainsi un bachelor pourra être obtenu à bon marché sur Internet.

Les universités les plus à même de venir en appui aux étudiants en bachelor seront des institutions privées. Le grand nombre de certifications possibles établies par elles aura raison du monopole étatique des diplômes.

L'enseignement post-grade et la recherche seront davantage du ressort des universités et les Etats essaieront de les conserver pour eux. Mais ils se heurteront à ce que Victoria Curzon-Price appelle les trois F:

- le Financement alternatif par les entreprises, par le mécénat, par les associations d'anciens élèves, par les start-up: il sera plus proche du marché, plus interactif avec l'économie et facilitera la concurrence des modes d'enseignement.

- la Flexibilité par des rémunérations variables, par des contrats à durée déterminée, par la sélection des meilleurs enseignants et des meilleurs étudiants (aujourd'hui le financement de l'enseignement post-grade par les étudiants est de plus en plus fréquent à Genève).

- le 9 Février sera d'autant moins applicable que la Suisse a besoin d'enseignants, d'étudiants, de spécialistes d'entreprises en provenance du monde entier.

La recherche a besoin de gens libres: ce sont nos libertés qui nous sauveront.

Francis Richard


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