On pourrait penser que ce titre accrocheur a quelque chose de blasphématoire. Quelque chose de provocateur, le rappel pour certains que la vénération religieuse peut prendre des formes très différentes. On pourrait penser… Car qui connait la sape, ce phénomène en vogue dans les cercles fermés de quelques pans des cultures congolaises, sait que le sapeur peut aller très loin dans l’expression de sa passion vestimentaire. Il vous suffit de discuter avec la compagne d’un sapeur pour comprendre le drame de ses dandys prolétaires. On pourrait penser que c’est sur ce terrain que le dramaturge congolais Julien Mabiala Bissila veut nous entraîner quand, dès le prélude de sa pièce, il nous rappelle que le premier dandy congolais fut le résistant André Grenard Matsoua, comme si sa parure et son élégance étaient le seul legs que des générations de congolais devaient retenir de son action sociale et politique. On pourrait penser cela suite à l’historique clamé de l’entreprise Jean-Marc Weston qui fait autorité dans la chaussure de luxe. On pourrait penser que… Mais peut-être faut-il noter le rappel qui nous est fait que l’entrepreneur français à la base de cette marque internationale, vient du Limousin qui est aussi l’antre du théâtre francophone. Clin d’oeil?
Photo : Awatef Chengal / Cité nationale de l'histoire de l'immigration
Comme, c’est souvent le cas quand il est question de sape et de dandysme congolais, le sujet n’est souvent qu’un prétexte pour parler d’autres choses. N’étais-ce pas déjà le cas avec le Black Bazar d’Alain Mabanckou? Seuls les sapeurs sont dupes…Ou pas. Criss et Cross sont deux frères de même père qui ont dû s’exiler suite à la guerre civile qui a sévi au Congo Brazzaville. Quand ils se retrouvent dans le quartier de leur enfance, détruit par la brutalité du conflit, ils peinent ensemble à retrouver leur repère afin de retrouver la paire de Jean-Marc Weston qu’ils ont enterré quelque part dans la parcelle de leur père avant de fuir le quartier. Tout est bouleversé, déstructuré. Les repères sont chamboulés. Le trésor est inaccessible. La reconstitution de la mémoire n’est pas de tout repos, elle est un parcours chaotique où même la technologie s’avère impuissante et résignée face l’acapalyspe et à la destruction du quartier de Criss et Cross. Le GPS ne reconnait rien, et il n’est d’aucun secours. Comment retrouver la parcelle du père? La nécessité de reconstruire la mémoire s’heurte aux deux personnalités qui ont chacune leur lecture propre du lieu et de l'histoire. Cette phase de la pièce de théâtre semble ressassée. A dessein, je pense. Les deux frères ont deux approches différentes. Criss est volubile, occupe l’espace, l’inonde de son discours et longues tirades. Son frère a le ton plus bas, moins audible, enclin pourtant à se faire entendre.Criss et Cross.Il est difficile qu’il ne soit pas question de danse. La référence au groupe américain qui fit danser une partie de la jeunesse congolaise avant la décennie meurtrière, avec son fameux Jump! C’est une référence. La complicité est nécessaire comme ce fut le cas à l’écran du tandem américain KrissKross. Ici, la musique est toutefois congolaise et renvoie au fameux jour de proclamation... La reconstitution du lieu nécessite l’accord et l’écoute. Julien Mabiala Bissila et Criss Niangouna incarnent remarquablement cette relation brouillonne et cette quête du graal. Dans ce cafouillis, c’est un sapeur en costard rose qui apporte la lumière. C’est un vieux du quartier qui les reconnait et les informent avec malice sur certains faits douloureux touchant à leurs parents. Marcel Mankita apporte par son style et par sa prestance voire sa diatance scénique la touche du sapeur. Ici, le sapeur n’est pas bouffon, clown en démonstration. Le sapeur est témoin et éclaire par sa prise de parole. Il rappelle l’histoire, le drame, l’assassinat des parents. Au fur et à mesure que la pièce progresse, la douleur des différentes guerres civiles congolaise se fait plus prégnante.
Le jeu varié de Marcel Mankita lui permet d’endosser le rôle d’un chef de milice efféminé qui déploie avec arrogance sa toute puissance et tance la vanité du littéraire qu’est le père de Criss et de Cross. La littérature peut-elle permettre de faire face à la dictature. Un aveu.
Spectacle et actualités.
En raison de contraintes personnelles, je n’avais pas prévu d’assister à cette pièce, mais le contexte lié aux attentas du 13 novembre, ainsi que le message que Valérie Baran a transmis aux abonnés du théâtre m’ont convaincu de faire le déplacement. De fil en aiguille, ce qui pouvait paraître éloigné vient signifier le présent, voire l’actualité. Les mots du chef de guerre que joue Marcel Mankita ont du mal à passer. Violer deux fillettes n’est qu’une expression soft de cette violence brute et structurée. Les mesures drastiques de sécurité prises par le Tarmac par un contrôle systématique de chaque spectateur peuvent rassurer. Cependant quand la lumière est éteinte, l’imaginaire peut être emprunt de doute. La violence du chef de guerre est donc insupportable. Elle fait écho au vendredi 13 à Paris. La confusion qui submerge Criss et Cross dans leur quête de repère interpelle forcément. 6 ans après une conférence nationale réussie, des élections totalement libres au Congo Brazzaville en 1992, l’instabilité militaire, le concerto pour Kalash a permis le renversement des repères institutionnels fraichement posés dans ce pays. En France, les attaques terroristes remettent en cause aussi un certain nombre de paramètres. Comme par exemple ceux de savoir si on peut sécuriser le pays avec certaines contraintes justes mais inadaptés. Comment une démocratie peut-elle lutter contre des éléments aussi mouvants sans y perdre son âme? La peur depuis siège au Congo. Sans le régime en place, c’est la guerre, j’ai pu lire sur les réseaux sociaux. La pièce de Julien Mabiala Bissila questionne le danger de la déflagration, de l’explosion, de la rupture. Quand tout n’est que gravats et confusion comment repartir? Au nom du père, du fils et JM Weston pose de bonnes questions, portée par de bons comédiens. Et, vous l’aurez compris, la sape, elle, n’est qu’un prétexte et JM Weston un clin d’oeil entre amis.Au nom du père, du fils et de J.M. Weston, une création théâtrale de Julien Mabiala BissilaToutes les informations sur le site du TarmacTexte et mise en scène Julien Mabiala Bissila, avecJulien Mabiala Bissila,Marcel Mankita, Criss NiangounaScénographie Delphine Sainte-Marie - CostumesMarta Rossi - LumièreXavier Lazarini -Musique et son Frédéric Peugeot - Conseil à la mise en scèneJean-François Auguste -Réalisation des costumesSophie Manach