Il serait insensé que ce combat continue de se structurer en «état de guerre» et en «guerre des civilisations», avec son corollaire atlantiste.
«Il faut un rassemblement de tous ceux qui peuvent réellement lutter contre cette armée terroriste.» Il aura donc fallu 129 morts, des dizaines de blessés dont beaucoup risquent encore de perdre la vie, et un pays sous le choc d’un événement charnière et constitutif de notre histoire contemporaine pour que François Hollande réfléchisse à un autre paradigme et annonce, enfin, devant le Congrès réuni à Versailles, une sorte d’aggiornamento que l’on espère significatif. Le chef de l’État est pourtant loin du compte et de la raison, comme en attestent les frappes aériennes qui, depuis soixante-douze heures, ponctuent les nuits de l’engagement militaire en Syrie et sont la marque, de toute évidence, d’une incitation à l’escalade. François Hollande comme la plupart des «grands» dirigeants du monde, d’ailleurs, refusent pour l’instant de répondre à la seule question qui devrait les hanter et dicter leurs actes comme leurs commandements : convient-il de gagner «la guerre» ou de contribuer à y mettre fin? Nous parlons, bien sûr, du conflit en Syrie, que les grandes puissances ont laissé prospérer sur les ruines d’une autre guerre, celle d’Irak, dont le règlement tronqué, après des années d’occupation états-unienne, ne s’est soldé que par le chaos et la déstabilisation de toute la région.
La diplomatie française est-elle prête à sortir, vraiment, de ses ambiguïtés? La principale est connue de tous: elle tient dans ce faux parallèle établi en toutes circonstances entre Daech, qui a revendiqué les assassinats de masse perpétrés en France, et le régime de Bachar Al Assad, dont nous sommes les premiers à souhaiter l’éradication, un jour ou l’autre, dans un second temps, pour dire les choses clairement. Car, l’heure est à la priorisation des objectifs. Le premier consiste à abattre Daech, mais pas n’importe comment. François Hollande semble désormais convaincu qu’une coalition placée sous l’égide de l’ONU doit voir le jour, avec la participation de deux acteurs majeurs, Barack Obama et Vladimir Poutine. Il est temps, en effet, d’en finir avec la mise à l’écart des Nations unies, seules à même de dire le droit international et d’imposer des buts militaires et politiques précis. Le combat contre l’horreur constituée en proto-État par Daech devra nécessairement prendre des formes violentes. Comment croire le contraire? Mais il serait insensé que ce combat continue de se structurer en «état de guerre» et en «guerre des civilisations», avec son corollaire atlantiste. L’histoire récente nous l’enseigne: l’«état de guerre» menée par l’Occident provoque un ressentiment que les fous de Daech ou d’al-Qaida utilisent à leur profit. Cette guerre permanente nourrit la spirale des conflits sans issue. Quant à la notion de guerre elle-même, au nom d’un «type inédit de guerre», elle pourrait déboucher sur la constitutionnalisation de lois d’exception permanentes, par lesquelles la République cesse d’être la République. Depuis lundi et la réunion du Congrès, la France n’est plus à l’abri. Les libertés publiques non plus. [EDITORIAL publié dans l'Humanité du 18 novembre 2015.]