Hello à tous!
Vous savez, cette promesse que je vous avais faite il y a, hum hum, quelques temps de vous parler davantage des gens avec qui je travaille ? Je vais enfin la tenir! Il y a tant de chouettes personnes et de beaux projets dont j’avais très envie de partager l’histoire avec vous, il était temps que je m’y mette!
Et on commence avec la maison d’édition Tishina!
Tishina, c’est avant tout un énorme coup de coeur littéraire et visuel. Le pari de ses deux fondateurs, Jonathan Bay et Antoine Ullmann, est de proposer des romans illustrés pour adultes. Et quand j’ai vu l’un de leurs ouvrages, le texte d’un auteur que j’aime énormément magnifiquement illustré à l’aquarelle, au dessin et à l’encre, je me suis dit qu’il fallait absolument que je vous l’envoie un de ces quatre ! C’est chose faite aujourd’hui (un an après qu’on se soit rencontrés avec les deux fondateurs!), puisque ce livre est au coeur de notre coffret de Noël Belles Lectures.
Mais au-delà du coup de coeur littéraire, j’ai été touchée par l’histoire de leur projet faite de jolies rencontres, de passion et d’énormément de patience (7 ans pour surmonter les obstacles et aboutir à leur premier livre, vous rendez-vous compte ?!), une histoire qui m’a laissé pantoise d’admiration!
Je laisse Jonathan raconter peut-être ?
« A l’origine, Antoine et moi sommes des meilleurs amis. Nous étions étudiants en lettres, on avait le même amour commun pour la littérature… Et il se trouve qu’à l’époque, nous avions beaucoup aimé Soie d’Alessandro Baricco. Le livre incarnait la littérature qu’on avait envie de lire et de partager. Par ailleurs, on s’intéressait également beaucoup à l’illustration. Et comme on trouve de l’illustration essentiellement en édition jeunesse, on en a feuilleté pas mal jusqu’à ce qu’on découvre le travail de Rébecca Dautremer. C’était très différent de ce qu’on avait vu jusqu’alors, elle avait une façon de raconter les histoires par l’image, un sens de la narration, une manière d’utiliser la couleur qui nous a époustouflés. On peut dire qu’on a créé notre maison d’édition en quelque sorte à l’envers, puisqu’on a eu l’idée d’un livre avant même que la maison d’édition soit créée : Soie d’Alessandro Baricco, illustré par Rébecca Dautremer.
Extrait de Soie, premier livre publié par Tishina
– Et vous aviez quel âge à l’époque ?
– On avait 21/22 ans, et du coup le projet était assez fou : on était jeune, on n’avait pas de maison d’édition, pas de financements, pas de diffuseur… Mais on s’est complètement jeté dedans! Alors on a fait quelque chose qu’on ne fait peut-être plus aujourd’hui : on a pris les Pages blanches, on a cherché le contact de Rébecca Dautremer, elle y était, on l’a appelée… Elle a été touchée et amusée en même temps par notre démarche, et nous a dit que si le projet se faisait, on pourrait revenir vers elle. La première étape était franchie!
Mais pour Alessandro Baricco, ça a été beaucoup plus difficile. On est passé par son agent, son éditeur, on essayait de voir si nos amis qui avaient fait des stages dans des maisons d’édition ne pourraient pas trouver le contact de quelqu’un qui pourrait nous aider, etc. Et à chaque fois, nous avions des fins de non recevoir. Il faut dire que l’éditeur nous avait prévenu que par principe, Baricco ne voulait pas que son texte soit illustré. Du moins, il ne voulait pas que de l’image soit mise côte à côte de son texte, comme il était convaincu que ça tuerait l’imaginaire. Et beaucoup de gens nous disaient de ne pas insister
– Alors comment vous avez fait pour arriver à le convaincre ?
– Ca a duré 3/4 ans comme ça! Et puis un jour Antoine et moi avons écrit une lettre d’intention à Baricco, où on a expliqué notre projet de littérature illustrée. Où on a expliqué que Rébecca Dautremer avait ce talent pour s’affranchir d’un texte et construire quelque chose autour sans tuer la possibilité d’imaginaire. Il nous a alors répondu par mail pour nous dire qu’il était d’accord pour nous rencontrer.
Je m’en souviens encore, on était tendu comme à un entretien d’embauche! Et d’ailleurs Alessandro Baricco nous a beaucoup challengé pendant le rendez-vous. Disons qu’il n’était pas venu avec un oui dans sa poche. Mais on a beaucoup parlé, on lui a expliqué notre idée, et à la fin, c’est peut-être le côté fou du projet qui lui a plu, il a donné son accord.
Extrait de Soie
– Ouf! Et après, comment ça s’est passé ?
– Ca a été le début d’un autre long travail, qui aura duré encore plusieurs années – finalement, on aura mis 7 ans pour aboutir à la création du livre. Après avoir eu l’accord des deux auteurs, il a fallu que Rébecca Dautremer s’attaque au travail d’illustration, qui lui aura pris un an. On a du aussi chercher des financements et un diffuseur… C’est là la beauté du projet, qui s’est vraiment construit autour de belles rencontres. D’abord notre amitié, à Antoine et moi, puis la rencontre avec Alessandro Baricco et Rébecca Dautremer, qui sont deux personnes extraordinaires, mais aussi la rencontre avec une fabricante, qui nous a beaucoup aidés pour le processus de fabrication, la réalisation de cette couverture un peu folle qu’on peut déplier… Il y a eu aussi une belle rencontre avec notre diffuseur, Actes Sud, qui a complètement adhéré à notre projet. Donc Tishina s’est construit autour de jolies rencontres, comme si une bonne étoile avait veillé sur nous.
– Et ainsi est né Tishina, avec ce projet fou d’un Soie illustré! Mais 7 ans, quelle patience! Et maintenant, vous continuez au rythme d’un livre par an, pas plus ?
– Eh oui! Antoine et moi voulions créer quelque chose de particulier… Pas une maison d’édition où on aurait des impératifs de catalogue et de sortie, où on risque la perpétuelle fuite en avant. On avait envie d’une maison d’édition où on pourrait prendre notre temps et avoir du plaisir à publier des livres qui nous touchent vraiment, où on pourrait soigner toutes les étapes, de l’idée jusqu’à la fabrication. Celle-ci est très importante pour nous, comme nous voulons proposer de beaux objets.
Un extrait du bien beau livre que nous envoyons dans le Coffret Belles Lectures
– Et Tishina, ça vient d’où ?
– C’est un mot bulgare qui veut dire « silence »! Evidemment, on ne cherche pas à être des éditeurs « silencieux », mais mon épouse est bulgare ; on avait ouvert le dictionnaire et on est tombé sur ce mot dont on aimait la musique et la sonorité, alors on l’a pris!
– Maintenant, êtes-vous à plein temps tous les deux sur la maison d’édition ?
– Nous faisons ça en parallèle de nos métiers respectifs : Antoine dirige la revue Dada et je suis juriste. On ne vit pas de notre activité d’éditeur, et c’est peut-être cela qui nous permet aussi de préserver la beauté du projet, ce grain de folie. Nous divisons tout par deux dans l’activité de la maison, on n’a pas de tâches réservées à l’un ou à l’autre, mais nous faisons tout ensemble. On verra plus tard si on en fait notre activité à plein temps, mais pour le moment c’est très bien comme ça!
– Dernière petite question, la question classique du blog d’Exploratology : un livre à nous conseiller ?
– Un livre que nous aimons beaucoup, Antoine et moi, Tout est illuminé de Jonathan Safran Foer. En fait, ce que nous aimons tous les deux, ce sont les bonnes histoires. On a envie de retrouver la magie lorsqu’on était petit et qu’on était porté par des histoires, des personnages. Et c’est quelque chose qu’on a retrouvé dans ce livre de J. Safran Foer. C’est intelligent, drôle, il y a une dimension à la langue qui est passionnante dans le livre… Bref, on recommande! »
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Merci Jonathan pour nous avoir raconté leur histoire! On souhaite encore de longues années et de beaux livres à Tishina! En attendant, si vous êtes curieux de voir le livre de Tishina que j’ai choisi pour le coffret de Noël, c’est par là!
A très bientôt pour de nouvelles histoires et de beaux projets! :)