« Retirez à l'homme la faculté de se plaindre, vous lui enlevez toutes ses ressources, vous le plongez dans la désolation complète. » (E .Cioran, Cahiers)
1.
12 juillet 2015.- Rares nuages, chaleur « tenable » (30°C) Matin : Épaves de Julien Green. Sombre, sinistre, glauque, incroyablement petit-bourgeois, souvent très ennuyeux et perclus de culpabilité chrétienne. Pourtant ici où là un petit charme, le petit charme des sous bois humides, des bords de fleuves aqueux, des quais venteux, des vieilles filles oubliées et de leurs inespérés amants turpides… Après midi : Séance de psychogeographie approximativement campagnarde. Dix kilomètres de sentiers au petit bonheur la chance, me suis presque vraiment perdu.
13 juillet 2015.- Beau temps chaud, tendant vers le caniculaire (again) (32°C). Embarrassé par quelques tracas de voisinage je n'ai pas pu vraiment entrer dans Les Aventures d'Augie March de Saul Bellow. C'est fort dommage puisque selon quelqu’un de mes informateurs les plus pétulants (Philip Roth en tête), les premières pages, l'enfance d'Augie dans le Chicago des années vingt, sont les meilleurs. Malgré mon manque de concentration (satanés voisins!) j'ai cependant cru voir saillir deux trois belles évidences. Plus qu'un roman à la petite semaine du « moi » c'est un roman-roman archétypal foisonnant de personnages (tant et si bien foisonnant que l'on s’y perd, c'est un bon signe), des faux souvenirs tellement chamarrés qu'ils en sont presque vrais, des intrigues multiples et variées… La traduction laisse deviner un style tout ce qu'il y a de présentable, il y a de l'humour et je pense que c'est un livre que je pourrais adorer si le voisinage m'en laisse le loisir…14 juillet 2015.- Ciel limpide, tiédeur, un mince filet d'air frais de temps à autre (32°C). Une dizaine de kilomètres de Pyschogéographie matinale. Me suis un peu perdu dans deux, trois bois pour mieux me retrouver dans une pagode incongrue où j'ai été recueilli par quelques bonzes souriants. Poursuivi mon chemin en bord de ruisseau, au frais. Rentré lu deux chapitres des Aventures d'Augie March puis regardé l'arrivé du Tour de France à la télévision. C'est un Britannique suspect, frénétique tel le lapin Duracell, qui l'a emporté haut le mollet.16 juillet 2015.- Chaleur plombante (38°C). Au bout de trois jours de laborieuse lecture, je suis enfin parvenu à entrer dans les Aventures d'Augie March. Peut-être pas si mal, un jardin botanique romanesque plein de plantes diverses et variées (des vivaces, des carnivores…). D'autre part quelques bouchées des Cahiers de Cioran, le Tour de France à la télévision (dans le genre épique). 18 juillet 2015.- Journée orageuse, un peu de fraicheur (33°C-> 25°C) . Je chemine péniblement dans les Aventures d'Augie March, m'y ennuyant à vrai dire plus qu'à mon tour. Cependant quelques arpents sauvent l'ensemble, une histoire de voiture volée qui fini en périple hobo autour des Grands Lacs, les divers emplois d'Augie : semi-gigolo, vague homme de main… promeneur de chien pour un toiletteur croquignolet… voleur de livre pour un trotskiste pittoresque… 19 juillet 2015.- Nuit pluvieuse, journée plus fraîche (30°C). Il y a quelques jours je faisais un mol éloge de la traduction des Aventures d'Augie March. J'étais dans l'erreur, je pense aujourd’hui que c'est cette traduction qui pose problème (je m'ennuie assez en lisant les tribulations Augie March, il faut bien trouver un coupable). Pour confirmer cette intuition, je viens de comparer quelques pages du Don de Humboldt traduite par le même traducteur avec la traduction de Henri Robillot et Anne Rabinovitch datant de 1978 (j'ai les deux volumes en ma possession) et je ne crains pas d'affirmer qu'il n'y a pas photo. Style clinique et utilitariste d'un côté (un style de dispensaire), style certes un peu passé, mais fluide et vivant de l'autre… Reste à savoir qui est le plus fidèle à la « musique » et à l'esprit de Saul Bellow, je peux me tromper, mais je pense savoir qui l'est…Par vengeance et histoire de retrouver un peu de légèreté de lecture, j'ai entamé l’Italie à la paresseuse d'Henri Calet. Merveilleux petit livre de vrai faux voyage. Calet visite l'Italie au petit bonheur la chance, on le fait passer pour un Dottore assistant à une conférence sur le « gaz combustible », il navigue gentiment sur un vaporetto et ne vois presque rien de Venise, déguste de coûteuses glaces sur la place Navone, bois moult apéritifs, bref le bonheur sans traducteur : « Je confesse que je suis un touriste apathique, et même décourageant : j'attends que les choses retiennent mon attention, qu'elles me raccrochent, qu'elles me fassent de l'oeil ; je me laisse fixer par elles. Comme si j'étais bouché ».20 juillet 2015.- Chaleur toujours (33°C). Trente pages des Aventures d'Augie March, dix pages de Cioran (ses Cahiers). Je fais ma valise, demain départ pour la Pologne.
2.30 juillet 2015.- Ciel variable, quelques filets d'air presque frais (23°C). Le Bérézina de Tesson fils n'est finalement pas si catastrophique que ça, évidemment le côté virilité de chambrée et slavitude arrosée de litres de Vodka est un tantinet pénible, mais il y a d'autres arpents, quelques qualités. L'évocation de la retraite de Russie est par exemple assez épatante, on apprend une foultitude de choses (hippophagie, anthropophagie et autophagie sont les trois mamelles nourricières de la « grande armée » rentrant de sa petite campagne tragique en Russie) Tesson parvient à dissimuler son surmoi derrière la grande Histoire, nous voilà presque reposés de lui.
Repris Augie March, le récit d'une grève avortée, un amour naissant, un peu moins d'ennui.1 août 2015.- Temps nuageux agrémenté de belles éclaircies, quelque chose d'océanique, de Madérien (23°C). Hier vie sociale, barbecue estival, ce genre de réjouissance. Ce matin un chapitre des Aventures d'Augie March, une histoire de fauconnerie au Mexique, toujours de l'ennui. Cet après-midi, Par ailleurs (Exils) de Linda Lé. Menu alléchant (Cioran, Pessoa, Bernhard, Artaud, Mandelstam…) qui tient presque ses promesses. Belles pages sur Benjamin Fondane, ni d'ici ni d'ailleurs, gazé à Birkenau en 1944 : « Nous ne parlons aucune langue, / nous ne sommes d’aucun pays, / notre terre c’est ce qui tangue / notre havre c’est le roulis. »
2 août 2015.- Beau temps chaud (30°C). Je lis Artaud et la Théorie du complot de Mehdi Belhaj Kacem. Il faut être paranoïaque, absolument paranoïaque! Éloge de quelques outlaws notoires (Hölderlin, Rousseau, Beckett, Guy Debord, Walter Benjamin, Philippe Lacoue-Labarthe, Pierre Michon). Souvent brillant, parfois émouvant et temps à autre réjouissant, le dézinguage de l'héroïsme militaro-sacrificiel d'Alain Badiou par exemple : « Chez Badiou, comme chez Heidegger, l’héroïsme, c’est donc toujours un peu l’héroïsme des autres : c’est-à-dire celui de gens qui sont restés confortablement derrière leur bureau pour dire aux autres qu’il fallait se sacrifier pour la bonne cause ; ou pire, sacrifier des masses entières de la population à cette même cause. Et c’est très curieux, puisqu’en relisant, après ces années d’anesthésie procrastinante que je vous ai dites, la conférence du Vieux-Colombier, je tombe sur cette phrase stupéfiante, qui traduit absolument mon sentiment de violent, de viscéral rejet de l’héroïsme heideggero-badiolien : « car aucune guerre ne vient du hasard et il y a toujours quelqu’un qui la déclenche et qui se garderait bien d’aller s’y faire tuer, n’est-ce pas Staline, ô cher maréchal des pompiers ». 4 août 2015.- L'orage rode. (27°C). Travaillez, mais pourquoi donc!? Me voilà lessivé, sans idée… De surcroit, rien lu depuis deux jours, c'est un problème 6 août 2015.- Nouvel épisode caniculaire (38°C). Rien lu (ou presque) depuis trois jours ; la chaleur. 8 août 2015.- Replets orages, bourrasques batailleuses et pluie biseautée, chute des températures, près de 20° de débours par rapport à celles d'hier, c'est beaucoup, c'est presque trop (22°C). Humeur ultra maussade, peu d'envie. Sabordé la fin des Aventures d'Augie March que j'ai plus parcouru (en sautant de longs blocs de texte) que lu. J'ai cependant cru discerner deux, trois passages intéressants ( voire potentiellement « magnifiques »), des amours mexicains, le récit d'un naufrage en plein Atlantique. En définitive, je dirai que les Aventures d'Augie March forment certainement un « grand roman » autour duquel je serai passé pour un somme de raisons qui m'échappent tout à fait.Dans l'élan, un élan bien morose, entamé un Chien mort après lui, livre où Jean Rolin « enquête » sur les chiens errants un peu partout à travers le Monde. Vraiment bien, pour l'instant.22 août 2015.- Fourbe chaleur aoûtienne, au loin et tardivement quelques traînées nuageuses un peu inquiétantes (32°C). Lu dans la journée Les Naufragés du Batavia de Simon Leys. Le volume est mince et les conditions lectorales presque idéales (peu de bruit avoisinant, une chaise de jardin adroitement dépliée et une ombre propice). Deux courts récits le premier nous rappelle le naufrage du Batavia sur un petit archipel en bord d'Australie. Histoire passionnante et pleine d'accointance avec l’œuvre de Leys. Comment les horreurs du totalitarisme peuvent-elles débouler au débotté? Une catastrophe pour terreau et des hommes qui partent en vrillent, qui suivent un demi-fou. Des viols et des assassinats à qui mieux mieux, une parabole génocidaire… Le second récit est une petite chose datant de la jeunesse de Leys. Quelques jours à bord d'un thonier breton - un des derniers voiliers de pêche. Mauvais vin et pâte humaine, belle galerie de portraits (ces pécheurs n'existent plus aujourd’hui où la pêche se fait au radar et où le poisson se fait rare).
23 août 2015.- Pluie fine (23°C) Aventures dans l'irréalité immédiate de Max Blecher, porcelaine et mal de Pott, Walser et Schulz, mais roumain voyez-vous… Souvent magnifique voire plus. Je laisse parler l'artiste, il se suffit à lui même : « C’est dans de petits objets sans importance : une plume d’oiseau noire, un petit livre banal, une vielle photo aux personnages fragiles et inactuels, qui semblent souffrir de quelque grave maladie intérieure, un délicat cendrier en faïence verte, en forme de feuille de chêne, sentant toujours le tabac froid, dans le simple souvenir des lunettes aux verres épais du vieux Samuel Weber, dans ces menus ornements et objets domestiques, que je retrouve toute la mélancolie de mon enfance et cette nostalgie essentielle de l’inutilité du monde qui m’enveloppait de toute part, comme une eau aux vagues pétrifiées. La matière brute, dans ces masses profondes et lourdes – de terre, de pierre, de ciel ou d’eau –, ou dans ces formes les plus incompréhensibles – les fleurs en papier, les miroirs, les billes de verre avec leurs énigmatiques spirales ou les statues colorées –, m’a toujours gardé prisonnier entre ses murs, auxquels je me heurtais douloureusement, m’astreignant à poursuivre cette aventure bizarre et insensée : être un homme»25 août 2015.- Soleil (24°C) Malade, estomac. Rien lu.26 août 2015.- Tiédeur, soleil bas, aucun charme, les fins d'étés sont parfois ainsi (32°C). Not in the mood. Fatigue, encore un peu malade. De surcroît, voisins toujours encombrants. L'un écoutant pendant pas moins de trois heures une espèce de brouet musical qui a fait vibrer mes murs inconsidérément. Malgré cela, feuilleté l’Équipe du jour, rien de bien littéraire, Blondin est loin. Pour ce qui est de la littérature lu une chronique assez futée de Bernard Frank puis un petit bout des Cahiers de l'animal Cioran. Comme par magie l'humeur d'Emil était tout à fait concordante avec la mienne .To be continued