J’ai connu Alexandre Bodart Pinto au Festival de Cannes. Je suis incapable de vous dire comment et à quelle occasion exactement. Je me souviens que l’on m’en disait beaucoup de mal et, pourtant, à chacune de mes rencontres, je voyais une personne souriante, aimable, dynamique et entrepreneuriale.
D’année et année, nos liens sont devenus plus forts sans pour autant qu’Alexandre ne devienne un ami mais je le suis dans son évolution, dans la création de son association, etc.
Le mois dernier, il a sorti une biographie (Ma vie à 200 à l’heure – Editions Prisma) dans laquelle il raconte son parcours d’homme blessé. C’était le 9 mai 1999, il voulait faire le malin devant ses potes, il s’est écrasé à 200 à l’heure avec la moto de son beau-père. Aujourd’hui, hémiplégique, Alexandre raconte sa vie, une vie à laquelle il s’accroche et qu’il vit toujours à 200 à l’heure.
Je suis dans un bus qui m’emmène à Paris. Je lis le livre d’Alexandre par intermittence : les larmes et les rires qui illuminent mon visage me rendent mal à l’aise face à mes compagnons de route. Quelques arrêts pour reprendre mes esprits seront nécessaire pour faire bonne figure et ne rien laisser transparaître de mes émotions.
Le livre se développe en 3 parties : l’avant, l’accident et la convalescence, et sa vie actuelle. Avec un discours sans langue de bois, Alexandre raconte ses joies et ses peines, ses rencontres, ses luttes, ses espoirs. Rien n’est caché !
L’une des conditions que je me suis fixée lorsque j’ai décidé de faire le livre, c’était effectivement de ne rien cacher et d’être le plus franc et honnête possible dans mon discours, quitte à ce que cela déplaise à certaines personnes, ou que cela choque les plus prudes. Le livre est écrit comme une lettre que je m’envoie à moi même dans 30 ou 35 ans, et forcément quand on se parle à soi même on ne cache rien.
C’était un merveilleux exercice pour moi que de faire cette mise au point avec mon passé, pour avancer au mieux dans le futur sans oublier mes erreurs, et faire en sorte qu’elles portent leurs fruits.
Si j’ai décidé de ne rien édulcorer c’est aussi pour montrer à tous que malgré les échecs et les erreurs du passé, avec la volonté et l’ambition on peut soulever des montagnes, j’ai voulu que le livre garde avant tout un message positif.
J’aurai voulu te parler de cette histoire de médecin qui fut renvoyé pour erreur médicale, de ta tentative de suicide et de la force que tu as déployée pour survivre. J’aurai voulu te parler du terme “égoïsme” à propos justement du suicide mais ce n’est pas l’endroit. Nous en parlerons un jour lorsque nous irons boire un verre tous les deux. Par contre, j’aimerai savoir comment va Steeve ? As-tu encore des nouvelles de lui ?
Non je ne suis plus en contact avec lui, mais je sais par contact interposé qu’il va relativement bien. Malheureusement sa condition physique est extrêmement difficile à vivre puisqu’il est entièrement paralysé et c’est une machine qui respire à sa place, ce qui limite fortement les déplacements. Je garde de Steeve le souvenir de quelqu’un de vraiment très courageux, et je lui souhaite de vivre sereinement et le mieux possible.
Je dois reconnaître aussi que lorsque j’ai quitté l’hôpital après 1 an 1/2 la seule chose que je voulais était de vivre normalement, avec les mêmes amis qu’avant, et ne pas m’entourer de gens qui eux aussi sont handicapés. Il m’a fallut de nombreuses années avant de commencer à côtoyer d’autres personnes à mobilité réduite.
Tu écris régulièrement dans ton livre que tu es un petit con mais tu es à peine autonome que tu recommences les conneries (drogues, vie nocturne jusqu’à épuisement). Tu n’as en fait jamais arrêté de vivre ta vie à 200 à l’heure.
Il est vrai que je n’ai jamais arrêté de vivre à 200 à l’heure, par contre j’ai grandi et mûri avec le temps. Il ne faut pas oublier que j’ai eu mon accident alors que je n’avais que 16 ans, donc forcément lorsque je suis sorti de l’hôpital à 18 ans j’avais encore envie de faire plein de choses interdites, pour repousser mes limites chaque jour un peu plus.
Cela fait plusieurs années que je sors beaucoup moins qu’avant, que je ne prend plus de drogues et que j’essaie du mieux que je peux de garder une vie relativement saine. Avec le temps j’ai tout simplement trouvé d’autres moyens de m’éclater…
En lisant ton livre, j’ai découvert que nous avions deux points communs : la difficulté pour chier et la fascination pour le sexe.
(rires) J’espère vraiment pour toi que tes difficultés sont moins importantes que les miennes à l’époque. Comme tu le soulignes si poétiquement, j’avais effectivement beaucoup de soucis pour aller aux toilettes durant les 2 ou 3 premières années après mon accident car une partie de mes intestins étaient paralysés. Pour te donner une idée, il m’arrivait de rentrer de l’école vers 18h, et de m’installer aux toilettes jusqu’au lendemain matin, pour ensuite retourner à l’école en nuit blanche. C’est aussi en partie pour ça qu’il m’arrivait de prendre de la drogue durant les examens, tout simplement pour me tenir éveillé car je dormais vraiment très peu.
Heureusement suite à une opération tout a pu s’arranger et je n’ai plus à vivre ça…Et pour parler de sexe puisque cela semble te tenir à cœur, effectivement nous partageons la même fascination et je pense que nous sommes nombreux à le faire, sauf que bien souvent les gens n’osent pas en parler ouvertement.
Si j’ai décidé de me confier à ce point sur le sujet, c’est aussi pour faire passer un message simple: Handicapé ou non tout le monde a droit à une sexualité, que chacun défini selon ses attentes et ses possibilités.
A l’heure actuelle beaucoup de gens se demandent encore si les personnes handicapées ont une sexualité, je pense qu’avec mon livre ils auront la réponse…
Il y a encore d’autres points communs comme ta candeur dans tout ce que tu entreprends. Même si elle t’apporte parfois des rencontres malheureuses ou des problèmes financiers, elle te permet aussi de voir grand.
J’ai toujours été quelqu’un avec beaucoup d’ambition, et c’est vrai que je vois les choses en grand. Quand j’ai démarré dans le milieu de la nuit, je n’avais même pas 20 ans et je partais du principe que les gens sont bons et honnêtes, j’ai compris avec le temps que c’est loin d’être le cas de tout le monde. J’ai à plusieurs reprises payé les frais de ma naïveté mais j’essaie toujours de grandir de mes erreurs. Je pense maintenant être devenu quelqu’un de plus raisonnable, qui réfléchis d’avantage avant de sauter la tête la première sur tous les projets possibles et imaginables…
C’est quand même grâce à toi que j’ai rencontré Paris Hilton. Entre autre. Ou que j’ai réalisé cette photo incroyable avec Jean-Claude Van Damme (voir ci-dessous). Tu es l’ami de Nikos Aliagas, tu dînes avec Bruce Willis, Michelle Rodriguez vient à tes fêtes, … Penses-tu que tout ceci aurait été possible sans ton accident ?
Je pense que mon accident m’a encore plus donné cette rage de vaincre et d’avancer, et que je n’aurais peut être pas fait tout ce que je fais actuellement si je n’avais pas connu ce drame si jeune…
Par contre, ce milieu (comme bien d’autres d’ailleurs) est un milieu où les gens ne se font pas de cadeaux, et je n’ai jamais eu de facilités particulières pour organiser de tels événements parce que je suis en chaise roulante. Bien au contraire. J’ai du me battre bien plus que d’autres pour y arriver.Cependant, il est vrai qu’à titre personnel, je me rends bien compte que je vais de temps en temps pouvoir accéder avec un peu plus d’aisance à certaines choses, comme le fait de ne pas faire la file dans les parcs d’attractions ou pouvoir plus facilement asseoir les filles sur mes genoux. (rire)
Je n’ai jamais voulu jouer sur la pitié et j’ai même horreur de ça, mais la vie est suffisamment compliquée dans ma situation, je serais donc bête de ne pas profiter des petits avantages qu’on m’offre.
Pour revenir à Jean-Claude Van Damme, tu l’égratignes un peu à la fin de votre aventure…
Par rapport à Jean-Claude Van Damme, je n’ai rien de personnel contre lui et ce serait encore avec plaisir que je l’inviterais à aller prendre un verre si je le croise, mais j’ai effectivement voulu expliquer ma déception suite à ma collaboration avec lui en 2010, et le fait que les stars ne sont en général pas des amis, juste des contacts qui vous oublient vite quand elles n’ont plus besoin de vous…
Ta vie est une suite d’événements extraordinaires (accident dramatique, sexe, drogue, mafia albanaise, night-clubbing, prostitution, meurtres, …), elle pourrait facilement devenir un magnifique scénario d’un film. Qui verrais-tu pour jouer ton rôle ou celui de tes amis ?
Je rassure tes lecteurs ma vie est aussi faites de plein de bonnes choses, il n’y a pas eu que des malheurs, loin de là. J’ai connu des années difficiles entre 2006 et 2010, mais tout ça c’est du passé et ma vie a très fortement évolué en positif, avec plein de beaux projets à vocation sociale.
Je serais ravi que le livre puisse un jour être adapté en film, afin de toucher un maximum de monde.
Le premier acteur qui me vient à l’esprit pour jouer mon rôle est Pierre Niney, car je trouve qu’ il peut avoir ce côté angélique et démon à la fois, il a aussi ce côté un peu désinvolte qui me plaît bien.Mais moi qui cherche constamment à relever de nouveaux défis, je dois dire que si le réalisateur pouvait me donner un petit rôle cela me plairait beaucoup, l’appel est lancé…
Alexandre, je te promets de faire suivre ton livre à des amis réalisateurs. S’ils en trouvent un intérêt, j’espère être invité à la première. Je suis grand fan de Pierre Niney !
Entretien réalisé par Mister Emma.