Par 14 voix contre 3, la Cour Européenne des Droits de l'Homme censée être l'ultime garante du respect des droits de l'Homme a entériné, par un arrêt rendu le 27 mai dernier, le droit à un Etat membre de l'Union, en l'occurrence la Grande Bretagne, à expulser une femme atteinte du sida. Ce faisant, la plus haute juridiction en matière de protection des droits a reconnu un droit inique en refusant assistance à une personne malade. Cette jurisprudence marque la confirmation au niveau judiciaire de la volonté des dirigeants européens de mener une politique d'immigration excluant toute compassion. Pour ce faire, la Cour européenne développe un argumentaire conduisant à dire qu' « une réduction significative de son espérance de vie, n'est pas en soi suffisant pour emporter violation de l'article 3 » édictant que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » au motif, on ne peut plus inique, que « la requérante n'est pas, à l'heure actuelle, dans un état critique » et que la situation de cette femme « n'est pas marquée par des ‘circonstances très exceptionnelles' »
Cette personne est arrivée en Grande Bretagne il y de cela dix maintenant le 28 mars 1998. Gravement malade, elle fut hospitalisée. A l'époque, ses avocats déposèrent une demande d'asile en son nom au motif qu'elle avait été soumise à des mauvais traitements et violée en Ouganda par des membres du Mouvement national de résistance et qu'elle craignait pour sa vie et sa sécurité au cas où elle serait expulsée.
Vers novembre 1998, on diagnostiqua que la requérante souffrait de deux maladies opportunistes liées au sida et que son infection par le VIH avait atteint un stade extrêmement avancé ; son taux CD4 était de 20 cellules/mm3, ce qui indique une importante immunodépression. Le rapport médical précisait que, sans traitement actif, le pronostic était « épouvantable » et que l'espérance de vie de l'intéressée serait inférieure à 12 mois si elle était contrainte de retourner en Ouganda, où elle n'avait « aucune chance de bénéficier de soins adaptés ».
Le ministre rejeta la demande d'asile le 28 mars 2001. Il estima que les allégations de l'intéressée n'étaient pas crédibles, qu'aucun élément n'indiquait que les autorités ougandaises s'intéressaient à la requérante, que les malades du sida bénéficiaient en Ouganda d'un traitement équivalent à celui dispensé dans les autres pays africains, et qu'ils avaient accès aux principaux médicaments antirétroviraux à des prix fortement subventionnés. La requérante forma un recours.
Le 10 juillet 2002, son recours fut rejeté pour autant qu'il concernait le refus de lui accorder l'asile, mais accueilli pour autant qu'il se rapportait à l'article 3 de la Convention.
Le ministre forma un recours contre la conclusion relative à l'article 3 en arguant que tous les médicaments pour soigner le sida disponibles au Royaume-Uni dans le cadre du système national de santé pouvaient aussi être obtenus en Ouganda et que l'on pouvait se procurer la plupart d'entre eux à bas prix grâce à des projets financés par l'ONU et à des programmes bilatéraux sur le sida financés par des donateurs. En cas d'expulsion, la requérante ne se trouverait donc pas face à « une absence totale de traitement médical » et ne serait ainsi pas soumise à des « souffrances physiques et morales extrêmes ». La commission de recours en matière d'immigration accueillit le recours le 29 novembre 2002. Elle conclut en ces termes : « On trouve en Ouganda des traitements médicaux permettant de soigner [la requérante], même si la commission reconnaît que le niveau des services médicaux disponibles en Ouganda est inférieur à ce qu'il est au Royaume-Uni ».
La requérante saisit en vain la Cour d'appel et la Chambre des lords. C'est alors qu'elle s'est décidée à introduire en ultime recours une requête devant la Cour européenne des droits de l'homme le 22 juillet 2005. L'arrêt a été rendu par la Grande Chambre de 17 juges.
La Cour européenne a ainsi constaté qu'elle n'a pas conclu à pareille violation depuis l'arrêt D. c. Royaume-Uni (requête n° 30240/96) du 21 avril 1997, où des « circonstances très exceptionnelles » et des « considérations humanitaires impérieuses » étaient en jeu. Dans cette affaire, le requérant était très gravement malade et paraissait proche de la mort, il n'était pas certain qu'il pût bénéficier de soins médicaux ou infirmiers dans son pays d'origine et il n'avait là-bas aucun parent désireux ou en mesure de s'occuper de lui ou de lui fournir ne fût-ce qu'un toit ou un minimum de nourriture ou de soutien social.
Le fait qu'en cas d'expulsion de l'Etat contractant le requérant connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, n'est pas en soi suffisant pour emporter violation de l'article 3.
Pourtant, l'article 3 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme édicte que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Pour justifier sa position inique, la Cour européenne des droits de l'Homme explique froidement que les droits que la requérante énonce ont certes des prolongements d'ordre économique ou social, mais seulement la Convention vise essentiellement à protéger des droits civils et politiques. Le durcissement de la politique d'immigration au niveau européen sous-tend clairement la position des juges puisqu'ils nous expliquent doctement la nécessité et « le souci d'assurer un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu » et ce qui est pire retourne l'usage du principe d'égalité qui n'a d'intérêt que dans la défense du plus faible en ajoutant « bien que la présente affaire concerne l'expulsion d'une personne séropositive et présentant des affections liées au sida, les mêmes principes doivent s'appliquer à l'expulsion de toute personne atteinte d'une maladie physique ou mentale grave survenant naturellement, susceptible de provoquer souffrances et douleur et de réduire l'espérance de vie, et nécessitant un traitement médical spécialisé qui peut ne pas être facile à se procurer dans le pays d'origine du requérant ou qui peut y être disponible mais seulement à un prix élevé. »
Le fait que « si elle [la requérante] devait être privée des médicaments qu'elle prend actuellement son état empirerait rapidement et elle devrait affronter la maladie, l'inconfort et la souffrance, pour mourir en l'espace de quelques années » n'a pas été suffisant aux yeux des juges pour refuser son expulsion et pourtant elle relève elle-même qu'« on trouve en Ouganda des médicaments antirétroviraux, même si, faute de ressources suffisantes, seule la moitié des personnes qui en ont besoin en bénéficient » et sans se départir insiste en admettant « que la qualité et l'espérance de vie de la requérante auraient à pâtir de son expulsion vers l'Ouganda. Toutefois, la requérante n'est pas, à l'heure actuelle, dans un état critique. »
On notera cependant que les juges Françoise Tulkens (Belge), Giovanni Bonello (Maltais), et Dean SpielmannCosta (Français). (Luxembourgeois), ont exprimé une opinion dissidente commune dont le texte se trouve joint à l'arrêt. Le président de la Cour est Jean-Paul
On trouvera cette opinion dissidente en cliquant sur ce lien par laquelle les trois juges marquent que cet arrêt rendu par la Grande Chambre constitue un recul dans la défense des droits de l'Homme. Notons enfin que l'Ouganda présente un PIB par habitant de 294 $ (données 2005) et que son indice de développement humain est 144ème sur 177 pays (PNUD, 2005) !