Hier soir, nous étions le lundi 17 novembre. Sur mon agenda, à 20 heures, est inscrit : « Fabrice Luchini au Théâtre des Mathurins ». Après ce terrible week-end, tout le monde se demande si les représentations sont maintenues. Mais oui, elles sont maintenues. Tout le week-end, à l’image de « Je suis Charlie », des photos « Je suis en terrasse » ont fleuri sur les réseaux sociaux. Hier soir, en dessous de cette photo du décor du spectacle « Poésie ? », j’ai écrit : « Ne pensait pas qu’aller voir Luchini serait un jour un acte de résistance. » Mais hier soir, venir dans cette salle du Théâtre des Mathurins était bel et bien un acte de résistance. La salle était protégée. Les portes d’entrées fermées, des gardes devant les portes.
Fabrice Luchini arrive sur scène vers 20h10. Il nous propose une minute de silence avant de commencer. L’émotion est palpable. Il nous remercie d’être venu. La salle est pleine. Pas un fauteuil vide, pas même un strapontin. Il est ému, en aurait presque les larmes aux yeux.
Il ouvre ses lectures par Paul Valéry, enchaîne avec Rimbaud. Il nous lit « Le Bateau ivre », l' »Alchimie du verbe », et s’arrête. Il nous relit un passage : « Je n’avais jamais fait attention, mais écoutez :
Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements.
Il ne s’attarde pas plus, mais c’est troublant, pour toute la salle. Il lit Céline, évidemment, puis Proust, nous parle d’Yves Bonnefoy, de Jacques Rivière, de Charles Baudelaire. Il nous parle des politiques, de François Hollande, de Fleur Pellerin. Entre deux lectures, il chante « Résiste ». Et il fait rire la salle. Comme il le dit lui-même : « Vous avez quand même vos places depuis quatre mois pour venir écouter de la poésie ! » Certes, mais pas que. On vient le voir lui, son audace, son érudition, son personnage, sa passion pour la littérature, son humour. Il réussit, pendant deux heures, à faire rire avec de la poésie.
Il conclura en nous disant que la France vit, car la langue française vit avec elle, que la salle est pleine tous les soirs. Un jour, Michel Bouquet lui a dit :
N’oublie jamais une chose. Le public ne vient pas te voir jouer. Il vient jouer avec toi.
Et ce soir, cela n’avait jamais été aussi vrai. Merci Fabrice Luchini, merci.