Une fois par mois je vous entretiens d'un album tiré des miens, qui me plait presqu'en entier.
"Blonde" pour Blonde on Blonde de Bob Dylan
"Idiot" pour The Idiot d'Iggy Pop
"Bassesse" pour Low de David Bowie
et
"Inoubliable" pour The Unforgettable Fire de U2
4 albums qui m'ont construit mon moi musical et que je connais note par note.
Dédé aura passé du plus festif de nos chanteurs au plus triste.
1995.
Lors du référendum perdu, Dédé Fortin est en salle avec son band sur scène et fête la possible naissance d'un peuple. Il a choisit de vivre le grand jour au maximum et est résolument sur un "high" qu'il n'atteindra plus jamais de sa vie. Quand Montréal fait passer le vote au rouge et le .08 % est confirmé. André Fortin vit tombe en profond désarroi. Un désarroi filmé dont je n'oublierai jamais les images (aujourd'hui très dures à trouver, probablement par pudeur). On l'interview en direct sur l'issue du vote final, défavorable à la souveraineté du Québec. Il est visiblement extrêmement triste de la tournure des événements. Je me souviens avoir vu les yeux d'un maniaco-dépressif. On reprend la scène dans le film Dédé, À Travers Les Brumes.
Je suis alors un bon fan des Co-Locs. De leur mélange de musique country, kezmer, pop, folk, jazz.
Le groupe réuni autour d'André Fortin a commencé à 5. Dédé (en noir), et de gauche à droite Mike Sawatzky, Jimmy Bourgoing, Serge Robert et Patrick Esposito Di Napoli .
En Novembre 1994, Esposito Di Napoli décède du SIDA contracté sur une seringue souillée. Fortin ne s'en remettra jamais non plus. L'album suivant sera fait dans le chaos. Dans l'excès. 24 chansons. Intense. Un album double. Si intense que le band original ne survit pas. On fait une partie en spectacle pour montrer comment on fait la fête avec les Co-Locs sur scène.
En surface.
Parce qu'en dedans de Dédé quelque chose s'est brisé.
Entre 1997 et 1998 il vit un douloureuse séparation amoureuse qui constitue la troisième et dernière prise de sa présence au marbre sur terre. Il s'enfermera dans un chalet à St-Etienne de Bolton en Estrie. Pratiquement tout le temps seul. Dans les brumes. Serge est parti devenir Mononc'. Pat est au ciel. Jimmy écrira une dernière musique avec Dédé, un hommage à Pat qui deviendra le titre du prochain album, mais sur lequel Jimmy ne jouera pas de la batterie. Lui aussi il est parti. Dédé est trop intense. Il plonge dans l'abîme.
Mais du côté des auditeurs, Dédé c'est encore l'homme de la fête. Le roi de la rue principale. On ne sait rien de ses états d'âmes. Quand le troisième album des Co-locs est lancé en mai, le groupe est devenu un trio. Mike y est toujours à la guitare et à l'harmonica. André Vanderbiest s'y joint à la basse/contrebasse. Dédé fait l'homme orchestre.
Et sur cet album de 1998, il signe son testament. Il s'enlève la vie 2 ans plus tard presque jour pour jour.
Laissant derrière un héritage musical fabuleux, mais désormais teinté d'obscurité.
La pochette aurait dû être un indice. Les paroles trahissent la mal être et la suppression personnelle à venir.
Le morceau qui ouvre l'album est mon préféré. L'histoire d'un chat, composé à trois mains (Fortin/Richard Petit/ Vanderbiest). La musique à saveur juive est tout simplement jouissive et est toute de la tête à Dédé. Les paroles donnent des frissons. "...la passe du samouraï..." cybole,,,quand on sait comment il s'est enlevé la vie... "...il me sort sa lame seule griffe d'argent qui transperce mon âme et fait couler mon sang..." "yé pas question que je passe ma vie, emprisonné dans ma petite tête". Les appels à l'aide son limpides mais noyés dans l'humour. Belzébuth c'est évidemment Dédé. Long morceau, mais on en prendrait encore.
Le second morceau est en forme de reggae, bercé d'harmonica. C'est très (très) fielleux. Musique de Fortin et Swatazky, paroles: Dédé. Fâché. Imitant merveilleusement Michel Chartrand en toute fin de chanson. Dans le cynisme absolu.
Le troisième morceau est un splendide morceau reggae croisé de musique du monde, un des plus beaux témoignages d'humilité écrit en musique (Fortin/Vanderbiest) et intégrant les frères de Boucar, El Hadji Fall et Pape Abdou Karim Diouf qui chanteront dans leur sénégalais d'origine. Une chef d'oeuvre bien ce chez nous mais qui a aussi un saveur nettement internationale avec la Belgique de Vanderbielst, le Sénégal des frères Diouf et le reggae jamaïcain. Magistral. Le propos rappelle aussi Esposito (France) et sa triste fin.El Hadji (Élage) est co-auteur des paroles.
Quand Vander se joint au Co-Locs, il a déjà un bagage de musicien affranchi. Le quatrième morceau est signé de sa main et d'un ami français. Un sobre morceau présentant une voix rauque sur fond de musique jazzée.
Fortin est au plus profond de sa dépression quand il compose la cinquième chanson. Jean-Denis Levasseur y glisse une jolie clarinette. Une chanson à faire pleurer celle pour laquelle il l'a composée. Simple et lourd à la fois.
La chanson suivante a été la plus analysée suite à son suicide. Il annonce tout dans ce morceau musicalement animal, très dynamique, intense, probablement aussi violent que le dernier jour de sa vie. Intense. Presque malsain après coup.Mais musicalement (Fortin/Sawatzky) très intéressant. "Y a p'us rien qui me fait p'us rien..." Dédé était déjà mort.Tout seul.
Mike Sawatzky était le plus country/folk des Co-Locs. Le plus électrique aussi. le 7ème morceau est en anglais et est signé de sa main. Un beau pied-de-nez aux souverainistes anti-anglos.
Fortin signe tout sur le 8ème morceau. Dédé était un homme de tribu. Il écrit ce morceau par amour pour son guitariste Mike, seul survivant du band original avec lui. Sa tribu s'effrite. Fortin passe trop de temps seul. Trop de temps dans sa propre tête. Avec son "christ de cafard".
Le morceau qui ferme l'album est le morceau-titre. Un hommage à Pat Esposito co-écrit avec Bourgoing. Il y a un peu de la guitare de Robbie Krieger sur ce morceau. "mon corps est un pays en guerre, sur le point de finir..." Si on avait écouté comme il faut... Musicalement riche.
Pour amateur de musique aux propos sombres. de jazz, de folk, de country, de musique kezmer, de basse dominante. de sax et de clarinette brillamment intégrés et de musique riche. De musique de chez nous tout en étant aussi de la musique du monde entier. Pour amateur de musique de novembre,
Le mois des morts.
(Plus, là-dessus demain)