Deux mois jour pour jour après sa sortie en salles, il est plus que temps que je vous parle de "Marguerite", de Xavier Giannoli qui est assurément à nos yeux- carMichel avait aussi beaucoup aimé et c'est rare qu'on soit tous les deux d'accord-, un des plus beaux films français de cette année 2015, qui réussit parfaitement le pari toujours difficile d’allier cinéma grand public et cinéma d’auteur.
Comme pour les anarchistes, dont j’ai parlé en début de semaine passée, "Marguerite" parvient largement à transcender le genre du film d’époque, et ne jamais aller sur le coté académique ou corseté de ce genre de cinéma là.
Xavier Gianolli qui est décidément un cinéaste passionnant (" A l’origine", "quand j’étais chanteu"r ou" les corps impatients" sont des films réussis et très émouvants), réalise ici un film fastueux, qui oscille entre comédie et tragédie pour parler aussi bien d’amour et de passion pour la musique, d’illusion et de faux-semblants, des coulisses du théâtre, de la confrontation d'un milieu très corseté et du monde de la nuit, des thématiques singulières et pour la plupart doséesavec sensibilité, humour et émotion.
Mais Marguerite vaut certainement en premier lieu par son personnage titre, vraiment fascinant, un personnage assez surréaliste, une véritable anomalie dans cette bonne société du début du 20ème siècle-, ces années folles coincées entre une volonté de s’affranchir de l’ancien monde et un respect envers ceux qui sont morts à la guerre.
Marguerite constitue en effet un personnage terriblement attachant, - la cantatrice qui chantait faux - à la fois ridicule et émouvante, drôle et poignante....qui aime passionnément la musique mais à qui la musique hélas lui rend parfaitement cet amour inconditionnel.
On l’a déjà lu et entendu ici et là ( c’est normal quand on fait la critique bien après la bataille) mais il faut dire encore à quel point Catherine Frot qui a mis trois ans pour préparer le rôle en étant absent des écrans aussi longtemps, une interprète exceptionnelle pour incarner cette Marguerite, elle est vraiment impériale dans et d’une justesse déconcertante dans les moindres tressaillements de ce personnage qu’on croit terriblement idiote alors qu’elle n’est qu’innocence et spontanée, directe qu’on ne sait jamais si elle est vraiment dupe du manège qui se crée autour d’elle.
Le césar de la meilleure actrice lui tend les bras, et on voit mal-et surtout pas Emmanuelle Bercot dont le prix d’interprétation cannois pour le pas terrible Mon roi semble un peu trop lourd à porter- qui pourrait le lui ôter. Pour lui donner la réplique, le trop rare au cinéma André Marcon dans le rôle du mari miné par sa lâcheté ; et surtout la révélation Denis Mpunga dans le rôle du domestique obséquieux, (dont les motivations rappellent forcément Erich Von Stroheim dans Boulevard du Crépuscule de Billy Wilder) sont absolument formidables également.
Marguerite le film est également très intelligemment construit, conçu comme un vrai opéra découpé en 5 actes, et cette tragi-comédie fait avancer l’intrigue vers un dénouement qu’on devine fatal.
Cette satire irrésistible sur l’hypocrisie, le pouvoir de l'argent, le monde des artistes, qui fait étonnamment écho à notre époque actuelle où pas mal de personnes se rêvent stars avant d'avoir travaillé un potentiel talent, possède aussi un savoureux côté surréaliste, qui va chercher du coté de Buñuel ou même plus étonnamment du coté du cinéma d’Almodovar avec ce personnage du professeur (incroyable Michel Fau) et de sa cour aux personnages plus freaks les uns que les autres.
Un simple petit bémol à ce triomphe assuré : le personnage de Christa Théret, qui semble au début du film un personnage important du film et qui disparait peu à peu sans qu’on comprenne bien pourquoi
Et ceux qui minaudent sur ce film (il en faut bien) en trouvant l’intrigue de départ peu plausible n’auront qu’à écouter la véritable Florence Foster Jenkins qui a inspiré Giannoli pour ce film, et se rendront compte que rien n'est exagéré, en ce qui concerne la voix du personnage et ses "fausses notes" qu'elle était visiblement la seule à ne pas entendre...
Bref une tragi comédie aussi drôle que bouleversante, et un film absolument passionnant, remarquable d'émotion dont il aurait été vraiment bête de ne pas parler avant la fin de l’année…
Bande-annonce : Marguerite