Le monde d'hier, c'est celui d'avant 14. Curieusement, il ressemble à notre après guerre. C'est le monde de la sécurité. On croit que la raison et le progrès rendent impossible le malheur. Alors, la pensée n'a pas de frontières. Il n'y a d'ailleurs pas de passe-ports. L'intellectuel est européen. Zweig parle quatre langues, dans toute leur subtilité, et il est partout chez lui, et il est ami de tous les grands esprits de son temps. Vienne et Paris rayonnent. Mais c'est aussi une époque qui nie la nature et les exigences du corps. L'époque de Freud.
La guerre de 14 est un coup de tonnerre dans cet azur. Rien ne la laissait prévoir. Et si la prospérité avait fait perdre toute prudence aux peuples, et, peut-être encore plus, aux puissances économiques ? Et si elle les avait rendus cupides ? Après le chaos, l'entre-deux guerre revoit paix et prospérité. Mais la crise les bouleverse. Et les Allemands, qui abhorrent le désordre, vont élire quelqu'un qui puisse y mettre un terme : Hitler.
L'Europe du bonheur de vivre, du raffinement et de l'intelligence est morte, et Zweig se suicide.
(ZWEIG, Stefan, Le monde d'hier, Les belles lettres, 2015.)