Cet billet est ma façon à moi de mettre la peur à distance. J'ai toujours eu besoin de " coucher les mots sur le papier " pour " faire mon deuil ". Parce que tant que je ne le fais pas, ils tournent en boucle dans ma tête, à toute vitesse et de plus en plus nombreux. Voilà pourquoi, après avoir pensé rester silencieuse, j'ai choisi de publier ces mots. Pour partager avec vous mes émotions depuis deux jours, parce que pour avancer il est indispensable de parler, mettre des mots sur les émotions pour qu'elles ne nous submergent pas. Il n'y a pas d'impudeur dans les mots qui suivent. Seulement une profonde tristesse...
Vendredi 13 novembre 2015, un soir comme les autres. Je suis tranquille à la maison, je papote avec une amie au téléphone. Nous échangeons nos petits tracas quotidiens. Jusqu'au moment où mon fils arrive et me dit " Regarde la télé. Il parait qu'il y a eu un attentat au Stade de France ". Sur le moment, je n'y crois pas. Je lui dit de ne pas s'affoler au moindre message sur Twitter. Sur la 1, le match se joue toujours... C'est sur BFM TV que finalement l'horreur entre notre vie...
En un dixième de seconde la légèreté s'évanouit. J'essaie d'échanger encore quelques mots avec mon amie. Mais ça n'est pas possible. Très vite nous nous disons au revoir. A 22H21, vendredi 13 novembre j'ai basculé dans l'horreur !
Les journalistes nous disent que des hommes se sont faits exploser à Saint-Denis, mais aussi les fusillades dans les 10ème et 11ème arrondissements. Puis la prise d'otages au Bataclan. Le nombre de morts augmente au fil des heures. L'horreur semble ne jamais devoir s'arrêter. Je regarde, hypnotisée et hébétée, les images qui défilent. Jusqu'à 2 heures du matin, quand enfin les otages du Bataclan sont libérés. Je crois que j'avais besoin de savoir que le plus grand nombre de spectateurs étaient sortis libres et vivants de cet enfer.
Et pendant toutes ces heures l'inquiétude pour les amis qui vivent sur Paris. On sait qu'ils aiment ce quartier là pour ces cafés et ces restaurants. Alors on envoie des messages, par téléphone ou sur les réseaux sociaux, pour savoir où ils sont, pour être rassurés. Heureusement, j'ai eu de la chance, tout le monde a répondu à l'appel...
Au réveil l'horreur est toujours là. Dehors le ciel est gris, comme s'il était en deuil lui aussi. Impossible de sortir, de retourner à une vie " normale ". Je ne peux m'empêcher de rallumer la télé et de regarder les réseaux sociaux. Toute la journée, je lis, je regarde, j'écoute... Je crois que je ne veux pas réaliser ce qu'il vient de se passer. j'ai tellement envie de me réveiller et que tout cela ne soit jamais arriver !
Malheureusement, cette violence est une réalité. Ces fanatiques ont déclaré la guerre à l'Humanité en touchant ce qu'elle a de plus précieux : la jeunesse et sa joie de vivre. Ils ont frappé un des quartiers les plus festifs de Paris. Vendredi soir des hommes et des femmes sont morts uniquement parce qu'ils étaient avec des amis entrain de boire un verre, de dîner ou d'écouter un concert. Cette fois, nul blasphème pour excuse ! Ils ont tiré dans la foule juste pour tuer, le plus possible, guidés par la haine aveugle de leurs prochains !
De vendredi soir à ce matin , je suis restée murée dans le silence. Impossible de parler à mes amis. Mes seuls mots étaient pour rassurer mon fils. Je n'avais pas de mots pour l'indicible. Puis ce matin, j'ai vu le ciel bleu et le soleil. Je me suis dit qu'il ne fallait pas allumer la télé mais sortir. Alors j'ai appelé une amie et nous avons fait une grande marche pendant 2 heures sur les Bords de Marne. Nous avons parlé de notre peur, de notre tristesse. Nous avons enfin mis des mots sur toutes ces émotions qui nous avaient submergées.
Cette balade était nécessaire pour reprendre contact avec l'extérieur en douceur. Parce que demain il va falloir reprendre le cours de sa vie. Prendre les transports en commun. Aller travailler en face du McDo où une bombe a explosé. Rassurer mon fils en lui promettant qu'il ne va rien m'arriver. Mettre de côté ma propre peur. Parce que oui, j'ai peur. Peur que des gens que j'aime trouvent la mort. Peur d'être un jour au mauvais endroit, au mauvais moment. Parce que j'aime passionnément la vie et parce que j'ai des enfants que je veux voir grandir. Cette peur ne m'empêchera pas de continuer à vivre comme j'ai toujours vécu jusque-là, c'est à dire en femme libre ! Mais je ne peux pour autant faire comme si elle n'existait pas car ne pas avoir peur serait de l'inconscience.
Ce soir, comme tous les soirs depuis vendredi, mes pensées vont aux victimes et surtout à leurs proches, familles et amis, qui ont vu leurs vies basculer. Je ressens leur immense tristesse car ces jeunes auraient pu être un de mes enfants ou un de mes amis. Il n'y a pas de mots de consolation dans une telle situation. Je leur dis quand même mon profond respect et m'associe à leur douleur.
Je ne change rien à mon rituel et je vais donc clore ce billet avec de la musique. Mais avant, voici les paroles de la chanson que je partage avec vous ce soir. Elles sont de Gaël Faye.
J'ai débarqué Paris d'un monde où l'on te rêve
J'ai fui les périls, les déserts où l'on crève
Tu m'as ouvert tes bras, toi ma Vénus de Milo
Tu brillais trop pour moi, je n'ai vu que ton halo
C'est pour ça que je l'ouvre, ma gueule est un musée
Je vis loin du feutré, des lumières tamisées
Dans tes ruelles cruelles ou tes boulevards à flics
Dans la musique XXX des silences chaophoniques
Paris ma belle beauté, tes prétendants se bousculent
Dans le brouillard épais de tes fines particules
Moi pour te mériter, je t'écrirai des poèmes
Que je chanterai la nuit tombée debout sur la scèneParis s'éveille sous un ciel océanique
L'accent titi se mêle à l'Asie, l'Amérique, l'Afrique
Je suis une fleur craintive dans les craquelures du béton
A gagner deux sous, à dormir dessous les ponts
Paris bohème, Paris métèque, Paris d'ancre et d'exil
" Je piaffe l'amour " médite une chinoise à Belleville
Leonardo da Vinci se casse le dos sur un chantier
Je vois la vie en rose dans ces bras pakistanais
Il tourne le gyrophare, petit cheval de carrousel
Galope après des tirailleurs qui XXX la tour Eiffel
D'un squat, d'un bidonville, d'une chambre de bonne ou d'un foyer
Je t'écris des poèmes où des fois je veux me noyerUne ville de liberté pour les différents hommes
Des valises d'exilés, des juifs errants et des roms
Aux mémoires de pogrom, aux grimoires raturés
Aux chemins des d'Erevan, aux sentiers de Crimée
Caravanes d'apatrides, [pot d'peoples ?], caravelle
Sur tes frontons Paris viennent lire l'universel
Et souvent je t'en veux, dédaigneuse et hautaine
Capital XXX à jouer la mondaine
Laisse-nous consteller la vraie nuit que tu ignores
Cesse donc de faire briller les milles feux de ton décorParis ma belle je t'aime quand la lumière s'éteint
Gaël Faye, Paris métèque
On écrit pas de poème pour une ville qui en est un