Pourtant, en m'apprêtant à prendre une nouvelle fois l'avion (c'était beaucoup plus pratique de repasser par Paris pour aller à Dakhla que de penser y aller directement de Marrakech ou de Zagora...tout étant organisé depuis Orly) pour rejoindre le sud marocain, tous les signaux de forme sont au rouge, ou au moins à l'orange foncé: j'ai mal à la gorge, je me sens fatigué. Seuls mes muscles ont semblé avoir récupéré de ces douloureux 110 kilomètres de la semaine passée. Il faut dire que je ne suis pas allé bien vite, ça aide à ne pas se faire trop de bobos à ce niveau là.
Mais je suis plutôt confiant: au pire, je terminerai à la marche, ce que je sais relativement bien faire maintenant quand ça devient très long et difficile. Du coup, je pense aussi, et presque surtout, à bien profiter du voyage, des échanges et de la découverte. J'ai bien envie de découvrir Dakhla: sur une carte du Maroc, c'est tout au sud, à plus de 1800 kilomètres de Zagora, tout près de la frontière mauritanienne. Je ne suis pas tant allé que ça aussi bas sur le globe, en Afrique. Du coup, ça me tentait vraiment de voir de près ce drôle d'endroit.
Côté ambiance, je retrouve dès mon arrivée à l'aéroport tout plein d'amis, puisque les bloggeurs et les journalistes sont en force dans la délégation. Je sens qu'on va bien s'amuser. La plupart de mes amis, dont Greg (Runner), Jean-Pierre (Run Run), Fabrice (Run...on Line) ou encore Muriel (qui n'a aucun pseudo en run!) s'alignent sur le 3X30 kms. C'est souvent leur "première fois" dans un trail par étapes et dans le désert!
Le voyage se passe agréablement, entre discussions et lecture. L'escale à Casablanca, dans une salle plutôt glauque (l'aéroport de Casa doit être dans les tréfonds du classements des "top airport" du monde), me permet de faire connaissance avec le reste du groupe. C'est déjà convivial et ça va le rester pendant nos six jours de voyage. Nous aterrissons avec un retard d'une heure environ à Dakhla. Le timing est serré et le sera d'ailleurs tout le séjour: minuit à l'aéroport, une heure de transfert pour atteindre le complexe de Dakhla Attitude où nous passons le reste de la nuit... Nous nous couchons donc passé deux heures du matin, pour quelques heures de sommeil. Le départ de l'étape est prévue à onze heure le lendemain, mais il nous faut quand même nous réveiller tôt car une cérémonie est prévue avant dans la ville de Dakhla. Nous avons pu entrevoir la cité en arrivant: tout semble neuf ou presque (c'est normal, Dakhla est d'un développement très récent, né du tourisme spécialisé dans le Kite Surf essentiellement et soutenu par une forte volonté politique de développer la région du Sahara occidental et d'y renforcer la souveraineté royale. Toute la ville est d'ailleurs éclairée aux couleurs du Maroc, on célèbre cette semaine l'anniversaire de la marche verte) et c'est relativement étendu. Cela me fait l'effet d'être un peu moins grand que Zagora.
Le lendemain, enfin, quelques heures plus tard en fait, nous allons pouvoir la découvrir un peu mieux, de jour. Un bon nombre d'officiels sont là, ainsi que quelques grandes gloires passées de l'athlétisme marocain (j'ai reconnu au petit déjeuner Khalid Skah, qui semblait tout content et presque touché qu'un français puisse le reconnaître, une vingtaine d'année après son titre olympique), pour une cérémonie et un "départ fictif" plutôt rondement menés: nous courons quelques mètres dans les rues, avant de nous répartir dans les bus: les vrais départs des deux distances auront lieu dans la pampa, à quelques kilomètres de là.
Nous nous retrouvons donc, la grosse trentaine de coureurs du 150 kilomètre, en bord de mer, devant un phare, pour prendre le départ. Il est onze heures et le soleil est déjà au zénith mais la température est rendue supportable par un fort vent. C'est la spécialité de Dakhla, le vent, qui a permis au lieu de devenir un fameux spot de Kite. Pour courir, c'est certes gênant mais cela garantie une fraîcheur qui moi me va bien! C'est donc parti pour 50 kilomètres, dont la première partie semble se résumer à une immense ligne droite le long du littoral.
Je tente de trouver mon rythme: comme le parcours paraît plutôt roulant, il va me falloir courir le plus possible. Pas vraiment facile comme perspective lorsque vous avez encore pas mal les 110 kilomètres du l'UTMES dans les pattes, mais je tente. Et je suis assez surpris, ça a l'air de répondre correctement. Je laisse vite filer le groupe de tête et me cale dans un autre, où ça avance tout de même bien. Le paysage se résume à une côte découpée, des falaises qui plonge dans la mer, des plages et de vastes étendues planes avec quelques dunes "calcifiées" de sables et de sels. C'est assez majestueux et particulier, sans être totalement captivant. La ligne droite semble immense et c'est surtout une affaire de concentration qui s'annonce aussi.
Au bout de quelques kilomètres, nous commençons à échanger quelques paroles et nous décidons de nous organiser en micro-peloton pour nous abriter un peu du vent. Deux devants, deux derrières, et on change tous les kilomètres. Mes compagnons de route s'appellent Laurent, John et Flore, qui bataille avec une marocaine pour le leadership féminin. Elle vaut tout de même 2h50 au marathon, un sacré niveau. Nous faisons chemin commun, le long de la lagune, jusqu'à ce que vers le 25e kilomètre (je suis déjà étonné d'être allé si loin à cette allure, et ça va!), une balise semble nous indiquer de bifurquer à droite. Comme cela semble suivre les indications qu'on nous a fourni lors du rapide briefing d'avant-course, nous nous dirigeons tous par là. Puis plus rien. Rien non plus du côté de la mer. Il faut dire que depuis le départ, le balisage nous est apparu plus que discret voire parfois presque inexistant. Après pas mal de tergiversations, nous optons pour nous diriger vers la grand route, que l'on devait recouper selon ce que le directeur de course nous a dit peu après. Mais aucun balisage... Nous sommes égarés. Les numéros fournis sont faux, nous tombons sur des personnes bien étonnées et pas bien aimables, en France. Finalement, un peu plus tard, une voiture de l'organisation viendra nous prendre en charge et nous remettre sur le parcours. Nous avons certes "coupé" quatre kilomètres mais le détour correspond plus ou moins à la même distance et la perte de temps due à l'hésitation et aux appels est importante.
Revenus sur le bon chemin, nous devons nous concentrer fortement sur le balisage et retrouvons un peu plus tard Damien, qui s'est perdu également alors qu'il était encore au contact avec la tête de course. Je lui emboîte le pas, suivi par Flore. L'arrivée se rapproche vite, il commence à faire très chaud. Les sensations sont encore presque bonnes, malgré la fatigue accumulée et la courte nuit. Décidément, je suis étonné de pouvoir avancer ainsi.
Nous retrouvons la plage pour les derniers kilomètres, ainsi, après une nouvelle hésitation sur le parcours, que nos premiers compagnons de route. Un joli finish partagé tous les quatres, 5h11 pour boucler l'étape, 49 kilomètres au GPS de Flore et de Laurent.
Nous découvrons là le bivouac tout confort qui va nous accueillir ces deux prochains jours: des grandes et belles tentes circulaires en bord de plage, le lieu est agréable. La tente "repas" est accueillante aussi et de bon coussins sont là pour récupérer et discuter à son aise. La soirée passe vite.
Mes quatres compagnons d'infortune et moi écopons de trois heures de pénalité pour n'avoir pas pointé à deux CP. Comme je n'ai pas d'ambition de classement, je m'en fiche un peu, mais cela n'augmente pas ma motivation pour les deux étapes suivantes. C'est bien plus ennuyeux pour Flore, qui vise la victoire chez les filles et ne mérite pas une telle sanction. Je fais part de mon sentiment à Bruno, le directeur de course. Le balisage, imprécis et d'une discrétion totale, ainsi que les indications fournies lors du briefing, pouvant prêter à confusion, sont tout de même aussi à mettre dans la balance, même si bien entendu nous avons eu tort de poursuivre sur une mauvaise route. Rien ne venait nous "rassurer" sur la conduite à tenir, ni un balisage immédiatement visible, ni même un numéro de course consultable quant à la bonne conduite à tenir. Le doute était permis. En plus de quinze ans de trail, ce n'est que la deuxième fois que je me perds autant. Bref, la sanction me parait trop forte car les torts sont partagés. Mais il campe sur ses positions et reste sûr de la qualité de son balisage. Cela m'irrite un peu, d'autant plus quand je compare avec la réaction pleine d'humilité de Mohamad devant les critiques des coureurs la semaine passée, sur la même question du balisage, alors qu'il n'y avait pas la même carence. C'est à mon sens le gros point à améliorer pour ce DUST, qui a bien des atouts dans son jeu par ailleurs. Mais passons pour profiter du lieu et du moment.
Après une soirée dans la bonne humeur où chacun partage ses impressions, il est temps de rejoindre les bras de Morphée pour une nuit où je n'aurai pas de mal à sombrer dans le plus profond des sommeils: la fatigue est tout de même bien là.
Le lendemain, c'est un parcours un peu plus difficile, un peu plus varié aussi au niveau des terrains et émaillé de quelques buttes qui nous attends. Je sens vite que la fatigue est trop importante pour rééditer une journée de course aussi intense que la veille. Je "me fais plaisir" en suivant la tête de course sur les dix premiers kilomètres: Christophe, que j'ai connu beaucoup moins affûté il y a dix ans sur la Trans'aq et Damien tentent de résister aux coureurs marocains. Ces derniers auront tout de même le dernier mot mais je n'assisterai pas à l'explication finale. Je dois en effet vite ralentir. Plus que ralentir, marcher bientôt. C'est d'un bon pas que je terminerai cette deuxième étape, sans trop forcer mais tout de même bien cuit. Le soleil est plus méchant aussi que la veille, le parcours plus à l'abris du vent. Je suis un peu dans le dur, mais ça va. Comme je le disais à Muriel la veille, le fait d'être heureux dans ma vie me fait me "battre" d'une façon différente dans ces moments un peu difficiles, en course. Les ressorts ne sont plus les mêmes.
Je profite plutôt bien du paysage, la fatigue ressentie n'étant tout de même pas douloureuse. J'avance juste assez lentement. Du grand lac asséchés, de vastes zones de plages et de sels entre mer et désert, quelques reliefs et des barrières de roches, le décor est beau et très particulier. Ce n'est pas le Sahara que je connais, l'endroit me fait davantage penser au désert blanc en Egypte. Je dois tout de même rester bien concentré sur le balisage, qui reste plus que discret, mais à la vitesse où je vais aujourd'hui cela pose moins de souci également. Je vais atteindre la ligne d'arrivée au bout de 6h55 d'efforts. C'est tout de même avec soulagement que je retrouve le bivouac, pour passer une bonne soirée encore une fois dans un climat amical et détendu, même si la fatigue est là.
Le lendemain, je repars d'un meilleur pied: c'est la fin et la perspective de m'octroyer quelques jours de vrai repos sportif ensuite ne m'est pas désagréable! Après un départ où il ne sert à rien de courir tant le groupe de tête s'arrête régulièrement pour chercher son chemin, la course se lance enfin au bout de quelques kilomètres. Le décor est sensiblement le même que la veille. C'est assez vallonné aussi. Le sol reste ferme, pour l'instant, et c'est donc avec plaisir que je parcours ces premiers kilomètres en compagnie de Matthieu. Matthieu est un coureur amateur qui découvre là le désert et la course par étape. Il se trouve aussi que nous sommes voisins à Paris, ce que notre conversation nous révèle. Nous devisons agréablement pendant une dizaine de kilomètres tout en trottinant assez bien. Un petit groupe nous rejoint au ravitaillement suivant, puis je repars devant. Matthieu est fatigué et finira au courage.
Encore un peu plus loin, je trouve un autre compagnon de route: Jean vient d'Aix en Provence et connait bien le Maroc, mais c'est aussi la première fois qu'il vient courir au Sahara. Nous terminerons ensemble sur les 35 derniers kilomètres. Je peine parfois à le suivre, mais je m'accroche. Nous alternons marche et course sur les longues portions de plage de sable mou, où vient fleurir la mer. Ce n'est décidément pas un sol facile à appréhender et il nous faut une certaine débauche d'effort pour avancer. Les tous derniers kilomètres nous font grimper sur une belle falaise qui domine une vaste plage abritée. Le panorama est splendide et en redescendant nous découvrons aussi les multiples voiles de Kite surf qui s'ébattent ici. La ligne d'arrivée est enfin en vue.
Un peu plus de six heures de course pour cette dernière étape, et c'est le repos tant attendu qui débute, par une belle soirée amicale! Mes prochains objectifs en course à pied sont un peu plus loin, alors je pense profiter des prochains pour me consacrer à des défis plus intellectuels: j'ai deux livres à écrire, après tout!
La vidéo de la course est ici:
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Tous les renseignements: www.dust-trail.com/
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