Quand ma fille m’a appelé pour me dire qu’elle m’envoie un livre de LAROUI, je lui ai demandé lequel des LAROUI. Sa réponse m’a beaucoup amusé : “Le nôtre de LAROUI, pas le vôtre“!
En fait, il s’agissait de Fouad LAROUI, l’ingénieur-économiste-professeur-écrivain et non pas du Professeur LAROUI (pas la peine d’ajouter son prénom Abdellah) et son opus LE DRAME LINGUISTIQUE MAROCAIN paru en avril 2011 chez les éditions ZLLIGE.
A prime abord, il semble que Fouad LAROUI semble tout à fait légitime dans son appropriation du problème linguistique que connait le Maroc, du fait de sa multiple formation universitaire et académique et de sa connaissance personnelle de la société marocaine.
Il a donc délaissé sa légèreté et son humour grinçant de romancier, de nouvelliste et de chroniqueur satirique, pour endosser le costume d’essayiste et aborder un problème fondamental de la société marocaine, quelque soit l’approche que l’on entreprend du Maroc d’aujourd’hui, celui de la langue sous tous ses aspects et cela bien avant les élucubrations farfelues et pas forcément désintéressées d’un Nourddine Ayouch.
Pour le livre, Fouad LAROUI semble avoir entrepris des travaux de recherche sérieux et poussés comme l’attestent les notes de bas de page, très nombreuses et souvent bien alimentées (plus de 360 notes pour 184 pages).ainsi que la bibliographie signalée sur plus de huit pages.
L’ouvrage est divisé en trois chapitres suivis d’une conclusion à laquelle s’ajoute un appendice.
Le premier cha^pitre tient lieu de constat sur la diversité des langues utilisées au Maroc:
– l’arabe classique
– l’arabe littéraire moderne
– l’arabe dialectal marocain (darija)
– le berbère (amazigh)
– le français
– l’espagnol.
Il met en relief les difficultés, réelles et concrètes, que pose l’usage de l’arabe dit “classique”. Plusieurs pages sont consacrées à l’explication et l’exemplification de cette phrase de l’égyptien Qasem Amine : “Dans les langues occidentales, on lit pour comprendre, alors qu’en arabe il faut comprendre pour lire”. A cet égard, il cite entre autres la non-vocalisation des mots, l’absence de majuscules ou de graphie italique permettant de en exergue certains vocables, la surabondance lexicale ou l’inflation du vocabulaire avant de souligner la rigidité de cette langue classique et aussi sacrée.
Dans le deuxième chapitre, Fouad Laroui aborde “la question de la diglossie”.
La diglossie se définit comme l’usage simultané par une communauté de deux variétés d’une seule et même langue
, ce qui est totalement différent du bilinguisme qui implique l’usage de deux langues différentes.
Ainsi au Maroc, la diglossie concerne l’usage par les marocain(e)s de l’arabe dialectal et de l’arabe classique pour différentes péripéties de leurs vies.
Cette situation se complique chez nous par le fait que l’amazigh fait partie intégrante de notre culture : Laroui évoque alors une possible “triglossie”.
Il découle de cet imbroglio linguistique des conséquences diverses et complexes :
– au niveau psychologique donc individuel, dans la mesure où la difficulté de s’exprimer dans une langue donnée peut créer des blocages pouvant aller de la frustration à la haine de soi.
– au niveau de l’enseignement, car les élèves soumis à un double enseignement (arabe classique + français) doublé d’une pratique d’une langue vernaculaire (arabe dialectal darija ou dialectal amazigh) ne maîtrisent à la fin du collège aucune de langues enseignées ni forcément aucune des matières ensieignées dans telle ou telle langue.
– au niveau de la littérature qui se trouve confronter au défi de raconter un pays et de parler et de faire parler les personnages dans une des langues que la majorité des habitants n’utilise pas dans son quotidien.
– au niveau du concept de nation, Fouad Laouri se réfère à Jean PSICHARI, précurseur de l’étude de la diglossie, qui affirmait que “il n’y a de nation que celle qui se créer une langue nationale“.
Dans un troisième chapitre, très court et à la limite inutile, l’auteur revient rapidement d’une part surles controverses qui découlent de la double question : pour ou contre la darija et d’autre part sur le bilinguisme en général.
La conclusion à laquelle arrive Fouad Laroui est très inspirée par la solution turque à avec laquelle Mustafa Kamel avait adopté l’alphabet latin pour transcrire la langue turque. L’auteur s’appuie sur le fait que les publicitaires marocains aient déjà adopté ce procédé dans la transcription de leurs messages rédigés en darija. Ce qui représenterait, il l’avoue, une véritable révolution et cela demanderait le sacrifice d’une génération d’écrivains qui décideraient de se lancer dans cette aventura.
Le livre le Fouad Laroui aurait être clos sur cette conclusion. Mais l’auteur y a adjoint un appendice dans lequel il s’arrête sur la malédiction de l’écrivain marocain. qui est en fait le plaidoyer pro domo de Fopuad Laroui pour montrer les difficultés et parfois l’animosité que rencontrent les auteurs marocain d’expression française.
La lecture de cet ouvrage est nécessaire pour mieux saisir le problème linguistique de notre pays, même pour les personnes plus au moins au fait de ce phénomène. L’auteur a eu la modestie intellectuelle de poser le problème dans sa réalité sans proposer de solution définitive ou radicale, même s’il en esquisse quelques.
A lire absolument et à méditer avec beaucoup de calme et de sérénité.