Depuis qu’on habite dans la vraie campagne celtique, on a décidé d’avoir des animaux.
Enfin on avait déjà des animaux, comme Ted Bundy et Firefox, qui sont un grand chien priapique et pétomane et une petite chienne schizophrène et paranoïaque. Et puis on avait même récupéré Georges W, qui est le chien le plus bête du monde et aussi le plus bruyant (je te raconterai comment il est arrivé chez nous, comment Loutre a presque réussi à l’assassiner et comment on a rempli les papiers du divorce, même qu’on a failli les envoyer au juge).
Mais là je te parle de vrais animaux de la vraie campagne, ceux qui sentent très fort et pour lesquels tu vas faire tes stocks de bouffe dans des coopératives agricoles fréquentées par des électeurs du Front National en combinaison intégrale couleur fiente.
Donc un jour, pas très longtemps après notre arrivée, on était allés boire un café chez les parents de Charline.
Charline, c’est la nouvelle meilleure amie de Phlegmon depuis qu’elle a changé d’école. Avant, on envoyait Phlegmon à Sainte Fistule, l’école chrétienne de la grande ville, où elle apprenait des choses sur le Mariage Pour Tous et la sodomie avec le Père Paul (depuis le passage de Phlegmon, le Père Paul ne travaille plus à Sainte Fistule, il habite dans un hôpital pour les gens qui ont des problèmes dans leur tête et il fabrique des petits paniers en osier que le diocèse envoie aux enfants de Madagascar, rapport au manque cruel de paniers dans cette partie du monde).
Donc depuis qu’on a déménagé, Phlegmon est revenue dans le giron républicain de Jules Ferry et de Simone de Beauvoir (et aussi de Renaud et de Mötley Crüe, c’est pour ça qu’elle chante Shout at the devil et Société tu m’auras pas sous la douche, aux toilettes, à table et aussi en classe, mais Loutre dit que ça l’empêchera pas de devenir orthodontiste, neurochirurgienne ou avocate, vu que sinon il va y avoir du sang sur les murs de la ville).
C’est dans le collège de la République que Phlegmon a rencontré Charline, qui habite une ferme à la sortie de la ville, où ses parents (qui travaillent pour l’Education Nationale) se sont installés quand ils ont décidé de quitter Paris, où ils trouvaient que le carcan pédagogique bourgeois était limite totalitaire et en contradiction flagrante avec les principes marxistes de l’émancipation par le savoir et de la transcendance des classes. Ou un truc comme ça (j’ai pas trop écouté, j’étais distraite par l’odeur de l’encens qui me donnait un peu la nausée).
Les parents de Charline, ils sont professeurs mais aussi éleveurs de poules. Je peux pas dire si c’est parce que la poule a un rapport avec un symbole politique libertaire fort, ou si c’est juste parce que le fait d’entendre des animaux pas très malins glousser toute la journée ça leur rappelle les meetings politiques auxquels ils allaient quand ils étaient plus jeunes. En tout cas, ils ont beaucoup, beaucoup de poules, de toutes les couleurs et de toutes les tailles. Ils sont vachement cultivés sur les différentes races de poules du coup, et c’est pour ça qu’on leur a demandé des conseils, vu que nous aussi, on voulait avoir des poules dans notre jardin.
D’abord on a dû leur expliquer que non, c’était pas pour les manger (les poules, pas les parents de Charline) mais juste pour avoir tout le temps un stock d’œufs à balancer sur la Manif Pour Tous, et aussi pour se fendre la pêche en les regardant marcher dans tous les sens avec leurs gros yeux très vides (les poules, pas les gens de la Manif Pour Tous, même si là c’est moins évident).
Après deux heures de discussion entre eux, ils nous ont proposé de prendre un coq et une poule « Pékin ».
Moi j’étais pas trop partante pour acheter des animaux fabriqués en Chine, vu que ça doit se casser super facilement et ne pas pouvoir se réparer. Mais Loutre m’a fait les gros yeux, comme quand je me mets à chanter « La digue du cul » dans la file d’attente au Trésor Public, alors bon.
En revenant à la maison, on avait donc un tout petit coq blanc qui arrêtait pas de gueuler dans son carton, et une toute petite poule blanche qui disait rien du tout dans le sien.
On les a relâchés dans le super enclos que Loutre avait construit pendant l’été, et on a attendu.
Dans l’enclos, on avait mis un super petit poulailler couleur taupe qu’on avait acheté dans un super petit magasin qui vendait que des super petites choses pour les nouveaux campagnards qui pensent que les panneaux « Chasse Gardée » c’est seulement pour rire, que le tout à l’égout est un truc universel et qu’avoir un générateur de secours quand on habite dans une ancienne ferme, c’est rien que des sous foutus en l’air qui auraient pu servir à acheter un Kadjar tout neuf pour remplacer le Nissan Qashqaï.
Donc le coq et la poule, ils ont commencé tout de suite à picorer des choses dans la terre et ils avaient l’air super à l’aise, et nous ça nous faisait tout chaud au cœur. On arrêtait pas de sourire et de se faire des signes avec le pouce levé et de faire des imitations de Chicken Run et de se congratuler, et c’est pour ça qu’on a pas vu Georges W, notre nouveau chien (qui est vraiment très bête), qui se glissait sous le grillage de l’enclos en tortillant du cul comme une danseuse du Crazy Horse.
Trois heures après, on était chez nos voisins Robert et Thérèse, qui ont la ferme au lieu-dit « Le Bec de Lièvre ».
Robert, il se grattait la tête en nous regardant comme si on venait de débarquer d’un congrès des Jeunesses Communistes en hurlant notre amour pour Pierre Gattaz, pendant qu’on buvait le lambig qu’il nous avait proposé (enfin, seulement moi parce que Loutre avait demandé un grand verre d’eau. C’est pour ça que Loutre me dépasse de cent coudées question intelligence, ruse et machiavélisme).
– J’ai pas tout suivi…vous voulez quoi, déjà ?
– Une poule, a dit Loutre.
– RHEUUHEUHEUUU ! j’ai dit.
– Une seule poule ?
– Bah oui, a dit Loutre.
– RHEUUHEUHEUUU ! j’ai dit.
– Mais pourquoi une seule poule ?
– C’est parce que sur internet, ils disent que notre coq est en train de déprimer et qu’il va mourir si on lui refile pas une poule.
– RHEUUHEUHEUUU ! j’ai dit.
– BON LA CHOSE, TU VAS LA FERMER TA GUEULE ?
– ….(Pardon)…(Le lambig)….
– Comment ça « il est en train de déprimer » ?
– C’est parce qu’il est veuf, a expliqué Loutre.
– Ouais, j’ai dit, sa concubine est décédée tout à l’heure à cause de Georges W.
– Attaque de chien ?
– Non, arrêt cardiaque.
– Et donc le coq est prostré, il bouge plus, il mange plus, a dit Loutre. Et sur internet ils disent que sans poule, il va crever.
– Et nous on veut pas que Roméo, il meure, j’ai dit.
– Roméo ? a fait Robert.
– Roméo ? a fait Loutre.
Quelques heures après, on a mis Juliette dans l’enclos.
C’était très beau de voir notre coq revivre instantanément : il s’est levé, il a gonflé ses plumes, il s’est approché de Juliette, il a roucoulé des choses dans son oreille, et puis il lui a mis une raclée avant de lui courir après dans tout l’enclos.
– C’est émouvant, j’ai dit.
– Ouais, a dit Loutre. On retrouve un comportement machiste latino-américain typique.
– C’est peut-être un coq argentin.
– Peut-être.
– Ou espagnol.
– Peut-être.
– Ou niçois.
– Y’a quand même quelque chose qui me chiffonne.
– Quoi donc ?
– Je sais pas. Je cherche.
Moi aussi j’ai cherché, mais c’est Phlegmon qui a fini par trouver, quand elle est rentrée du collège et qu’elle est venue voir l’enclos.
– Bah… ? On dirait Laurel et Hardy, vos poules !
En fait c’est pas grave si Roméo il est trois fois plus petit que Juliette, même si ça fait bizarre au début, vu qu’en plus il est tout blanc et elle, noire avec des points blancs. Limite c’est super original.
– Et puis, j’ai fait, comme ça au moins, pas de risque qu’ils nous fassent des bébés !
– Pour sûr, a dit Loutre.
Et c’est pour ça qu’on s’est retrouvé dans un grand magasin spécial pour les agriculteurs, où ils vendent des mangeoires à vaches, des fourches et des machines pour traire le lait, et qu’on a dépensé la moitié de notre PEA pour acheter un poulailler douze places à l’arrache, vu que le nôtre était devenu un peu petit pour loger Papageno, Papagena, Alexandre, Isis, Cléopâtre, Christine, Marine, Ludovine, Brigitte, Charlotte et leurs parents.
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