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Opéra: la première mise en scène munichoise du Mefistofele de Boito remporte un énorme succès

Publié le 12 novembre 2015 par Luc-Henri Roger @munichandco
Opéra: la première mise en scène munichoise du Mefistofele de Boito remporte un énorme succès
Le Bayerische Staatsoper vibre au rythme endiablé de la musique d´Arrigo Boito, avec un Mefistofele qui est pour la première fois mis en scène à Munich. Il avait fallu attendre l´an 2000 pour que cette oeuvre majeure y soit interprétée en version concertante. Le Superintendant de l´opéra, Nicholaus Bachler, et ses collaborateurs réalisent un nouveau coup de maître en offrant au public du Théâtre national l´occasion d´assister à cet opéra qu´ils ont confié à des maîtres d´oeuvre inspirés et pour lequel ils ont convié un plateau exceptionnel.
Mefistofele est l´unique opéra achevé par l´auteur des livrets d´Otello et de Falstaff. Boito s´était inspiré librement des deux Faust de Goethe pour produire un livret original à partir des matériaux empruntés au sage de Weimar. En prenant la liberté de placer le diable au centre de son oeuvre, Boito déplace le point de vue en se servant du regard du diable pour relater son histoire. C´est cette même liberté qu´a exercée à Munich le metteur en scène Roland Schwab, notamment dans sa manière de représenter le quatrième acte.
Opéra: la première mise en scène munichoise du Mefistofele de Boito remporte un énorme succès Le rideau est déjà levé et la scène est occupée lorsque les spectateurs rentrent dans la salle. De part et d´autre de la scène des structures métalliques courbes qui ressemblent aux échafaudages qui servent de soutènement aux tunnels lors de leur perçage se détachent sur un fond de scène et des coulisses noirs. La scène est enfumée, des gens sont affalés dans des fauteuils noirs, certains jouent avec les flammes de leurs briquets, un néon rouge trace les lettres du mot 'Open' pour nous inviter à pénétrer l´espace inconnu d´un club underground où l´on découvre des noctambules érotomanes avachis et des cuirettes ou de punkettes plus ou moins dénudées. Sur le devant de la scène un gramophone sur lequel Mefistofele, habillé comme un patron de bar glauque ou un proxénète en costume lilas, les mains gantées de cuir noir, vient poser un disque. La musique, le spectacle peuvent commencer. Des instruments de musique plus ou moins cassés ou déformés jonchent le sol. Les fauteuils sont ensuite repositionnés et tournés vers le fond de scène comme si les figurants allaient assister à une projection. Et, de fait, Mefistofele fait se dresser un écran qui était couché sur le sol. Alors que l´écran se dresse, des blocs de roches noires en tombent et viennent rouler sur le sol. Un vieux film en noir et blanc est projeté et représente un paradis michelangelesque peint sur une coupole d´eglise, puis des images de coupoles, un avion qui traverse le ciel, les immeubles qui longent Central park à New York vus d´en haut. Mefistofele regarde le film du ciel et rentre en conversation cynique avec Dieu. Les choeurs célestes louent le Seigneur depuis les coulisses. Par la  double mise en abyme du gramophone et de la projection cinématographique, Roland Schwab nous donne à voir le paradis vu de l´enfer, le paradis vu par la lorgnette méphistophélienne. Dès ce prologue, le pari de la production est gagné: les choeurs sont magnifiques, l´orchestre somptueux, les décors fascinants, on voit tout de suite que Roland Schwab a le sens des grands tableaux. Des caméras filment en direct la salle et le public qui viennent se projeter sur l´écran, et par ce truchement, cela y est, on est vraiment entrés en enfer. Faust entre alors en scène enchaîné par un collier, peut-être pour suggérer qu´il est l´esclave de ses sens. Des figurants le revêtent d´une chemise blanche sur laquelle ils écrivent en lettres de sang le mot REUE qui en allemand approche les notions de regret, de contrition, de repentance; à ce stade de la représentation sans doute s´agit-il pour Faust de regretter sa jeunesse perdue. Faust fait ensuite tomber l´écran céleste. Baisser de rideau.
Opéra: la première mise en scène munichoise du Mefistofele de Boito remporte un énorme succès Juste avant le début du premier acte, une phrase vient s´imprimer sur le rideau de scène: "Sag ja sag nein, getanzt muss seyn!"("Que tu le veuilles ou non, il faut danser"). Cette phrase on la retrouve sur les tableaux qui depuis le début du 17e siècle représentent la Danse de Mort. Ainsi, en Bavière, de la Füssener Totentanz. Pape, évêque, roi ou gueux, tous un jour la mort nous invitera à sa valse. Mais avant cela, c´est une fête populaire débridée et lascive où Mefistofele entraîne Faust et Wagner, et, -Munich oblige-, c´est à une Oktoberfest que Roland Schwab nous convie, avec ses Tracht et ses Dirndl (les costumes bavarois masculins et féminins), ses coeurs en biscuit au glaçage de sucre qui disent "i mog di " ("je t´aime" en bavarois), et son carrousel qui tourne illuminé en fond de scène, A nouveau ce sens du tableau vivant du metteur en scène!  Mefistofele fume un narguilé en avant scène avant  de se présenter ("Son lo spirito che tutto nega"). Le pacte est conclu. Mefistofele troque ensuite son costume contre une veste cuir et un casque de moto à cornes et prend place sur un roadster. Faust se met à l´arrière et ils partent devant un décor qui défile comme dans le tournage un film.
Nouveau message avant le deuxième acte: "Die Lustgarten des Herrn" ("Les jardins de plaisance du Seigneur"). Dans ces jardins, Faust rencontre une Marguerite habillée en robe de soirée. Une table élégante est dressée comme pour un souper aux chandelles. La couronne d´un arbre tout en fleurs roses descend du cintre pour une nouvelle composition visuelle brillamment orchestrée. Alors que Faust et Marguerite s´enamourent, Mefistofele, qui apprécie décidément l´érotisme SM, lutine avec une femme dans une scène délurée. Tout se déroule comme dans un rêve et bientôt un partie du plateau s´élève et les structures d´acier deviennent mobiles, et s´élèvent et se rabaissent en alternance. La table se renverse, des feux jaillissent tandis que des gens en habits de soirée (le choeur par cent!) portant des flambeaux viennent peupler le plateau pour célébrer la nuit de Walpurgis. Mefistofele trône sur une espèce de chaise roulante, Marguerite est déflorée dans une scène qui confine au viol le plus immonde. Des corps viennent s´agglutiner autour du trône, on apporte un chaudron pour le Prince du monde dont Mefistofele extrait la boule ensanglantée du  monde. Au sol des femmes enceintes sont prises de contorsion tandis que le photo géante d´un foetus est projetée. Faust croit reconnaître Marguerite dans une jeune fille enchaînée. mais Mefistofele dément. Des parties du plateau et les structures d´acier se meuvent au rythme de la musique dans une scène qui donne toute la dimension de ce spectacle dont Roland Schwab a fait une fête visuelle de tous les instants, un spectacle qui emprunte entre autres ses procédés au langage cinématographique des grandes productions avec de grandes scénes de masses. A la fin du deuxième acte, un panneau portant l´indication humoristique "Back in 35 minutes" nous rappelle à la réalité, tout ceci n´est que du spectacle.
Opéra: la première mise en scène munichoise du Mefistofele de Boito remporte un énorme succès En deuxième partie, le spectacle se fait plus intimiste avec un troisième acte qui met la figure de Marguerite en exergue sur une scène désolée où des numéros semblent indiquer comme dans un jeu de l´oie les étapes et les emplacements de son  parcours de misère. Là se trouvent les tombes fleuries de sa mère et un peu plus loin de son enfant, sur lesquelles brûlent des bougies rouges de cimetière. En avant-scène, comme pour indiquer la fin de partie, le signe OUT en lettres de néon rouge indique la sortie. Même de l´enfer on finit par être expulsé. Une bande de plastique blanche et rouge comme celle qui entoure les chantiers ou les zones dangereuses. indique que l´endroit est sinistré. Une pancarte interroge: "Warum? ("Pourquoi?"). Une poussette gît à terre, renversée, inutile à présent. Marguerite erre, hébétée, elle tient par la jambe un ours en peluche, tête en bas. Après un dernier duo avec Faust arrivé pour la sauver, elle entre dans la mort en disparaissant dans une fosse.
Le rideau de scène du dernier acte reçoit l´inscription titre "Le vieux roi en exil". L´acte pendant lequel Faust rencontre Hélène de Troie se déroule dans une maison de soins pour personnes âgées ou dans un hôpital psychiatrique, c´est selon. Des archéologues y font des fouilles et dépoussièrent avec grand soin des fragments qu´ils extraient de la terre. Reliques de la Troie antique ou fragments de mémoires perdues? Faust atteint de démence sénile prend l´infirmière en chef pour Hélène de Troie. Roland Schwab donne ici une interprétation cohérente du texte du livret dans lequel Mefistofele avoue qu´il a transporté Faust dans un royaume de légende ("il regno delle favole"), ce que Faust finira par reconnaître dans l´épilogue salvateur ("l´ideal fu sogno"). Les délires de la démence sénile succèdent ainsi à la douleur de perdre Marguerite. Roland Schwab organise ainsi les deux actes de la deuxième partie dans une logique de la déchéance avant l´étonnante et très optimiste rédemption de l´épilogue. Dans le monde de Boito, nous serons tous sauvés, et il n´y a que Mefistofele pour rester désabusé et ne pas le comprendre.
Roland Schwab a réalisé une mise en scène serrée qui déroule l´action sans laisser de répit,  avec un sens fabuleux de la théâtralité et de la symbolique, des grands tableaux vivants magnifiquement réussis et une organisation intelligible des détails qui renforcent l´ensemble d´une production qui tient le public constamment en haleine. Une très grande mise en scène que l´on reverra avec grand plaisir.
Comme un bonheur ne vient jamais seul, à l´intelligence de la mise en scène viennent s´ajouter l´excellence de l´orchestre et des choeurs qui, entraînés par Sören Eckhoff, atteignent ici à une rare perfection d´unisson. Le chef israélien Omer Meir Wellber, qui fut l´assistant du Maestro Barenboim, donne une lecture inspirée de la somptueuse partition de Boito, qu´il laisse se développer dans toute sa splendeur. La direction d´orchestre est aussi précise et rythmée que la mise en scène. La magie du son s´unit à la magie de la scène pour une grande soirée d´opéra qui prend le public aux tripes.
René Pape fait ici une prise de rôle avec ce Mefistofele pour lequel il lui a fallu développer un jeu théâtral plutôt neuf et assoupli dans sa carrière de grande basse en se mettant dans la peau d´un diable cynique et retords, filou et goguenard comme un petit truand. Si on retrouve les qualités magnifiques des cavernes profondes de sa voix aux chaleurs ténébreuses  et s´il est à l´aise dans la technique du sifflement puissant qu´exige le rôle, il ne crève cependant pas l´écran. Avec ce premier Mefistofele, il n´atteint pas encore aux interprétations légendaires de grands prédécesseurs comme Boris Christoff ou Fédor Chaliapine. Face à lui, Joseph Calleja, qui ne brille pas par ses qualités d´acteur, développe toute la beauté de sa voix lumineuse et solaire avec ses chatoiements de couleurs dorées, une projection et un phrasé extraordinaires,  il donne un Faust vocalement si impressionnant qu´on en oublie son statisme scénique. Kristine Opolais joue avec une grande force théâtrale une Marguerite élégante qui semble issue de la meilleure société, et qui se transforme en deuxième partie en un être désespéré, hagard et hébété, folle d´avoir tué et sa mère et son fils, mais ce jeu scénique d´exception ne pallie pas les faiblesses dans l´aigu, trop crié dans la scène de folie du troisième acte. avec un soprano qui vacille et trébuche malgré de fort beaux graves. Les rôles secondaires sont superbement tenus avec le très beau Wagner d´Andrea Borghini, un des membres de la troupe de l´opéra, qui donne parfaitement la réplique, en pleine puissance, au Faust de Calleja, avec qui il forme une fort belle paire vocale, les qualités plus sombres de Borghini mettant en valeur la voix rayonnante de Calleja dans une belle harmonie. Un des grands bonheurs de la soirée est l´Elena de Karine Babajanyan, dont le sens dramaturgique n´a d´égal que la beauté de l´interprétation. Enfin Heike Grötzinger donne une interprétation des plus convaincantes de Marta. La soirée est ponctuée de délicieux moments comme le quatuor des deux couples amoureux, le superbe duo "Folletto" du deuxième acte, ou le duo final entre Faust et Marguerite, "Lontano, lontano".
Si à l´épilogue Mefistofele casse le disque qu´il avait placé sur son gramophone à l´ouverture, on aura plaisir à venir le réentendre à l´opéra de Munich.
Prochaine représentation le 15 novembre 2015. Cette représentation sera diffusée sur internet  à partir de 19H (Staatsoper TV), une occasion à ne pas manquer!
L´opéra sera également joué l´été prochain pendant le Festival les 21 et 24 juillet 2016 avec la même distribution.
Crédit photographique: Wilfried Hösl

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