Boy & Bear : « Notre album ne va pas changer le monde »

Publié le 11 novembre 2015 par Swann

Si tu ne le sais pas encore, Boy & Bear est un de mes groupes préférés de l’univers intergalactique. Pour les avoir manqués lors de leurs deux dernières étapes parisiennes l’année dernière, je me devais de me rattraper. L’occasion se présente lors de leur unique date française, au début de leur tournée européenne. Je retrouve Jon Hart, claviériste de la formation, avec son appareil photo et son achat du jour (une bouteille de Pinot noir) au Pop-Up du Label, alors que leur troisième album, Limit of Love est sorti quelques jours plus tôt.

Est-ce que tu dirais que Limit of Love votre troisième album est « différent » parce que vous avez décidé d’enregistrer en utilisant des sessions live en studio, parce que le processus d’écriture a changé par rapport à Moonfire et Harlequin Dream, vos deux premiers albums, ou juste parce que vos goûts ont évolué avec le temps ?

Je crois que c’est définitivement les trois en même temps. On a fait beaucoup de concerts l’année dernière, ce qui a permis de s’enregistrer plus facilement en live, avec la bonne énergie et d’en tirer un son différent. L’écriture aussi a été différente, car on a passé tellement de temps ensemble, et que la collaboration autour de l’écriture s’en est trouvé légèrement modifié. Disons que nos chansons ne comment plus toutes avec des mesures de guitare acoustique, alors que précédemment ça avait tendance à être le cas. Tous ces éléments ont joué un rôle dans le fait que l’album ne sonne plus pareil par rapport à ce que l’on avait déjà fait.

À LIRE >> Chronique d’album : « Limit of Love » de Boy & Bear

Vous travaillez avec des producteurs qui ont une certaine renommée. Cette fois-ci c’était avec Ethan Johns (Kings of Leon, Ryan Adams, Laura Marlins…). Comment est-ce que ça se passe, est-ce que vous pouvez donner votre point de vue, ou est-ce que vous lui faites confiance à 100% pour tout prendre en main ?

Idéalement tu fais confiance les yeux fermés à ton producteur et vous travaillez ensemble vers un but commun. Quand on a enregistré notre premier album, on ne pensait pas que la relation fonctionnait comme ça. On pensait qu’on allait travailler avec une personne qui allait nous suggérer des idées, et qu’on allait pouvoir lui dire si on aimait ou pas. Ça a causé des frictions entre nous et notre producteur, qui devait être habitué à avoir la main mise sur tout. Nous n’étions pas habitués à faire totalement confiance confiance à quelqu’un. Il faut trouver une personne qui match au niveau créatif, qu’elle soit capable de te proposer des choses qui fonctionnent pour toi et pour tes chansons.

On n’a pas eu ce soucis avec Limit of Love, car on avait beaucoup de respect pour le gars avec qui on a travaillé. Ethan est multi-instrumentiste, on connaissait son travail, et il était très sympa. Donc en combinant tous ces aspects… Parfois il restait sur un canapé, les yeux fermés à nous écouter. Puis il nous disait ce qui allait, et ce qui n’allait pas. Cette fois-ci nous lui faisions confiance, c’était un bon match.

Et comment avez-vous pris la décision de travailler avec ce producteur et pas un autre ?

On a fait des recherches avec les albums que l’on aimait. On a fait une liste de noms, puis un tri. Ensuite on a essayé de rencontrer ces trois personnes, car dans le passé on avait choisi sans forcément rencontrer la personne au préalable. Tu peux aimer le travail qu’ils font sur un CD, mais tu peux ne pas t’entendre. On a donc rencontré Ethan l’année dernière à Londres, après avoir fini notre tournée la veille à Paris et avant de repartir chez nous. C’est nous qui avons décidé du coup, pas notre label, ce qui est plutôt cool.

Man & Bear (‘s mouth)

Est-ce que tu peux nous expliquer ce qui a changé pour que vous participiez tous à l’écriture des paroles cette fois-ci ? [avant, seulement Dave le lead-singer le faisait ndlr].

C’était une nécessité dans la mesure où Dave, qui écrit normalement nos textes, manquait de temps et n’en était pas totalement satisfait, et Tim qui joue de la batterie a un projet parallèle de folk en solo, il était donc habitué. Ils ont collaboré et obtenu des résultats intéressants, notamment des choses qu’ils n’auraient pas osé faire chacun de leur côté. Ils ont eu un peu plus de courage et plus de liberté à le faire ensemble.

Donc c’était juste un concours de circonstances ?

Je le pense oui. Et dans le bon sens. Car Tim aurait voulu participé, mais Dave avait l’habitude de le faire. Et quand Dave demandait de l’aide à Tim, ils aimaient déjà le résultat produit. Ils avaient déjà un peu écrit ensemble, mais pas autant que là, où ils ont pris le temps d’y travailler tous les deux.

Walk the Wire votre 1er single parle d’un homme qui n’ose pas faire le premier pas vers une femme. Es-tu d’accord que les femmes, les doutes et les déceptions sont des sujets inépuisables sur lesquels écrire ?

C’est vrai qu’en général les relations sont ce à quoi les gens se rapportent le plus, et ce à quoi en tant qu’humain on pense le plus (sourire). Je crois que tout le monde écrit dessus, on est tous concernés d’une certaine manière.

Votre artwork pour cet album est très graphique. Votre pochette est sincèrement très belle. Comment ça se passe, vous bossez tous ces aspects vous même ?

Quelqu’un l’a fait pour nous, mais c’était une de mes photos. Un de nos amis a écouté l’album en regardant plein de photos, et a trouvé que celle-ci correspondait bien. Je n’aurais jamais songé qu’une de mes photos serait sur la pochette ! Bon maintenant je l’ai beaucoup vue, car on a du signer.. dans les 500 albums… mais même après ça, quand je regarde l’album je l’aime toujours autant, donc c’est un bon signe !

Et où l’as tu prise cette photo ?

Je l’ai prise quand on était en tournée, sur un ferry, entre Vancouver et Victoria. Je vais toujours sur le toit du bateau pour la vue, et j’ai été fasciné par l’eau, c’était impressionnant la manière dont l’eau se mouvait.

Sinon j’ai remarqué par ailleurs que désormais la presse et agences de com’ n’utilisaient plus le mot « folk » pour parler de vous. 

Quand une personne me demande quel style de musique je fais, comment sonne le groupe, je ne sais plus quoi répondre. C’est difficile de catégoriser notre musique, car on a 2-3 chansons encore folk sur l’album, mais sans être un groupe folk pure. Parce que je ne crois pas qu’on soit un groupe de rock, ni un groupe de folk… On serait peut-être plus proche du vieux groupe de rock, un peu oldschool des années 1970, une sorte de groupe classique de pop-rock… Car nos chansons ont une structure pop, mais ne sonnent pas comme la pop qu’on entend à la radio… Je ne sais pas en fait… On dirait un truc comme folk-rock… ou « écoute, et tu me donneras le mot qui correspond et décrit cette musique ».

Vous n’avez jamais songé à faire un album acoustique, justement plus folk, avec de la mandoline et du banjo ? Vous le faites souvent en session acoustique et le résultat est vraiment top.

On en a parlé à un moment. Mais ce n’est pas quelque chose que l’on souhaite faire maintenant, peut-être plus tard…

Dans 10 ans… quand vous ferez un Best-Of…

(rires) Oui quelque chose comme ça, même si c’est bizarre de déjà penser à ça. On aime faire ces arrangements acoustiques, qu’on est amenés à faire assez souvent pour les radios notamment. C’est vrai que ça serait intéressant… peut-être un jour !

Est-ce que tu crois qu’un groupe peut conserver son identité musicale, son « son » durant toute sa carrière, ou est-ce que c’est le destin de tous les groupes, de devenir comme Coldplay et de faire de l’électro-pop dans des stades ?

Certains artistes y arrivent ! Comme Nick Cave en quelques sortes, qui jouent dans des stades, sans pour autant avoir des chansons « de stade ». Je ne sais pas pourquoi Coldplay s’est transformé comme ça, car leurs premiers albums étaient fantastiques. C’est un peu triste quand ils bifurquent de route comme ça… On pourrait parler de U2, d’ACDC aussi, qui n’arrêtent pas de faire le même album à chaque fois. C’est dur de conserver son identité au fil des années car plus tu restes sur le marché, plus tu te dis que tu as déjà fait ce genre de musique, qu’il faut que tu fasses quelque chose de différent, et ce quelque chose de différent peut devenir de la musique de stade, car tu as évolué et tu joues désormais dans des stades. Tu es de plus en plus entouré aussi et on te conseille de faire tel style de musique plutôt qu’un autre… Tu devrais demander à Chris Martin pour savoir ce qu’il a à en dire (sourire) : « j’aimais tout ce que tu faisais jusqu’à Viva la Vida, pourquoi ? ».

Je pensais aussi au 3e album des Mumford and Sons, pour qui vous avez fait un temps les premières parties…

J’adore ces gars et j’aime beaucoup leur premier album. Même si je ne pense pas que c’était un album « historique », j’appréciais énormément les chansons, la façon dont Marcus chantait, l’interaction entre le banjo et les percus… Et puis leur deuxième album était un peu comme le premier, donc on s’est demandé ce qu’ils allaient faire ensuite. Allaient-ils faire un album à la ACDC, ou quelque chose de différent… ? C’est vrai que je pense qu’ils auraient pu faire un album moins stade… mais bon, peut-être qu’une fois que tu es aussi connu aux États-Unis ta situation est plus difficile, il faut que tu donnes au public ce qu’ils attendent de toi…

Vous aussi vous êtes plutôt connus aux États-Unis et pourtant…

Oh, pas comme eux ! On fait des salles raisonnables, on n’est encore qu’un petit groupe là-bas, plein de personnes n’ont jamais entendu parler de nous alors que les Mumford jouent devant des milliers de gens.

D’ailleurs, ce n’est pas trop bizarre pour vous de jouer dans des petites salles comme le Pop-Up quand vous faites des salles beaucoup plus vastes dans d’autres pays ?

C’est plutôt sympa en fait. On faisait des salles comme le Pop-Up à nos débuts en Australie, plus petites parfois. Il y a souvent cette énergie différente. Par exemple l’année dernière on a joué dans une salle de 800 personnes à Berlin, cette année on a fait une salle un tout petit peu plus grande que le Pop-Up et c’était incroyable… la proximité… tout est moite… c’est un peu dégoûtant, mais cool à la fois. C’est quelque chose que tu ne ressens pas forcément quand la salle atteint les 500 personnes ou plus, car tout est plus loin, plus espacé. En tout cas j’aime beaucoup faire les petites salles. Personne ne nous connaît à Paris, on doit faire en sorte que les gens reviennent, que le concert soit bon… On adore Paris, donc on veut pouvoir revenir !

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Man & Bear

Vous n’arrêtez pas les concerts et les tournées. L’année dernière vous avez cumulé plus de 150 concerts ! Vous en n’avez pas marre de passer votre vie en tournée ?

C’est vrai que c’est compliqué… On est arrivés à 15h aujourd’hui à Paris par exemple, on a posé nos bagages à l’hôtel, on s’est baladés 1h au bord de la Seine à manger des baguettes, on est revenus faire les balances, ensuite je suis allé acheter du vin, je suis arrivé en retard pour ton interview, après on va dîner, on va se changer, faire le concert, aller dormir. Et demain matin on va se lever, petit déjeuner puis prendre un train pour Londres. Parfois tu arrives dans des villes superbes et tu n’as qu’une heure pour faire un tour. Alors que d’autres fois, au sud ou Midwest des États-Unis, le tour bus est garé au bord de la route, en plein milieu de nulle part, et tu as un Walmart, un hôtel, un McDonald’s et la salle de concert où tu joues. Ça peut être un peu déprimant, tu as des moments de blues où tu te dis que tu en as marre d’être dans un lit différent chaque nuit, où tu voudrais juste être chez toi. Et quand tu es chez toi, tu te rends compte que tu voudrais être en tournée. Comme dans chaque travail, il y a des aspects de la tournée qui sont pénibles, mais tu peux les minorer en restant occupé car les concerts sont toujours biens. Ce sont ces moments autour qui peuvent être plus durs.

Je crois que Dave (chant) avait parlé de peur et d’appréhension quant à la suite de votre carrière, de vos vies, qu’ils ne voulait pas se retrouver à 40 ans sans attaches, sans famille. Du coup où est-ce que vous souhaiteriez être dans 5 ans ?

C’est toujours dur de prédire ce genre de choses. Avec un peu de chance on fera toujours ce qu’on fait actuellement, on jouera dans une plus grande salle parisienne, car avec les années tu espères que ton public s’étoffe, on s’entendra toujours bien, on continuera à faire des albums… Pour moi ce dernier album est de loin le meilleur que l’on a fait, donc si on parvient à faire des albums aussi bons, selon moi, que celui-là, alors ça m’irait. Je ne dis pas que tout le monde va acheter cet album, il ne va pas changer le monde, mais nous on l’aime beaucoup. Et ça nous est arrivé de faire certaines choses dont on n’était pas très fiers après. Donc j’espère que dans 5 ans on fera des albums comme celui-là, pour lequel on n’a aucun regret.

Boy & Bear seront de retour à Paris, le 1er mars 2016 au Petit Bain.

Propos recueillis par Emma Shindo. (merci à Laure et Greg)