Le mont Wright (environ 160 km de large et 4 km d’altitude), au sud de la plaine Spoutnik. Cette structure pourrait être un volcan de glace comme le suggère le large trou à son sommet (environ 56 km !), ses pentes et des fissures concentriques sur l’un de ses flancs
A l’occasion d’une rencontre de la Société américaine astronomique (AAS), les équipes scientifiques de la mission New Horizons proposent de faire plus ample connaissance avec Pluton et ses petites lunes, à travers 50 enquêtes menées depuis 4 mois. Peu à peu, le portrait de la planète naine se construit, toujours accompagner de surprises.
Depuis la visite historique de New Horizons à Pluton, on découvre semaine après semaine, au fil du téléchargement des données acquises le 14 juillet 2015, l’étonnante variété de ses paysages. Petit à petit, les pièces du puzzle pour mieux comprendre la planète naine et ses petits compagnons, s’assemblent. Nul doute qu’il faudra du temps pour reconstituer son histoire et d’une certaine façon, celle de la ceinture de Kuiper où elle se ballade, entre 4,4 et 7,3 milliards de km du Soleil. C’est que les nombreux « objets » de cette région des confins conservent les traces de la prime jeunesse du Système solaire.
« La mission New Horizons a pris ce que nous pensions savoir sur Pluton et les a tourné à l’envers, commente Jim Green, directeur de la science planétaire au siège de la Nasa à Washington, voilà pourquoi nous explorons : pour satisfaire notre curiosité innée et répondre à des questions profondes sur la façon dont nous nous sommes retrouvés ici et sur ce qu’il y a au-delà de l’horizon. »
A l’occasion de la 47e rencontre annuelle de la Division des sciences planétaires (Division for Planetary Sciences, DPS) de la Société américaine astronomique (AAS) qui se déroule cette semaine à National Harbor, dans le Maryland (États-Unis), les équipes scientifiques de la mission présentent plusieurs de leurs nombreuses découvertes. Et le moins qu’on puisse dire est qu’il y a du nouveau.
Les couleurs révèlent les reliefs de la région des monts Wright et Piccard, tous deux soupçonnés d’être des cryovolcans. Le vert indique une altitude intermédiaire, le rouge brun, les plus élevées et le bleu, les plus basses
Sur la piste des cryovolcans
L’existence de cryovolcans à la surface de ce monde dont la température n’excède pas – 233 °C est soupçonnée depuis longtemps. Plus encore, depuis la découverte des nappes de glace visqueuse qu’arbore la grande plaine Spoutnik — le ventricule gauche du célèbre grand Cœur de Pluton (Tombaugh regio), survolée voici 4 mois à quelque 12.500 km. En compilant des images pour obtenir une représentation en trois dimensions des reliefs, l’équipe scientifique qui les recherche ardemment estime avec confiance en avoir identifié deux au sud de cette région : les montagnes officieusement nommées Wright et Piccard. « Ce sont de grosses montagnes avec un large trou à leur sommet, décrit Oliver White, postdoc dans l’équipe de la mission, sur Terre, cela signifie en général une chose : un volcan. » Ces grandes dépressions se sont « probablement formées par effondrement » indique-t-il. En ce qui concerne la texture grumeleuse observée sur leurs pentes, il pourrait s’agir des écoulements, mais le chercheur du Ames Research Center de la Nasa s’interroge :« pourquoi sont-ils bosselés et de quoi sont-ils sont faits », il admet ne pas encore le savoir.
« Rien de tel n’a encore été vu dans ces régions lointaines » remarque son collègue, le géophysicien Jeffrey Moore qui fait sans doute allusion à certains satellites de planète géante (notamment Neptune avec Triton et peut-être Miranda) où cela été observé par Voyager 2. Cette fois, en l’occurrence, c’est au sein de la ceinture de Kuiper, à plus de 40 unités astronomiques du Soleil.
Connu pour être le dieu des enfers et des mondes souterrains dans la mythologie gréco-romaine, Pluton/Hadés ne vomit ici ni de feu ni de lave, mais une glace ramollie d’eau, d’azote, d’ammoniac et de méthane… L’absence éloquente de cratères dans cette région très claire de Pluton trahit son jeune âge géologique. Pour les chercheurs, sa formation — à laquelle les cryovolcans ont participé (si leur existence se confirme) — remonte à moins de 10 millions d’années.
Distribution à la surface de la planète naine (exclusivement la partie survolée par New Horizons le 14 juillet) des quelque 1.000 cratères comptés par les chercheurs. Aucun n’a été signalé dans la vaste plaine Spoutnik, le ventricule gauche du cœur de Pluton, vraisemblablement formée il y a moins de 10 millions d’années
Décrypter le passé de Pluton
Bien sûr, l’équipe s’interroge beaucoup sur cette structure : se pourrait-il que sa formation soit une anomalie, une singularité ? ou davantage le produit d’un cycle plus ou moins régulier ? Pour Kelsi Singer, postdoc au SwRI (Southwest Research Institute) et ses collègues, la deuxième proposition est la bonne car dans le recensement de cratères d’impacts (plus de 1.000) « qui varient considérablement en taille et en apparence » qu’ils ont menée à travers toutes les zones observées avec New horizons, il est apparu que certains ont plus de 4 milliards d’années et que d’autres en revanche, affichent un âge intermédiaire. Voilà qui argue en faveur d’une activité cyclique. Selon elle, cette étude donne aussi « de nouvelles indications importantes sur la façon dont cette partie du Système solaire s’est formée. »
En effet, la dimension des cratères et leurs fréquences livrent aux enquêteurs quelques informations sur les impacteurs, autrement dit sur les corps qui composent la ceinture de Kuiper. Étant donné la rareté des petits cratères recensés et sur Pluton et sur Charon, tout indique que les objets de moins de 2 km sont finalement très peu nombreux. C’est plutôt une surprise car depuis longtemps un modèle préparait les chercheurs à une abondance plus élevée. Ces observations soutiennent davantage une théorie alternative qui veut que cette région transneptunienne soit principalement peuplée d’astres de plusieurs dizaines de kilomètres de long, à l’instar de 2014 MU69 (entre 40 et 50 km), la prochaine cible de New Horizons. Au passage, signalons que les quatre manœuvres initiées fin octobre et début novembre et destinées à modifier légèrement sa trajectoire ont été opérées avec succès. Filant à plus de 51.000 km/h, la sonde devrait atteindre cet objet débusqué par Hubble, le premier jour de l’année 2019. Ainsi donc, comme le propose cet autre modèle, tous ces corps, y compris les actuelles petites lunes du système binaire Pluton-Charon qui ont été faite prisonnière par la gravité de ces derniers, seraient les restes inachevés de planètes en construction. Bien sûr, il est encore trop tôt pour l’affirmer.
Les étranges irrégularités des lunes de Pluton
Les petits satellites Styx, Nix, Kerberos et Hydre intriguent beaucoup les chercheurs. En reconstituant leurs orbites autour de Pluton-Charon, ils ont constaté qu’aucun d’entre eux n’est synchronisé au contraire des deux protagonistes qui se font toujours face (à l’image aussi du couple Terre-Lune et des satellites autour des planètes géantes). Bref, nous avons affaire à des exceptions qui tournent en outre assez vite sur eux-mêmes. Surtout Hydre, le satellite plus éloigné : 89 fois au cours de son orbite autour du système binaire ! La faute sans doute à Charon qui perturbe l’ensemble.
Toutes ces lunes oscillent aussi beaucoup, « [elles] se comportent comme des toupies » souligne Mark Showalter (institut Seti), qui a participé à cette étude. Par ailleurs, l’aspect bilobé de deux d’entre elles, Kerberos et Hydre, attire l’attention du chercheur qui y voit volontiers le témoignage de la collision douce de deux corps plus petits (cela fait penser aussi à la comète Tchouri, issue de la même province). « Nous soupçonnons que Pluton avait plus de lunes dans le passé, dans la foulée du gros impact qui a également créé Charon. »
Enfin, signalons que les équipes de la mission ont aussi évoqué l’atmosphère de la planète naine au cours de ces présentations. Les mesures de la partie haute indiquent qu’elle est plus froide et dense que supposée, si bien qu’elle s’évade des centaines de fois moins vite que prédit. Le mécanisme ressemble davantage à celui de la Terre et de Mars, stipule le communiqué de presse de la Nasa, et non à celui observé pour le dégazage des comètes comme il fut d’abord proposé.