06 NOVEMBRE 2015 | PAR JOSEPH CONFAVREUXLes attaques commises ces dernières semaines par des Palestiniens seraient, selon Benjamin Netanyahou, le fruit de la « rencontre entre Ben Laden et Zuckerberg ». Qui sont les véritables acteurs de cette intifada inédite ? Reportage à Jérusalem-Est, Ramallah et Hébron.Jérusalem-Est, Ramallah, Hébron, de notre envoyé spécial.- Sur le mur de la chambre à coucher de cette maison promise à une destruction prochaine, dans le quartier de Jabel Mukaber, à Jérusalem-Est, il ne reste que la photo d’un enfant et un diplôme encadré. Écrit en hébreu, il a été décerné par la plus grande compagnie de télécoms israélienne, Bezeq, pour récompenser « l’excellence au travail » d’Allah Abu Jamal et ses dix années de bons et loyaux services.Le 13 octobre 2015, « l’employé du mois » a pourtant fracassé sa voiture sur un arrêt de bus d’un quartier orthodoxe de Jérusalem-Ouest, tuant un Israélien, puis il a jailli de son véhicule muni d’une arme blanche pour en poignarder un autre, avant d’être lui-même abattu, comme le montrent ces images captées par une caméra de surveillance.
« L’intifada de Jérusalem »
« Je pense que cette génération atteindra les buts que les précédentes générations n’ont pas atteints, parce qu’elle en a vu beaucoup plus », confirme Yassine, 21 ans, qui s’est joint à la discussion et porte un sweat-shirt SodaStream, du nom de cette entreprise cible de la campagne « Boycott, désinvestissement, sanctions » (BDS) pour avoir établi son usine dans la zone industrielle de Maale Adoumin, une des plus grandes colonies israéliennes de Cisjordanie. Yassine y a été employé, avant de devenir jardinier chez des particuliers de Jérusalem-Ouest.Aujourd’hui, comme hier, il n’est pas allé travailler, même si le blocage de Jérusalem-Est, décrété par le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou pour la première fois depuis l’annexion de cette partie de la ville en 1967, demeure poreux. Les contrôles de l’armée sont aléatoires. Les blocs de béton à l’entrée des quartiers arabes obligent surtout les voitures à ralentir ou les passagers à mettre pied à terre. Et les pans de mur, recouverts de fausse pierre de Jérusalem, placés ici ou là, n’empêchent pas les jets de projectiles vers les colonies voisines, notamment celle d'Armon Hanatziv qui jouxte le quartier de Jabel Mukaber.« C’est pour cela que ça ne va jamais se calmer »
Centrée sur Jérusalem pour ces différentes raisons, la colère palestinienne de cet automne emprunte des formes inédites que Benjamin Netanyahou, avec son sens de la formule et de la mesure, a synthétisées comme « la rencontre entre Oussama Ben Laden et Mark Zuckerberg ».Croisé dans les rues désertes de la vieille ville d’Hébron arpentées par des soldats israéliens surarmés qui fouillent tous les jeunes de la cité, Khaldun, 21 ans, pull à capuche sur la tête et baskets Nike aux pieds, ne quitte effectivement pas son smartphone des mains. Il montre sur Facebook la photo du dernier « martyr de Jénine », 17 ans, abattu la veille par l’armée israélienne à un passage piéton, ou celle d’un de ses amis d’Hébron, âgé de 23 ans, qui vient de se rendre après avoir blessé trois gardes-frontières israéliens avec sa voiture. A-t-il été surpris par le geste de son ami ? « Aujourd'hui, je ne sais pas moi-même ce dont je serais capable. »Facebook et les réseaux sociaux sont-ils pour autant devenus le véhicule principal de mobilisation pour cette génération de Palestiniens en révolte ? « On les utilise, comme les jeunes du monde entier, affirme Khaldun, mais on se méfie aussi parce que c’est facilement surveillé par les renseignements israéliens. »« Ce n’est pas une question de terre, mais une question de foi »
Si la situation actuelle est donc loin d’être imputable uniquement à une éruption spontanée et à Mark Zuckerberg, faut-il lui chercher de « nouvelles » raisons religieuses ? Le naufrage du projet politique palestinien tel qu’il avait été pensé à Oslo a sans doute laissé le champ libre à un discours recentré sur l’identité religieuse de jeunes Palestiniens, qui jugent n’avoir rien d’autre à quoi se raccrocher.Pour Khaldun, « il n’existe plus de solution politique. Je ne crois pas à un État palestinien. Aujourd’hui, je pourrais mettre un chèche sur ma tête et affirmer que je suis le président de la Palestine, tellement cet État n’existe pas ! Si Arafat et le Cheikh Yassine étaient encore là, on aurait peut-être pu éviter la division entre le Fatah et le Hamas. Mais aujourd’hui, la seule solution est inscrite dans le Coran ».Ce reportage a été effectué à Jérusalem-Est, Ramallah et Hébron entre le 1er et le 3 novembre.
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