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Faut-il rééditer « Mein Kampf » ?

Publié le 11 novembre 2015 par Savatier

MeinKampf1Le débat n’est peut-être pas le plus passionnant du moment, mais il a le mérite d’exister : faut-il ou non republier Mein Kampf, dont les droits tombent l’an prochain dans le domaine public ? La question pourrait sembler incongrue dans la mesure où, contrairement à une idée assez répandue, chacun peut jusqu’à présent librement se procurer ce livre, distribué par les Nouvelles Editions Latines. Par ailleurs, il suffit de questionner n’importe quel moteur de recherche pour accéder directement à l’ouvrage sur la toile et le télécharger gratuitement.

Publié à Munich entre 1925 et 1926 en deux tomes, l'édition originale allemande connut au départ un succès très limité. En revanche, à partir de 1936, il fut diffusé à marche forcée; à titre d'exemple, chaque couple de jeunes mariés s'en voyait offrir un exemplaire par l'Etat, portant à plusieurs millions les tirages qui se succédèrent jusqu'en 1945.

Dans la version papier française, sous sa forme actuelle qui date de 1934 et reprend le texte intégral (traduction non autorisée contre laquelle Hitler intenta un procès), Mein Kampf est précédé, depuis un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 11 juillet 1979, d’un avertissement au lecteur non signé de huit pages qui constitue, en quelque sorte, le « service minimum » que les magistrats étaient en droit d’exiger, mais qui laisse historiens et lecteurs sur leur faim. Les versions numériques, quant à elles, ne proposent que le texte sec.

Dès lors, s’opposer à la sortie chez un important éditeur parisien du livre d’Hitler relève du combat d’arrière-garde. Sous couvert de ces bonnes intentions dont on sait que l’Enfer est pavé, les adversaires de la réédition n’obtiendraient, s'ils parvenaient à leurs fins, que des effets contreproductifs. D’abord parce que toute tentative d’interdiction présente la conséquence, ici particulièrement fâcheuse, d’attirer le regard du public sur un objet (livre, œuvre d’art, film, etc.) dont il se serait, autrement, probablement désintéressé. Occulter permettrait en outre d' alimenter de nouvelles théories du complot et d'entretenir autour du volume une fascination malsaine, une sacralisation négative, voire d'orienter le lecteur vers les versions numériques dépourvues de toute contextualisation. Ensuite, parce que les bien-pensants devraient comprendre que les citoyens de ce pays sont depuis longtemps exaspérés de se sentir infantilisés à toute occasion par une poignée de leurs contemporains qui prétendent, sans aucune légitimité autre que celle qu’ils s’arrogent, savoir mieux qu’eux ce qui pourrait leur être bon ou nocif. Refuser l’accès à cet ouvrage revient en effet d’abord à considérer le lecteur comme un imbécile inapte à user de son sens critique, ce qui en dit fort long sur le mépris dans lequel ces bons samaritains de la pensée le tiennent.

L’accès ne doit donc pas être refusé, mais au contraire organisé car c’est par la connaissance, non par l’interdit, que l’on forme les esprits. C’est exactement là ce que Fayard se propose de faire, en demandant à un comité d’historiens français et étrangers reconnus, à partir d’une nouvelle traduction, d’en établir une édition scientifique. C’est en effet bien un solide appareil critique, érudit mais facile d’accès, que nécessite Mein Kampf, incluant, présentation, contextualisation, analyse documentée, notes de bas de page, réfutation des arguments mensongers (notamment biographiques) allégués par l’auteur et rétablissement objectif des faits historiques. Le but de cet appareil critique ne doit pas être d’imposer une lecture comme on donnerait une leçon, mais de mettre à disposition de chacun tous les éléments de réflexion permettant de porter un jugement éclairé sur un indéniable document historique dont les conséquences criminelles furent celles que l’on sait.

Lire contribue largement à dynamiter les idées reçues les mieux ancrées dans les esprits. S’immerger dans le texte d’Hitler aide ainsi à en découvrir, outre une théorisation raciale haineuse aussi inouïe que connue, une dimension farouchement antifrançaise, encore trop ignorée du grand public. Tout comme lire les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline (dont une édition critique serait aussi la bienvenue lorsqu’ils tomberont à leur tour dans le domaine public) révèle que, sous l’abjection des idées, les qualités littéraires qui firent de ses romans des chefs-d’œuvre, manquent singulièrement.


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