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Jean Teulé : Mangez-le si vous voulez

Par Gangoueus @lareus
Coup de cœurMangez-le si vous voulez,
de Jean TeuléPar Emmanuel GOUJON

Jean Teulé : Mangez-le si vous voulez

copyright Yves Tennevin


La barbarie humaine n’a pas de limite, on le sait. De même, la folie des hommes est sans fin. Le XXème siècle en a sans doute été une des plus convaincantes illustrations, alors que le XXIème promet aussi bien des surprises. Mais il existe plusieurs types de folies des hommes, et le livre dont je vais vous parler évoque le délire meurtrier des foules. Il convient de s’interroger sur ce qui fait bouger les foules, les rend, d’un seul mouvement, violentes à l’extrême, comme si l’énergie du groupe, de la horde, prenait le pas sur tout, y compris la plus basique rationalité, la plus naturelle humanité.
« Mangez-le si vous voulez », de Jean Teulé raconte une histoire vraie. Celle d’un jeune homme de bonne famille périgourdine, aimé de tous, sympathique et avenant, intelligent et soucieux des autres, toujours prêt à aider sans rien attendre en retour. Le jeune Alain de Monéys s’en va à la foire de Hautefaye par un beau matin d’été. La canicule bat son plein. Sur son petit cheval fringuant, il croise ses voisins, ses amis d’enfance, discute, échange quelques mots. La guerre contre les Prussiens semble loin. Nous somme le mardi 16 août 1870, une quinzaine avant la chute du Second Empire et la défaite de Sedan. Mais personne ne le sait encore…
Jean Teulé décrit simplement. Il n’interroge qu’implicitement la nature humaine, par une écriture belle et directe qui nomme mais ne juge pas. L’histoire est vraie, on suppose donc que l’auteur laisse le jugement à la justice puisqu’il publie le verdict. Lui ne fait que dépeindre la folie collective qui s’empare de ces bons paysans, de cette épouse d’instituteur, de cet adolescent cruel et sadique, à cause d’un simple malentendu. Les différents personnages de ce drame ne deviennent qu’une foule assoiffée de sang, prête à tous les outrages, toutes les tortures contre celui qu’elle ne voit plus – littéralement – que comme « le Prussien ». Alain est devenu bien malgré lui l’ENNEMI que tout le monde redoute. Il s’était pourtant engagé volontairement, en dépit de sa réforme, et devait rejoindre le front trois jours plus tard. La foule se déchaîne alors contre ce spectre déshumanisé que chacun individuellement aimait quelques minutes plus tôt, et saluait en catimini pour son charme et sa gentillesse.
Le calvaire d’Alain, car l’analogie avec le chemin de Croix de Jésus Christ est souvent présente, commence par des coups. Le sang de la foule s’échauffe, on veut le faire souffrir pour toutes les peurs et les misères sorties de la guerre contre les Prussiens, groupe anonyme et méconnu dont on a découvert un exemplaire tout idéal, du moins veut-on le croire, pour exprimer sa ferveur patriotique et son courage de pacotille… A plusieurs centaines contre un seul homme.Alain sera ferré à vif comme un mulet, puis battu de nouveau à coup de fourche, de gourdin, de crochet. On ne peut l’écouter, on ne le reconnait pas. Puis écartelé : 
« Les bourreaux s’esclaffent, rient, dérapent dans son sang, puis s’élancent encore. Et, nom de Dieu, Alain adorerait ce jeu s’il ne le tuait pas un peu. D’autres hommes arrivent. Ils sont maintenant une dizaine par lien à tirer. Ils tentent d’arracher les membres du tronc. Les épaules d’Alain se démettent, les têtes de fémur se délogent de leur cavité. Est-ce que ça lui fait mal ? Comment vous dire ? … Paupières écartées, il paraît dormir les yeux ouverts. L’espace se dilate dans ce dérèglement de l’ordre universel. Le ciel est transi d’éclairer tant d’ombres ». 
Des ombres d’hommes qui, en groupe, se sentent fort, et comme des zombies s’abreuvent du sang de leur victime. Des ombres d’hommes lâches qui n’osent s’opposer à la foule. Seuls deux ou trois amis d’Alain tentent sans succès de s’interposer. La petite et magnifique Anna mourra de n’avoir rien pu faire pour arrêter la curée. Le curé, lui, invite les assassins à boire son vin de messe pour faire diversion, mais ne fait qu’aggraver les choses. Le maire, drapé dans son écharpe tricolore, ne s’en mêle pas. 
Les autres stations du supplicié ne sont pas moins sanglantes. Il finira sur un bûcher. Et rendue folle par la chaleur et le sang, par l’odeur de la chair en cuisson, la foule consommera sa graisse et sa viande d’holocauste, finissant cannibale. Ce livre est court, puissant et dur. Intitulé « roman », il est bien vrai. Comme l’Homme. Il est un rappel d’une phrase que j’aime à seriner à mes fils : « il ne faut jamais hurler avec les loups, ni se taire avec les lâches ! »
Jean Teulé,
Mangez-le si vous voulez
Editions Juillard/Pocket n°14231
2009, 119 pages.

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