L’homme irrationnel, Woody Allen (2015)
En extirpant cette nouvelle chronique de mon four à Cinéma je me suis fait cette remarque ô combien saisissante que je ne suis définitivement pas une experte de l’œuvre de Woody Allen, n’ayant vu que trop peu de longs métrages de ce cinéaste truculent et singulier en comparaison d’une filmographie pléthorique. En revanche, une fois la question de la légitimité posée quant à ma future critique assassine, je me suis avoué qu’il n’était finalement pas nécessaire de posséder une connaissance encyclopédique du gaillard pour savoir qu’il est capable du meilleur comme du pire ; ce « pire » qui chez lui ne se manifeste pas par un manque de talent ou d’inventivité mais par un gros paquet de fumisterie non feinte jetée négligemment à la figure de son spectateur…. Car en l’occurrence ici – et quitte à me faire vilipender par les adorateurs de Woody Allen – c’est un désastre, une tromperie, un leurre cinématographique aussi énorme et incontournable qu’un pachyderme égaré dans une boutique de lingerie…
Résumons brièvement : Abe Lucas, – Joaquin Phoenix lourdaud en prof de philosophie aguerri, adoubé et insupportablement neurasthénique – tout auréolé de ses problèmes existentiels (sa femme l’a quitté et il boit), débarque pour dispenser des cours d’été sur un campus universitaire. Au fond d’un gouffre existentiel sans issue, égocentrique mais au demeurant sympathique, il se prend rapidement d’amitié pour la jolie Jill – Emma Stone espiègle et rayonnante – et tente au travers de cette étudiante intelligente et enjouée de redonner un sens à sa vie. Sauf que cet homme traîne irrémédiablement son nombril vers l’irrationalité la plus complète et s’entend bientôt développer une idée toute saugrenue pour sortir de sa torpeur psychologique…
N’en disons pas plus au risque d’en dévoiler trop quant à l’intrigue. Mais, au fait, quelle intrigue ? Cette petite chose décevante, ténue, ratée et insipide qui pourrait modestement tenir sur un simple emballage de Smarties ?
Assurément chez Woody Allen la réalisation se révèle toujours belle et soignée, le dialogue brossé et reluisant, la situation comico-dramatique pimpante, la musique allègre et le décor clinquant ; irréfutable donc que Woody Allen s’inscrit dans nos esprits comme une bouffée de bonheur tapie au fond d’un sac dans lequel il suffit d’inspirer bien fort pour se sentir mieux et délesté de toute angoisse. Mis à part que le côté vibrionnant, éclairé et bonhomme de ces films ne parvient pas à combler ici une vacuité extrême…. Car L’homme irrationnel est vide, désespérément creux, tout juste ceint d’une enveloppe scénaristique ne tendant pas à masquer les défauts et l’improbabilité d’une histoire se voulant riche et intellectuelle, mais ne s’affichant ostensiblement que comme pompeuse, sans profondeur et à un niveau de crédibilité proche de zéro. Une situation rocambolesque et stupide, de faux rebondissements, des personnages pêchés dans le marécage d’une mauvaise série américaine et voilà qu’apparaît promptement un ensemble superficiel en forme de supercherie et d’un ennui sans nom. Diantre que le temps semble long face à ce néant narratif engendrant bientôt un sentiment de bâclé, totalement bâclé, définitivement bâclé! Allen réalise beaucoup, trop sûrement, comme si compulsivement omniscient et paternaliste il se devait de donner régulièrement à voir et à entendre à ses admirateurs en les aveuglant et les entourloupant de grandes envolées philosophiques absconses et mortellement fades, judicieusement camouflées par des grands airs de réalisateur humoristiquement profond et inspiré. Allen s’alourdit d’un film qui n’amène rien, aucune réflexion, aucun sentiment, aucune émotion sinon la vilaine impression de se faire arnaquer du début à la fin par des acteurs peu concernés et égarés, une histoire boursouflée et bancale et un cinéaste qui se fout ouvertement de nous ! On met les deux pieds dans le plat du ridicule et si ce film n’était pas signé Woody Allen il est fort à parier que les critiques se montreraient beaucoup moins enthousiastes…