Assemblée dans les locaux de la Universidad Nacional de Lanús,
au sud de Buenos Aires
Les panneaux disent : "Vote pour l'université publique !"
A Buenos Aires, les artistes ont été les premiers à appeler leurs concitoyens à voter contre Mauricio Macri, encore plus que pour Daniel Scioli. Depuis huit ans, ils vivent sous un gouvernement municipal néolibéral qui s'est acharné à appliquer aux trois secteurs non marchands que sont la santé, l'éducation et la culture les lois du marché. A Buenos Aires, les tangueros gardent en mémoire l'affreuse comparaison émise par Macri il y a quelques années lors de la présentation à la presse du festival de tango : Le tango doit être le soja de la Ville (1).
Depuis la semaine dernière, ce sont les universitaires et les scientifiques qui prennent position en faveur d'un engagement de l'Etat dans les secteurs de l'éducation, des sciences et des technologies au moment où l'Argentine commence tout juste à recueillir les fruits des investissements réalisés au cours des trois derniers mandats présidentiels (de 2003 à 2015). Or il y a quelques mois, lors d'une visite à l'Université de Buenos Aires, l'UBA, Mauricio Macri s'est indigné de la quantité d'universités (publiques) qui couvrent le territoire : il présente volontiers cet engagement de l'Etat comme une dépense inutile qu'il faut restreindre (pour mieux rembourser la dette aux créanciers privés, des fonds qui spéculent sur les dettes souveraines) et non pas un investissement sur le long terme qui bénéficie à toute la population et au pays tout entier. En Argentine, en effet, les études dans les universités publiques sont gratuites. Elles coûtent donc un certain prix à la collectivité nationale même si le pays compte une proportion d'étudiants beaucoup moins élevée que nos pays en Europe. Certes, le gouvernement sortant a baissé les exigences académiques pour l'attribution des diplômes ou le passage en classe supérieure, ce qui n'est pas pour plaire unanimement à la communauté enseignante. Et il est en effet possible que ces mesures fassent baisser le niveau général (on sait ce qu'il en est en France par exemple). De là à tourner le dos à la voie ouverte parle kirchnerisme et couper les vivres aux Universités ou exiger d'elles qu'elles s'autofinancent (2), il y a un grand pas.
A deux reprises, au début du mois et cette semaine, un certain nombre de recteurs, de chercheurs et d'enseignants des universités publiques et du Conicet (Conseil national pour la Recherche et la Technologie) réagissent et prennent position pour Daniel Scioli au second tour, le 22 novembre.
L'Université nationale Général San Martín (UNSAM) et l'Université nationale de Lanús (UNLa), toutes deux installées en proche banlieue de Buenos Aires, donc dans la Province de Buenos Aires, gouvernée depuis huit ans par Daniel Scioli, publient sur leur site Internet des déclarations officielles très argumentées. Les recteurs répondent aux médias privés qui dénoncent une campagne de la peur menée par D. Scioli et son équipe parce que celle-ci et le candidat lui-même ne cessent de décliner les risques que représente le programme de Mauricio Macri (3) et de rappeler ce qu'a donné la politique néolibérale dans les années 1990 : tout le monde se souvient qu'elle a mené le pays à la faillite en 2001 et que les simples gens y ont perdu les économies de toute une vie, leurs projets, leur avenir, leur travail (salarié ou indépendant), leurs retraites parfois.
Capture d'écran du site de Daniel Scioli
La campagne est si tendue que la présidente a renoncé à son dernier G20 en Turquie ce week-end : elle envoie le ministre des Affaires étrangères à sa place. Toutefois, elle a renoncé à toute activité publique pour rester en ce moment même au chevet de son fils, qui vient d'être opéré dans une clinique à Buenos Aires. Et on ne sait pas qui viendra représenter l'Argentine à la Cop 21 à la fin du mois. Personne n'a la légitimité suffisante pour engager aujourd'hui le pays sur le long terme qu'exige la crise du climat. Qui plus est, en temps normal et encore moins dans les conditions actuelles, il n'est même pas envisageable de réunir une commission bipartite qui négocierait un accord qui puisse être ratifié par les deux candidats (cela ne l'était d'ailleurs pas davantage avant le premier tour, où cette idée saugrenue ne serait même venue à l'esprit de personne puisque les jeux semblaient faits).
Capture d'écran du site de Mauricio Macri
La situation est très neuve en Argentine, très déroutante pour tout le monde. Dans l'histoire du pays, c'est seulement la première fois que l'élection présidentielle connaît un second tour. Et le 26 octobre, seuls trois points séparaient les deux candidats (avantage à Scioli).
Pour aller plus loin : lire l'article de Página/12 du 4 novembre (hostile à Macri) lire l'article de Página/12 de ce matin lire la dépêche de l'agence nationale de presse Télam (dans l'ensemble hostile à Macri : les médias publiques suivent la couleur politique du gouvernement en place) On n'en trouve pas trace dans les autres quotidiens (Clarín, La Nación, La Prensa, plutôt favorable à Macri) On peut également lire la déclaration du recteur del'UNSAM, Carlos Ruta lire la déclaration de l'Assemblée universitaire qui s'est tenue à l'UNLa consulter le site de la campagne de Daniel Scioli (qui s'est acheté une annonce sur Google pour apparaître en haut de la page de la requête sur son nom) consulter le site de la campagne de Mauricio Macri (paradoxalement, il ne semble pas avoir pris cette peine, peut-être parce qu'il se croyait vaincu d'avance, si bien que c'est sa page Facebook qui apparaît et assez bas sur la première page de la requête).
(1) En Argentine, la culture du soja rapporte beaucoup de devises. La production est presque exclusivement destinée à l'exportation. Son extension dans les campagnes argentines provoque de véritables catastrophes écologiques, avec de vastes zones de monoculture très polluées par les engrais chimiques, des désastres sociaux avec des baisses d'emploi et/ou de salaire, la réduction de l'élevage extensif et des autres productions nécessaires à l'autosuffisance alimentaire nationale ainsi que la perte de certains métiers à valeur ajoutée liés aux activités plus traditionnelles (céréales, vergers, maraîchage, laiterie). Autrement dit, le développement du soja profite à un petit nombre, les exportateurs privés, et détériore les conditions et le niveau de vie des autres. (2) On sait ce que cela donne lorsque les pouvoirs publics retirent leur financement à la recherche et à l'enseignement supérieur : ceux-ci sont obligés alors de trouver l'argent à travers des partenariats avec l'industrie et voient leurs objectifs de recherche fondamentale s'effondrer parce que l'industrie ne s'intéresse qu'à la recherche appliquée et exige que les chercheurs aient des résultats à utilisation lucrative immédiate, ce qui est la négation même de la recherche fondamentale. C'est déjà un désastre pour nos universités qui peuvent s'appuyer sur une tradition séculaire pour continuer à exister. Imaginez ce qu'il en est dans un pays neuf ! (3) Lequel reste dans le vague sur des questions importantes comme la privatisation de certaines entreprises après la vague de nationalisations initiée par Cristina Kirchner et votée quasiment à chaque fois à l'unanimité ou presque par le Congrès (Aerolineas, YPF, etc.). Hier, à Rosario, Macri a annoncé qu'il n'avait pas de religion en la matière et qu'il verrait au cas par cas. De quoi effrayer pas mal de gens et de tous les côtés peut-être. Voir à ce sujet la dépêche de Télam.