En veux-tu, en voilà, les exemples de bêtise croissent, multipliant l'illusion de présenter des cas à un œil qui n'en serait pas puisqu'il observe. Étant donné qu'il n'existe guère de bêtise qui par quelque côté ne soit nôtre, le souci de l'étudier est contrebattu par celui de se protéger, et chacun de prendre à n'importe quel prix ses distances, prêt à imiter Gribouille plongeant dans la rivière pour esquiver la pluie. En la matière, les plus fins connaisseurs seraient demeurés parfaits ignares s'ils n'avaient de leur propre chef failli se perdre corps et âme, en combats douteux et avanies singulières. Le précautionneux loge la bêtise en face, belge quand il est français, à droite quand il se croit de gauche et réciproquement ; mais seuls ceux qui, à leurs risques et périls, l'ont dégustée, la reconnurent intime, murmurante, la boivent saumâtre, en apprécient les sortilèges et la saveur. Ainsi les meilleurs critiques du totalitarisme – Soljenitsyne, Orwell, Souvarine – éclairent leur lanterne à la flamme d'un stalinisme dont ils brûlèrent eux-mêmes. Qui n'a jamais cédé à l'ivresse paraît peu préparé à pénétrer le roman de l'ivrognerie. Tant que je contemple la bêtise comme un fait divers, une aventure qui n'arrive qu'aux autres, ou à moi-même mais sous influence étrangère – j'étais hors de moi, je ne sais plus ce qui m'est advenu –, la subtilité du phénomène m'échappe. Sauf à faire étalage de sa propre suffisance, rien ne sert d'accumuler faits bruts et expériences vécues – est-il sot ! suis-je stupide ! L'exclamation signale l'existence d'un dispositif retors et enveloppé.