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La mort d'André Glucksmann

Par Pmalgachie @pmalgachie
mort d'André Glucksmann Il y a quelques jours, je l'avais vu si jeune et si vivant que la nouvelle m'arrive comme totalement invraisemblable. Jeune, vivant et aux réactions virulentes, c'était, pendant quelques instants, dans la formidable émission que Pierre Assouline a consacrée la semaine dernière à Apostrophes. Et puis, il faut accepter que le temps passe, que l'émission de Bernard Pivot elle-même n'existe plus que dans les archives et les souvenirs. Et qu'André Glucksmann avait 78 ans. Ma réaction m'étonne un peu car, pour dire la vérité, je me tiens surtout dans les territoires de la fiction et j'ai donc très peu lu le philosophe. Il n'empêche: il appartenait au paysage. Comme je suis incapable de dire une chose à peu près sensée sur cet arbre, là, dont je ne connais même pas le nom, je suis tout aussi incapable de vous expliquer quelle était la pensée de Glucksmann et comment elle a évolué à travers ses écrits. D'autres le feront, je leur fait confiance. Voilà, je voulais seulement faire part de ma surprise. Prendre la mesure de mes lacunes (car celle-ci témoigne par l'exemple de bien d'autres) et peut-être même de ma bêtise. Un sujet que Glucksmann avait abordé il y a trente ans dans un livre qui portait ce titre, La bêtise, et qui vaut bien la lecture de son premier paragraphe.
En veux-tu, en voilà, les exemples de bêtise croissent, multipliant l'illusion de présenter des cas à un œil qui n'en serait pas puisqu'il observe. Étant donné qu'il n'existe guère de bêtise qui par quelque côté ne soit nôtre, le souci de l'étudier est contrebattu par celui de se protéger, et chacun de prendre à n'importe quel prix ses distances, prêt à imiter Gribouille plongeant dans la rivière pour esquiver la pluie. En la matière, les plus fins connaisseurs seraient demeurés parfaits ignares s'ils n'avaient de leur propre chef failli se perdre corps et âme, en combats douteux et avanies singulières. Le précautionneux loge la bêtise en face, belge quand il est français, à droite quand il se croit de gauche et réciproquement ; mais seuls ceux qui, à leurs risques et périls, l'ont dégustée, la reconnurent intime, murmurante, la boivent saumâtre, en apprécient les sortilèges et la saveur. Ainsi les meilleurs critiques du totalitarisme – Soljenitsyne, Orwell, Souvarine – éclairent leur lanterne à la flamme d'un stalinisme dont ils brûlèrent eux-mêmes. Qui n'a jamais cédé à l'ivresse paraît peu préparé à pénétrer le roman de l'ivrognerie. Tant que je contemple la bêtise comme un fait divers, une aventure qui n'arrive qu'aux autres, ou à moi-même mais sous influence étrangère – j'étais hors de moi, je ne sais plus ce qui m'est advenu –, la subtilité du phénomène m'échappe. Sauf à faire étalage de sa propre suffisance, rien ne sert d'accumuler faits bruts et expériences vécues – est-il sot ! suis-je stupide ! L'exclamation signale l'existence d'un dispositif retors et enveloppé.

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