Craignant un syndrome à la Bourguiba, dix-neuf personnalités proches du président algérien tirent la sonnette d’alarme, insinuant que Bouteflika, victime d’un AVC depuis 2014, ne serait pas en capacité de diriger le pays et serait l’otage d’un clan du régime.C’est du moins ce que suggère la lettre datée du 5 novembre par 18 personnalité proches du chef de l’Etat algérien, parmi lesquelles la dirigeante du Parti des travailleurs (extrême-gauche) Louisa Hanoune, l’ex-ministre de la Culture Khalida Toumi, l’écrivain Rachid Boudjedra, mais aussi d’ex-combattants de la guerre d’Algérie comme la sénatrice Zohra Drif. Otage d’un clan du pouvoir ?Ces personnalités, dont une partie s’était prononcée en faveur d’un quatrième mandat pour le chef de l’Etat en 2014, effectuent un virage à 180 degrés, dans la mesure où un an après la réélection d’Abdelaziz Bouteflika (c’était en avril 2014), elles en viennent à douter de ses capacités à diriger l’Algérie.Craignent-elles, comme l’écrit le journal Liberté, un syndrome à la Bourguiba, victime d’un « coup d’Etat médical » qui avait vu l’arrivée au pouvoir de Ben Ali ? Une chose est certaine, les rumeurs vont bon train à Alger où les médias évoquent de plus en plus l’hypothèse d’un président otage d’un clan du pouvoir. Toujours est-il que les signataires de la lettre, qui ont décidé de la rendre publique –elle a fait la une des médias algériens – de crainte qu’elle ne parvienne pas au président algérien - pointent « la grave dégradation de la situation économique et sociale qui frappe la majorité du peuple algérien à laquelle sont apportées des réponses inquiétantes de la part des autorités du pays augurant de l’extrême précarisation des plus vulnérables tout en livrant le pays, ses richesses, ses capacités aux prédateurs et aux intérêts étrangers ».Ils mentionnent l’existence « d’un fonctionnement parallèle, obscur, illégal et illégitime » qui se serait substitué « au fonctionnement institutionnel légal », suggérant ainsi que le chef de l’Etat algérien aurait perdu la main au profit de certaines forces. « Je connais très bien le président et je doute que certaines décisions soient de sa propre initiative » a affirmé l’ancienne ministre Khalida Toumi à la presse algérienne. Victime en 2014 d’un AVC l’ayant considérablement affaibli, Abdelaziz Bouteflika, qui ne communique que par communiqués lus par une tierce personne, ne fait que de rares apparitions, retransmises par la télévision algérienne, lorsqu'il reçoit des invités étrangers.Il n’est plus que l’ombre de ce qu’il était quand il avait accédé au pouvoir en 1999. Les conseils des ministres se font rares – un seul depuis le début de l’année – et seules trois personnes, son frère et conseiller Said, le vice-ministre de la défense, le général Gaid Salah et l’ex-premier ministre et aujourd’hui directeur de cabinet Ahmed Ouyahia le voient, dit-on, régulièrement. Aussi, ces personnalités, qui ne remettent à aucun moment en cause la légitimité du chef de l’Etat algérien, ne veulent sans doute plus se faire complices, comme le souligne le Quotidien d’Oran, de ces mises en scène médiatiques tendant à montrer un président informé, en capacité de gouverner et qui décide. Comme elles ne veulent certainement pas se faire complice d’un transfert du pouvoir extraconstitutionnel au profit d’un clan du pouvoir qu’elles ne nomment pas mais que la presse algérienne mentionne sous le terme d’ « oligarques », allusion au chef du patronat algérien et hommes d’affaires, Ali Haddad, 50 ans. Les mises en garde de l’opposition Le cri d’alarme lancé par les « amis » du président algérien intervient après les mises en garde répétées de l’ex-Premier ministre et candidat malheureux à l’élection présidentielle d’avril 2014, Ali Benflis. Ce dernier n’a cessé d’alerter sur le fait que « des forces extraconstitutionnelles ont pris possession du centre de décision » et que « le pouvoir est assumé d’ailleurs », un « ailleurs » qui, selon lui, « se répartit entre la famille, la clientèle politique et fonctionne avec de l’argent sale ». Il intervient après la série de limogeages, de mise à la retraite et d’arrestations d’officiers supérieurs de l’armée, sur fond de restructuration du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), qualifié à tort ou à raison d’Etat dans l’Etat (voir l’Humanité.fr du 4 septembre). Trois partis de la coalition au pouvoir, le FLN, le RND (Rassemblement national démocratique) et le parti islamiste TAJ, ont dénoncé hier la démarche de ces 18 personnalités, assurant à qui veut les entendre que « le président de la République accomplit normalement ses missions» ! «Si c’est pour dire que la situation dans le pays est catastrophique, il faudrait qu’ils attendent 2019 (l’élection présidentielle), l’année durant laquelle le peuple va juger le bilan du Président» a tonné le chef du FLN , Amar Saidani. Un contexte socio-économique inquiétantUne chose est sûre, cette affaire intervient dans un contexte de dégradation de la situation financière algérienne en raison de la chute du cours du baril, dégradation qui contraint d’ores et déjà les autorités algériennes à puiser dans les réserves de change – elles sont estimées à plus de 180 milliards de dollars – pour financer les besoins pressants du pays. A terme, estiment certains experts algériens, faute d’une alternative au tout pétrole, ces réserves de change vont s’épuiser aussi vite qu’elles se sont constituées, et le pouvoir algérien ne sera plus en mesure de financer la paix sociale. http://www.humanite.fr/algerie-abdelaziz-bouteflika-aurait-perdu-le-pouvoir-589079