" Est-ce que votre méthode de gouvernement est désormais la godille, l'improvisation et le zigzag permanent ? " (Guillaume Larrivé, 4 novembre 2015 au Palais-Bourbon).
Le gouvernement de Manuel Valls ne rate aucune occasion de réduire les dépenses de l'État ou d'augmenter les recette de l'État, ce qui, sur le principe, va dans le sens d'un assainissement des finances publiques que le début du quinquennat de François Hollande a particulièrement mises à mal. Cela n'empêche pas le pouvoir, à la fin de ce quinquennat, de plaider l'héritage du sarkozysme, héritage qui, pourtant, a laissé des finances publiques, compte tenu de la grave crise de septembre 2008, dans un état qui a reçu le "quitus" de bonne gestion de la part de la Cour des Comptes présidée par le socialiste Didier Migaud dans son rapport publié le 2 juillet 2012 commandé par Jean-Marc Ayrault.
Le tout, c'est de prendre ces mesures impopulaires dans la plus grande discrétion possible. Hélas pour ce gouvernement, parfois, ébruitées par des parlementaires pointilleux, elles génèrent une telle mousse médiatique qu'il lui faut alors faire machine arrière et trouver d'autres moyens de réduire le déficit public. Augmentation de la TVA sur les serviettes hygiéniques, réduction (scandaleuse) de l'allocation adulte handicapé (AAH), maintien pour la troisième année de la suppression de la demi-part des veuves (décidée sous la quinquennat précédent mais découverte semble-t-il seulement trois ans et demi après être arrivé au pouvoir), augmentation de la taxe diesel qui va reprendre dans une poche ce que l'impôt sur le revenu aurait généreusement laissé dans l'autre poche, réduction des dotations des collectivités locales, etc.
Pour exprimer un tel mécontentement, la séance des questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale était sans doute la plus indiquée, parce qu'elle est la plus médiatique des séances. Un député de l'opposition a donc pris la parole pour ironiser sur cette politique fiscale incohérente, sans vision, sans horizon, sans préparation. Il faut bien admettre que ses tirades n'auront eu aucun effet, qu'elles ne sont pas très constructives, que c'était un simple jeu de rôle, mais il a pris date, il a pris marque et il a pris marque avec brio. Il s'agit du député LR de l'Yonne, Guillaume Larrivé (38 ans) qui est, à n'en pas douter, d'un grand potentiel, une graine de ministre. Une sorte d' Emmanuel Macron de l'opposition. Le député Dominique Dord s'était prêté à ce même exercice il y a deux ans et demi, le 28 mai 2013.
Présentons rapidement la personnalité : IEP, ESSEC et ENA, maître de requêtes au Conseil d'État, avocat, conseiller du ministre Nicolas Sarkozy à l'Intérieur de 2005 à 2007 puis conseiller du ministre Brice Hortefeux de 2007 à 2011, puis conseiller à l'Élysée de 2011 à 2012. Il a été élu conseiller régional de Bourgogne en mars 2010 et député de l'Yonne en juin 2012 (succédant à l'historique Jean-Pierre Soisson dont il était le suppléant) et a déjà beaucoup travaillé en multipliant les rapports parlementaires, notamment sur l'islamisme radical en prison et sur la lutte contre le cyber-djihadisme. Il a été nommé par Nicolas Sarkozy en décembre 2014 secrétaire national de l'UMP puis LR chargé de la réforme des institutions. En mars 2014, il a raté de peu (48,9%) les élections municipales à Auxerre face au maire socialiste sortant qu'il avait battu aux législatives de 2012.
Dans la séance de questions au gouvernement du 4 novembre 2015, Guillaume Larrivé s'est donc adressé directement au Premier Ministre Manuel Valls : " Permettez-moi une confidence : il est parfois assez difficile de comprendre quelle est la logique , la cohérence de votre politique économique, budgétaire et fiscale. Il y a quelques jours, vous avez vous-même déclaré que François Hollande et Jean-Marc Ayrault avaient, au début du quinquennat, provoqué des dégâts considérables. Merci de cet aveu et de ce premier éclair de lucidité. Mais depuis que vous êtes Premier Ministre, cela continue : 14 milliards d'euros d'impôts supplémentaires ont été prélevés sur les ménages en 2014 et en 2015 ; le bombardement fiscal affaiblit la France, tue les entreprises et appauvrit les classes moyennes. ".
Puis, de pointer du doigt les incohérences gouvernementales : " Nous assistons à un véritable festival budgétaire et fiscal, avec chaque jour des épisodes de plus en plus originaux. Ainsi, le Secrétaire d'État au budget, pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, demande à certains contribuables de ne pas payer les impôts qu'il a lui-même fait voter. La Ministre des Collectivités locales demande aux députés de rejeter la réforme de la dotation globale de fonctionnement qu'elle a elle-même présentée. Et, ce matin, le porte-parole du gouvernement demande que le Parlement rejette la réforme de l'allocation adulte handicapé que vous-même proposez. La vérité, monsieur le Premier Ministre, c'est que nous assistons, éberlués, à une sorte de happening permanent où ce qui est annoncé le matin est contredit l'après-midi avant d'être démenti le soir. ".
Sa question fut donc très polémique : " Y a-t-il un pilote dans l'avion à l'Élysée ou à Matignon, ou bien est-ce que votre méthode de gouvernement est désormais la godille, l'improvisation et le zigzag permanent ? ".
Comme dans son habitude, Manuel Valls ne s'est pas dérobé et a répondu lui-même en revenant encore une fois sur le bilan du quinquennat précédent (en omettant les conséquences budgétaires de la crise de 2008) alors que les gens veulent avant tout avoir une visibilité de leur avenir, pas d'un passé impossible de toute façon à modifier. Ce passéisme est d'ailleurs très significatif de ce gouvernement aux abois, l'argument de mauvaise foi quand on n'a rien à dire sur la cohérence de sa propre politique budgétaire, sur sa propre vision du futur.
Pour justifier ses nombreuses reculades, Manuel Valls a parlé d'écoute de la société : " Réformer n'est pas à confondre avec vitesse et précipitation ; c'est savoir écouter, et corriger si nécessaire. Nous dialoguons avec la société, avec les partenaires sociaux, avec le Parlement. (...) Notre responsabilité, celle du gouvernement et de la majorité, c'est de prendre de bonnes décisions pour préparer l'avenir du pays, et parfois pour réparer les choix politiques du passé. ". C'est à ce moment-là qu'un député LR (Michel Herbillon) lui a lancé : " Personne ne vous croit ! ".
Manuel Valls a terminé son intervention comme un écolier d'école primaire en disant en gros "c'est celui qui dit qui est" : " Ceux qui sont les amateurs l'ont prouvé quand ils gouvernaient ; ceux qui trompent et qui mentent aux Français, c'est vous, parce que vous ne leur dites pas la vérité sur votre projet. ".
On dirait que Manuel Valls a déjà pris acte qu'il serait dans l'opposition, puisqu'il apporte plus d'importance au projet de l'opposition à son propre projet de loi de finances, et considère déjà que la droite et le centre seraient au pouvoir dans un bref temps. C'est peut-être sa seule vision à peu près cohérente de l'avenir du pays...
Dans la même séance dans l'hémicycle, Rémi Delatte (59 ans), agriculteur et député LR de la Côte-d'Or depuis juin 2007, a enfoncé le clou sur la politique fiscale : " Votre politique fiscale, faite d'un matraquage permanent et de rétropédalages récurrents n'apporte aucun résultat tangible en matière de croissance. Pire, elle ne réduit que de très peu les inégalités entre nos concitoyens, alors que c'est votre mantra, votre prétexte pour assommer toujours plus les classes moyennes. Tout cela, nous vous le disons depuis plus de trois ans, et vous le balayez d'un revers de la main. ".
Rémi Delatte a voulu lui aussi assommer avec les statistiques de l'iNSEE (publiées la veille, le 3 novembre 2015) : " D'une part, les hausses massives d'impôts que vous avez décidées depuis 2012 plombent le niveau de vie des ménages. En effet, pour 4,8 millions de ménages que vous présentez comme gagnants, ce sont 19 millions de foyers qui sont perdants. D'autre part, votre politique dite de justice sociale ne fait plus illusion : hausse de l'impôt sur le revenu et des cotisations retraite, fiscalisation des mutuelles et majoration de 10% pour charges de famille. Toutes ces attaques contre le pouvoir d'achat des ménages amplifient la colère sociale sans réduire significativement l'écart de niveau de vie entre nos compatriotes. ".
Et de décrire et fustiger l'angle de défense du gouvernement : " Face à cela, vous avez toujours la même parade, l'héritage de vos prédécesseurs. L'épisode de la découverte, en plein débat budgétaire, de milliers de petits retraités soumis aux impôts locaux en est le dernier exemple. La faute à l'ancienne majorité ? Mais qui, sinon vous, a augmenté les impôts de 50 milliards d'euros depuis 2012 ? Ces augmentations sont bien de votre fait, elles sont de votre responsabilité. (...) Quand allez-vous avoir une vision juste et cohérente de la politique fiscale dans notre pays ? ".
À ce député, c'est Christian Eckert, Secrétaire d'État chargé du Budget, qui a répondu très mollement : " Oui, des questions peuvent se poser sur les efforts qui ont pu être demandés par les uns et par les autres, nous avons souvent ce type de débats. Ce que j'observe, c'est que, depuis deux ans, nous sommes passés à une phase non pas de stabilisation de l'impôt sur le revenu, mais de redistribution (...). ".
Ce n'est pas un hasard si le Front national bénéficie aujourd'hui d'intentions de vote très flatteuses aux élections régionales dans un mois (le FN se retrouverait au premier rang dans le Nord-Picardie et en Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne au premier tour). À force de prendre les contribuables français pour des vaches à lait, les électeurs français se rebiffent...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (9 novembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Dominique Dord.
Nicolas Sarkozy.
Manuel Valls.
François Hollande.
Fais-moi peur !
Bilan du quinquennat Sarkozy.
Le monde des bisounours.
Tout est possible en 2017...
Mathématiques militantes.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151104-guillaume-larrive.html
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/guillaume-larrive-y-a-t-il-un-173847
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/11/09/32900930.html