Présentation de l’éditeur :
Avec Chez les ours, nous explorons la nordicité, arpentons la terre et les mythes fondateurs. L’auteur Jean Désy passe sa vie à voguer dans le monde de l’autochtonie. Sa poésie est expérience du voyage et usage du Nord. Puisque, « nous voyageons pour manger des fruits immortels. »
Nous voyageons pour apprendre à nommer les choses de la vie, pour agrandir en nous la nature, pour mêler nos corps au parfum des bois et de la glace, dans l’espace absolu. Pour invoquer la parole nue au fond des cabanes.
Chez les ours nous embarque vers le Nord, empruntant le kayak ou la route, gardant en nous l’âme des coureurs de froid. Une plongée dans cette « nature dense et
patiente », et nous voilà reliés à l’esprit du Nord, « là où jamais ne se termine ni la course ni la vie/ ni le rire ni la mort. »
Accompagné des photographies de Isabelle Duval.
Né au Saguenay en 1954, Jean Désy est écrivain, médecin et voyageur. Il vogue entre le Sud et le Nord, entre les mondes de l’autochtonie et de la grande ville, la haute montagne et la toundra, l’écriture et l’enseignement universitaire, la pratique de la médecine et la poésie.
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La poésie de Jean Désy (du moins dans le peu que j’ai découvert dans Chez les ours), c’est une plongée dans le grand Nord, une ode à la nature, aux forêts, à la variété des arbres, à la faune, au froid. Un chant aux routes aussi, aux chemins, aux sentiers parcourus dans la neige, au bivouac par moins trente degrés, au courage des hommes qui osent parcourir ces chemins. Un hommage aux Cris, aux Innus, aux Inuits et à bien d’autres qu’il a croisés durant ses voyages.
On sent chez le poète un désir de communion, une reconnaissance envers cette nature, une humilité face à la toundra, où il est si difficile pour l’homme de vivre.
Les photos en noir et blanc d’Isabelle Duval accompagnent les textes de Jean Désy de leur aspect végétal et minéral.
Je vous propose deux textes, le tout premier du recueil, qui me semble refléter son esprit général et un autre sur les ours.
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Quand on a mené sa barque sur des milliers de kilomètres
pour enfin toucher à la limite
ni pont ni poussière
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Quand on a fini par emprunter toutes les routes
—————– bûchées défrichées roulées
il reste un dernier chemin à parcourir
la toundra profonde
une voie que nul n’a connue
sauf peut-être une femelle caribou
un ours noir un couple de carcajous discrets
une sterne acrobate
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Une fois inventé le pays du sud
asphalté carbonisé divisé l’espace disponible
on arrive aux portes de la virginité
là où tout l’avenir est flou
et les coureurs de froid naviguent librement
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Ebahi on réalise que les nuages flottent différemment
le vent reste seul maître des collines
comme des rochers noirs disséminés sur la mousse
le soleil se fait tendre tandis qu’il frotte sa joue sur l’orizon
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A genoux
on se dit qu’il vaut la peine de prier
(Page 15)
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Au bout du monde laisse entrer un ours dans ta ouache
ne fais ni un ni deux quand il s’avancera dans ta cuisine
raconte-lui une histoire
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Pactise avec Nanuq le puissant blanc à la patte de velours
nageur émérite grand traverseur des baies
————————- d’Hudson et d’Ungava
offre-lui des arpiks comme dessert
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Dis à l’ours noir que la vie au grand air
est une denrée nécessaire pour la survie
sois fier si pour t’amuser il te lèche un lobe d’oreille
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Fais entendre une cantate de Bach à une femelle
—————— venue te visiter
parle-lui tout de même de la mort
—————— d’un travailleur forestier
tué par un gros mâle bourru réveillé de travers
—————— un vendredi saint
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A chacun des ours présents offre à souper
dévorez à pleine gueule de l’esturgeon
—————— de l’omble arctique et du brochet grillé
tout à fait convaincus qu’il reste de la place pour tous
das cette contrée qui est la vôtre
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Composez un hymne à l’espace vital
pour tous les nanuqs et les humains de la terre
bêtes brillantes et gens sensés
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Puis la nuit venue
sortez dehors vous asseoir dans la neige
et attendez la prochaine aurore boréale
(page 50)
Arpik (mot inuit) : plaquebière (ou « ronce petit-mûrier », plante typique des pays nordiques)
Nanuq (mot inuit) : ours blanc
Jean DESY, Chez les ours, Mémoire d’encrier, 2012
Un billet dédié à Marilyne grâce à qui j’ai découvert ce poète et chez qui vous trouverez d’autres textes
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