Philippe de Larminat met, dans Changement climatique, son expertise en modélisation des processus, au service du climat. Pour ce faire, l'auteur utilise la méthode de l'identification, qui est utilisée avec succès dans la modélisation des processus indutriels:
Identifier un processus consiste à déterminer un modèle mathématique, souvent réduit au comportement externe, à partir de l'observation des entrées et des sorties (causes et effets). S'agissant du processus climatique, les entrées répertoriées sont ici la concentration atmosphérique de CO2, l'activité solaire et l'activité volcanique. La sortie est la température de surface planétaire globale.Comme l'identification du processus climatique présente des difficultés et des limites qui lui sont propres, l'auteur a opté pour un modèle dynamique comportant au plus une demi-douzaine de paramètres :
- la sensibilité climatique, c'est-à-dire la sensibilité à la concentration atmosphérique de CO2: Sclim
- la sensibilité à l'irradiance, c'est-à-dire la sensibilité à l'activité solaire: Sirrnet
- la sensibilité à l'activité volcanique: Svol
- la constante de temps climatique: Tclim
- la sensibilité fréquencielle: (les cycles solaires de Schwabe sont de 11 ans)
- la température d'équilibre: TE
De plus il a retenu un traitement continu des archives climatiques sur des durées de l'ordre du millénaire . Son catalogue de données comprend:
- une reconstitution de la teneur atmosphérique en CO2 en parties par millions en volume (280 ppm avant l'an 1000; entre 1010 et 1958, concentrations dans des bulles d'air captives de la calotte glaciaire antarctique; depuis 1959, relevés au centre de Mauna Loa)
- quatre reconstitutions d'irradiance solaire à partir de l'irradiance totale, du nombre de Wolf (taches solaires), d'un marqueur isotopique (béryllium 10): Usoskin be10-lean0, Usoskin be10-timv15, calibration et alignement sur lean0, calibration et alignement sur tim15
- une reconstitution d'activité volcanique (archives antarctiques et groendlandaises).
Ce qui représente 16 combinaisons, selon la température et l'irradiance, qu'il a combinées entre elles.
Parmi les méthodes d'identification paramétriques, l'auteur a choisi celle de l'erreur de sortie, qui n'est certes pas optimale mais qui a le mérite de limiter l'arbitraire à la sélection de la structure du modèle proprement dit, sans y ajouter celle d'un modèle de bruit . Cette méthode consiste, sans qu'il soit besoin de faire référence à quelque théorie préexistante , [...] à minimiser, par rapport aux paramètres d'un modèle, une norme des écarts entre la sortie observée et la sortie simulée par ce modèle . Entre entrées et sorties, le fonctionnement interne du système est opaque: l'optique adoptée est résolument boîte noire.
En se limitant à la combinaison de Ljungqvist-HadCRUT4 et de Usoskin be10-lean0, la minimisation de l'erreur de sortie le conduit aux estimations paramétriques suivantes:
- Sclim (sensibilité climatique): 1.28°C
- Sirrnet (sensibilité à l'irradiance): 17.5 °C/Wm-2
- Svol (sensibilité volcanique): 10.7 °C
- Tclim (constante de temps climatique): 90 ans, compatible avec l'inertie des océans
- Sirr11 (sensibilité fréquencielle): 0.90 °C/Wm-2
- TE (température d'équilibre): 0.027 °C
La sensibilité climatique trouvée (1.28°C au doublement de CO2) est compatible avec la fourchette présumée du GIEC (1 à 6°C). En revanche la sensibilité à l'irradiance calculée (17.7 °C/Wm-2) est dix fois supérieure à la limite haute...Sinon, à l'examen des 16 combinaisons, il ressort que:
- seules les deux basées sur Jones et Mann et sous réserve de correction ER Background [les ER sont de petits dipôles magnétiques qui disparaissent avant d'avoir pu se transformer en taches solaires mais qui influent sur l'irradiance totale solaire et le champ magnétique solaire], indiquent une sensibilité à l'activité solaire réduite au simple facteur énergétique.
- la sélection de la reconstruction d'irradiance n'a que peu d'incidence sur la sensibilité climatique Sclim, ainsi que la contribution proprement dite de l'activité solaire au réchauffement récent.
Philippe de Larminat en conclut que la reconstruction de Jones et Mann est la seule cohérente avec les paramètres climatiques présumés par le , mais que, si on retient les trois autres, l'activité solaire explique non seulement les grands épisodes climatiques passés, mais elle contribue fortement aussi au réchauffement du siècle dernier. Il conclut également que les observations ne permettent pas de déterminer avec une bonne confiance la sensibilité climatique ni même seulement son signe...
Philippe de Larminat en vient aux projections climatiques à long terme. Le problème que posent celles du GIEC est qu'en limitant sévèrement la contribution de l'activité solaire, il détériore la reproduction des températures millénaires et renforce ainsi indirectement le coefficient de forçage radiatif anthropique . Le résultat est que quasiment toutes ses projections conduisent à l'horizon 2100 à franchir la barre des deux degrés de réchauffement par rapport à la température préindustrielle de convention.
Or Philippe de Larminat fait observer que, ce faisant, le GIEC passe à côté d'un scénario qui n'est pourtant pas à exclure, celui où la sensibilité climatique serait nulle ou insignifiante et où l'activité solaire retrouverait, en quelques cycles, le niveau des années 1700: celui du minimum de Maundler, autrement dit du retour à un petit âge glaciaire...
Toujours est-il que le parti pris du GIEC d'attribuer le réchauffement de la fin du XXe au seul facteur anthropique l'a empêché de prédire le palier observé depuis 18 ans, auquel l'activité solaire aurait contribué quelque peu, comme le montre la corrélation établie par Philippe de Larminat . Aussi, faute d'autre explication, le GIEC ne peut attribuer la pause climatique actuelle qu'à un aléa négatif de la variabilité naturelle du climat, et qui devrait prendre fin tôt ou tard.
Les prédictions rétroactives de l'algorithme de Larminat sont, elles, conformes à la réalité de ce palier. Comment s'y est-il pris pour reproduire ainsi les observations postérieures à l'an 2000 sans qu'il n'en connaisse rien ? Cet algorithme a, en fait, su exprimer la conjonction de plusieurs facteurs dont:
- le retournement de l'activité solaire moyenne
- les cycles solaires qui sont passés par un minimum en pleine décennie 2002-2012
- la variabilité interne du climat qui a atteint des sommets vers l'an 2000
- l'action humaine qui est insuffisante pour compenser ces tendances à la baisse.
Les travaux de Philippe de Larminat établissent donc la prépondérance de l'activité solaire. Ils méritent d'être poursuivis, mais il reste beaucoup à faire pour affiner la quantification des modèles identifiés. Aussi donne-t-il des pistes aux experts dont la compétence climatique dépasse la sienne:
Il conviendrait de remettre en chantier l'évaluation des paramètres climatiques dans une optique boîte grise , en introduisant des connaissances a priori , par exemple sur les inerties thermiques des masses océaniques. Une autre perspective consiste à reprendre l'identification selon la démarche initiée ici, mais sur la base d'un modèle climat/carbone couplé, ayant pour entrée exogène le débit d'émission anthropique de CO2, la concentration devenant une variable d'état comme la température.
En tout cas, ce ne sont pas les experts de l'Académie pontificale des sciences qui suivront ces pistes.... Philippe de Larminat devait participer au Symposium sur le climat organisée par elle à Rome le 28 avril 2015. Il avait déjà acheté son billet Paris-Rome quand il a reçu, cinq jours auparavant, un mail (voir le Washington Post du 20 juin 2015) lui signifiant qu'il y était persona non grata... Les voix des dissidents du GIEC sont décidément inaudibles et impénétrables au Vatican... Ce qui n'étonnera pas les lecteurs de Laudato Si, la dernière encyclique de Pape François...
Francis Richard
Changement climatique - identifications et projections, Philippe de Larminat, 144 pages, ISTE EditionsPS
http://http://www.iste.co.uk/fr/delarminat.zipPhilippe de Larminat met ses programmes (code source ouvert) à la disposition de ceux qui seraient intéressés et qui voudraient les exploiter: